L’extrait proposé ci-dessous est tiré du journal de E.J.F. Barbier (1689-1771) qui, durant près de cinquante années, a écrit sur les nouvelles parisiennes de son époque. La levée de la milice dont il est question fut faite à l’occasion de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748).

On constate que Barbier, qui est avocat, fait montre dans son journal  de ce que l’on saurait tenté d’appeler un authentique « mépris de classe » : que les indigents partent à la guerre, passe encore, mais que les enfants bien nés y contribuent, « cela est humiliant et dur, et l’on peut même dire que cela l’est trop ». L’extrait permet de constater également la contestation qui s’exprime de multiples façons face à la levée de la milice. On placarde des libelles séditieux mais surtout on n’ose pas crier l’ordonnance du roi dans la rue. En 1743, le service militaire universel n’est pas encore pour demain…


« Février 1743, grand mouvement dans la ville de Paris. Le 13 de ce mois, on a affiché une ordonnance du Roi (qui était du 10 janvier) pour la levée de la milice dans cette ville et une ordonnance de Mr de Marville, Lieutenant Général de la Police que le roi commet pour l’éxecution.

La milice est fixée à 1800 hommes dans Paris, garçons de l’âge de 16 ans à 40 et de 6 pieds au moins. Dans l’ordonnance générale du 30 octobre dernier, pour toutes les villes du royaume qui avaient été exemptes de la milice jusqu’ici, il n’était question que des petits marchands et artisans. Dans celle-ci il est dit que les enfants de tous les corps et communautés des marchands et artisans tireront au sort, ainsi que les gens de peine et de travail. Cela a été étendu par Monsieur de Marville à tous les domestiques. Les déclarations de ceux qui sont dans le cas de tirer doivent se faire chez le commissaire de quartier, de manière que le fils d’un gros marchand riche, élevé dans l’aisance et avec éducation, sera compris dans une même liste avec le propre laquais de son père, les domestiques, les ouvriers, garçons de boutique, crocheteurs, cordonniers, porteurs de chaises, coches de place de son quartier et autres gens de cette espèce désignés dans l’odonnance. Cela est humiliant et dur, et l’on peut même dire que cela l’est trop.

(…) Au reste, depuis 2 mois, c’est étonnant le nombre de gens qui ont été engagés de force ou de bonne volonté dans Paris. On ne voit que des cocardes et tout est plein de racoleurs. Il est dit en outre, par ordonnance, que tous les gens sans aveu, profession, ou domicile fixe, comme domestiques, hors de condition, ouvriers sans maître et vagabonds, sont miliciens de droit.

(…) Les deux ordonnances dont il vient d’être question ont été imprimées à l’imprimerie royale et rendues publiquement mais à voix basse. Elles n’ont point été criées par les colporteurs (…) il est fort plaisant qu’on n’ose pas faire crier dans les rues une ordonnance émanée du Roi.

Il y a eu des mumures et des mécontentements, des placards séditieux, écrits à la main, affichés la nuit au coin des rues, comptant des menaces contre le Lieutenant Général de Police, et même de mettre le feu aux quatre coins de la ville ».

D’après E.J.F. Barbier, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, Paris, 1847, p.352 et suivantes, tiré de A.Farge, Les fatigues de la guerre, 1996, p.101-102.