Sex symbol controversée, actrice mythique des Trente Glorieuses, Brigitte Bardot [1934-2025] aura surtout fait l’unanimité pour son combat en faveur de la cause animale.

L’année 1962 est marqué par son premier engagement médiatique en faveur des animaux. À ce moment-là, Bardot est quasiment au sommet de sa célébrité. En 1956, « Et Dieu créa la femme » sort sur les écrans. Ont suivi « Babette s’en va en guerre », et « la vérité ». En 1961, BB devient politique malgré elle. Elle se fait remarquer en refusant de se soumettre à un chantage et une tentative de racket de la part de l’OAS, ce qui lui fera dire publiquement dans une lettre ouverte : « je ne veux pas vivre dans un pays nazi » (nous ne reviendrons pas sur son évolution politique ultérieure, dans les années 90-2000…).

C’est dans ce contexte tendu que le 9 janvier 1962, Brigitte Bardot participe à l’émission Avocat d’un soir, rubrique de l’émission phare de l’ORTF Cinq colonnes à la Une, présentée par Pierre Desgraupes. La mise en scène est sobre, le cadrage serré sur son visage. Son objectif n’est pas alors d’évoquer la guerre en Algérie, mais de dénoncer les méthodes d’abattage des animaux, qu’elle souhaite voir changer (elle obtient gain de cause deux ans plus tard). Elle est accompagnée par un vétérinaire, et Jean-Paul Steiner, un travailleur des abattoirs de la Villette.

Nous vous proposons la retranscription de l’entretien qui marque ses débuts en faveur de la cause animale pour laquelle elle abandonnera sa carrière, 9 ans plus tard, en 1973.


 

Pierre Desgraupes- Avocats d’un soir. Sous ce titre, en 1962, des personnalités les plus diverses viendront plaider devant vous des causes qui leur tiennent à cœur, mais que le cadre de leurs activités habituelles ne leur donne pas l’occasion de défendre. Ainsi, ce soir…Brigitte Bardot, des millions et des millions de téléspectateurs en cette secondes vous voient apparaître au centre de leur écran.

Vous avez quelque chose à leur dire ? De quoi s’agit-il ?

Brigitte Bardot -Il s’agit des abattoirs, c‘est-à-dire de la façon dont on tue les animaux encore à notre époque. Bien sûr, ça n’est pas tout à fait ma place d’être ici ce soir. J’aurais préféré que ce soit quelqu’un d’autre qui me remplace. Mais comme personne n’est là, c’est moi qui suis là pour vous parler de cette horreur qui se passe encore actuellement. C’est-à-dire que les méthodes d’abattage d’animaux n’ont pas changé depuis le Moyen Âge.

Pierre Desgraupes- Exactement, qu’est-ce qui se passe comme au Moyen Âge, Brigitte ?

BB- Les animaux sont égorgés. C’est-à-dire que les petits animaux, les veaux, les moutons et les chèvres sont égorgés vivants. On leur coupe la gorge et le sang s’écoule entraînant la mort. Ça dure quelquefois trois, quatre ou cinq minutes. Et pendant ces trois, quatre ou cinq minutes, la bête est vivante et souffre. Alors j’ai su ça tout à fait par hasard ne sachant moi non plus il y a un an. Je ne savais pas moi non plus comment ça se passait.

Pierre Desgraupes -Vous ne trouvez pas étrange que vous, Brigitte Bardot, vous vous occupiez de ces problèmes ?

BB- Je trouve surtout étrange que personne d’autre ne s’en occupe.

Pierre Desgraupes- Vous ne pensez pas que le public va trouver étrange que vous vous occupiez de cela, qu’il va se dire …je m’excuse ?

BB C’est de la publicité.

Pierre Desgraupes – Pourquoi pas ? On se l’est déjà dit à propos d’autre chose.

BB- Oui. Vous savez, je pense que je suis peut-être une des rares personnes au monde qui n’ait pas besoin de publicité.

Pierre Desgraupes – Oui. Qui est assis à côté de vous ?

BB- Il y a Jean-Paul. Jean-Paul est le fondateur d’un club qui est le club du jeune ami des animaux. Il a fondé ce club pour apprendre aux enfants à aimer les bêtes. Et lui aussi s’occupe de ces histoires d’abattoirs et de la façon dont on tue les bêtes. Parce que Jean-Paul qui apprend aux autres à aimer les animaux, aime aussi lui les animaux et est allé travailler aux abattoirs pour pouvoir en parler mieux. Il a donc été travailler pendant combien de temps ? Pendant 8 jours aux abattoirs de la Villette. Et il a vu effectivement qu’on pourrait très bien à notre époque employer des méthodes beaucoup moins barbares.

Bien sûr, tout le monde mange de la viande et c’est tout à fait normal. Mais cette viande que l’on mange on devrait pouvoir se dire que la bête qui est morte et que l’on mange n’a pas souffert.

Pierre Desgraupes – Dites à Jean-Paul de nous dire ce qu’il a vu.

Jean-Paul – Alors, eh bien, j’ai été donc aux abattoirs parce que, évidemment, cette question m’intéressait depuis très longtemps.

Pierre Desgraupes – Alors Jean-Paul que faisiez vous exactement aux abattoirs ?

Jean Paul – Alors là j’avais comme travail de balayer le sang vers les canaux d’écoulement. Il y a de l’eau qui coule, il y a un baquet qui se remplit et qui se vide au fur et à mesure. Alors j’avais pour mission de balayer le sang sous les veaux. Alors, j’ai fait ça toujours montre en main et on disait toujours : »mais enlève ta montre tu vas l’abîmer ». Et moi je gardais ma montre parce que je voulais justement chronométrer la durée où le veau était encore vivant pendant que son sang s’écoulait.

Pierre Desgraupes – La durée de l’agonie. 

Jean Paul – C’est ça la durée de l’agonie du veau. Alors pour ça j’approchais mon balai des têtes. Je chronométrais toujours. Au bout de 4 minutes, le veau avait encore le réflexe quand j’approchais mon balai de fermer l’oeil et non seulement de fermer l’oeil mais de pousser sa tête en train d’essayer de s’éloigner du balai.

BB- On les égorge vivants.

Pierre Desgraupes – Brigitte Bardot vous dénoncez ce que vous croyez être un scandale, ce que vous pensez être un scandale.

BB- Je ne crois pas ! Je suis sûre que c’est un scandale.

Pierre Desgraupes – Est-ce que vous avez quelque chose à proposer ?

BB- C’est à dire que moi, personnellement, bien sûr je n’ai rien à proposer mais il y a quelque chose qui existe en Angleterre et au Danemark qui est un pistolet et dans d’autres pays aussi un pistolet qui est muni d’un emporte-pièce avec une broche qui sort et qui transperce la boîte crânienne qui donc met l’animal K.O. Donc il ne souffre plus, c’est une sorte d’anesthésie. Il y a aussi des procédés d’anesthésie par gaz carbonique et ça se fait dans pas mal de pays mais en France personne ne s’est jamais occupé de ça d’ailleurs ça ne gêne personne mais vous me direz qui ça peut gêner de voir un animal souffrir et …. euh ….  notre ambition, notre vœu notre but c’est de faire passer un décret qui interdise la tuerie sans anesthésie ou sans assommement préalable.

Pierre Desgraupes – En somme, Brigitte vous vous faites pour un soir avocat en quelque sorte.

BB- Oui je trouve que je suis un très mauvais avocat de toute façon mais je suis un peu l’avocat, oui, de cette cause.

Pierre Desgraupes – Vous avez aussi d’autres personnes à convaincre, j’imagine que le gouvernement ce sont les professionnels. Alors à votre droite il y a deux messieurs vers qui vous allez vous tourner et ces messieurs sont tueurs à la Villette. Nous allons leur demander leur avis.

capture d’écran

BB- Messieurs, vous qui faites un travail très dur et très pénible qui est celui de tuer les animaux aux abattoirs est-ce que vous seriez contre le fait d’assommer les bêtes avant de les saigner avec un pistolet qui pourrait être un pistolet à répétition. Ne croyez-vous pas que ça pourrait vous faire gagner du temps par exemple le temps que vous passez à attacher les veaux ou les moutons s’ils étaient assommés avec un instrument qui les ferait se tenir tranquille pendant tout ce temps là.

Un « tueur de la Villette » – Je ne serais pas contre mais il y a une chose qui est certaine on serait toujours forcé de les attacher et on ne gagnerait pas plus de temps Maintenant pour la question d’égorger un animal. Dites-vous bien une chose c’est qu’il ne souffre plus quand il est égorgé. Il est comme assommé.

BB (coupe la parole)- De toute façon, je crois que de toute façon il souffre. Je pense qu’un jour ou l’autre tous les pays en arriveront à ça. Mais pourquoi la France n’est pas encore arrivée à ce système ?

« Tueur » de la Villette – Attention je vais vous répondre à ce moment là. C’est un travail de chaîne …

BB- Oui !

« Tueur » de la Villette –  … Alors que chez nous ce n’est pas un travail de chaîne. Chaque patron a son échaudoir avec un, deux, trois, quatre ou cinq commis. Vous avez même des échaudoirs qui ont sept ou huit commis.

Pierre Desgraupes – Qu’est-ce qui s’opposerait à ce que ce soit un travail de chaîne ?

« Tueur » de la Villette –  Le travail de chaîne, monsieur, est préconisé par la suite puisqu’on parle beaucoup de la reconstruction des nouveaux abattoirs.

Pierre Desgraupes – Vous êtes d’accord qu’il faudrait humaniser le système actuel des abattoirs ?

« Tueur » de la Villette –  De toute façon je suis à peu près sûr qu’il sera modifié sitôt que les abattoirs nouveaux sont installés.

BB- Oui mais vous comprenez les abattoirs nouveaux seront peut-être installés dans vingt ans ou dans quinze ans ou dans dix ans. Et pendant dix ans ou quinze ans les animaux vont continuer à être égorgés comme il y a trois cents ou quatre cents ans. C’est impensable. Nous nous avons vous comprenez un système qui est très facile c’est ce pistolet car il existe déjà je vous dis en Angleterre et au Danemark. Ils ne se servent que ça.

Capture d’écran de l’émission

Ils mangent bien de la viande. Ils sont comme nous et au lieu de tuer les animaux comme nous les tuons en France il les tue avec un pistolet.

Pierre Desgraupes – Docteur je me tourne maintenant vers vous. Les règles de votre profession m’interdisent de citer votre nom mais je peux tout de même dire que vous êtes vétérinaire, que vous êtes spécialiste de ces problèmes d’abattage et que vous êtes même secrétaire général d’une oeuvre qui s’appelle l’oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir. Que sait-on de la souffrance des animaux au moment où on les tue ?

Le vétérinaire – C’est assez difficile de répondre à cette question. D’abord il faudrait que je vous explique pour quelle raison on tranche la gorge à un animal ou exactement pourquoi on le saigne. C’est tout simplement parce que la viande pour être consommable doit être exsangue, autrement dit, il faut saigner l’animal avant de le débiter et ceci pour des raisons d’hygiène. Une viande qui contient du sang est une viande qui s’altère.

De plus ça présente un aspect désagréable quand on la débite. C’est pourquoi tous les procédés employés pour abattre les animaux de boucherie visent tous à empêcher la mort instantanée mais il faut absolument que l’animal continue d’avoir un cœur en état de fonctionnement pour pouvoir vider les artères.

Pierre Desgraupes -Pendant combien de temps ?

Le vétérinaire – Pour avoir une saignée complète sur un veau, il faut 4 à 5 minutes dans les bonnes conditions, à condition qu’on ait fait une ouverture très franche dans les gros vaisseaux.

Pierre Desgraupes – Il est donc indispensable selon vous que pendant ces 4 ou 5 minutesqui sont obligatoires, l’animal ne souffre pas ?

Le vétérinaire – Exactement.

Pierre Desgraupes – On a dit aussi l’usage de ce pistolet ne peut se concevoir que dans une réforme totale du système actuel des abattoirs, en particulier de la Villette.

Le vétérinaire – Difficile de répondre à un point pareil avec précision. Néanmoins, les pistolets dont le modèle qui vous a été présenté est un exemple. Ces pistolets ont été utilisés dans un abattoir très vétuste avec d’excellents résultats. Je citerai par exemple l’abattoir de Menton qui bénéficie de cette méthode depuis plusieurs années déjà à la satisfaction générale des bouchers et des tueurs qui s’en servent.

Pierre Desgraupes – Selon vous, on n’a donc pas besoin d’attendre une réforme générale des abattoirs pour imposer l’usage de ce pistolet.

Le vétérinaire – Non.

Pierre Desgraupes –  Conclusion docteur, Brigitte Bardot sait de quoi elle parle ?

Le vétérinaire – Ah parfaitement, oui !
Pierre Desgraupes – Et vous l’appuyez ?

Le vétérinaire – et je l’appuie entièrement !

Pierre Desgraupes – Brigitte Bardot, peut-être que le décret qui sera pris grâce à vous permettra justement de généraliser l’utilisation de ce pistolet.

BB- Ce ne sera pas grâce à moi, ce sera grâce à nous tous et peut-être aussi grâce à tous les téléspectateurs qui ce soir, j’espère, m’écoutent et penseront comme nous et peuvent nous aider en nous écrivant ou en écrivant peut-être au ministre, ou à vous à la télévision ou à moi pour qu’on ait un tas de lettres qui est vraiment un mouvement d’opinion publique qui fasse qu’on puisse prendre ce décret, vous comprenez ?

Pierre Desgraupes – Brigitte, je voudrais vous poser une dernière question. Il y a dans le monde beaucoup de souffrances qui ne concernent pas uniquement les animaux qui concernent des hommes, des femmes, des enfants. Pourquoi, avant de vous occuper de la souffrance des animaux, des abattoirs, vous ne vous occupez pas de toutes ces autres souffrances ?

BB – Écoutez, si je pouvais m’occuper de la souffrance des gens en la faisant cesser, en faisant cesser les guerres et en faisant cesser la famine, les maladies, je le ferais. Aussi vraie que je suis, si ce soit. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un décret pour ça.

Peut-être arriverais-je à ce que je me suis dit ce soir, peut-être arriverais-je à faire passer ce décret, mais je n’arriverais sûrement pas à faire cesser les guerres, ni la famine, ni la maladie.

Source : émission 5 colonnes à la Une, 9 janvier 1962 – L’émission est disponible sur le site de l’INA ICI