Le mercredi 20 juillet 1892, Communal est exécuté à Rennes au petit matin pour l’assassinat au Pertre, de Marie Gallais, jeune femme de 27 ans, fille d’un producteur de cidre qu’il cherchait à voler.

La tâche est assurée par le bourreau Louis Deibler [1823-1904], exécuteur des hautes oeuvres, assisté par ses fils dont Anatole, entré en apprentissage deux ans plus tôt et qui prend par la suite sa succession. 3ème d’une lignée de bourreaux, Louis, surnommé « Monsieur de Paris », est nommé à la place de son père à Rennes en 1863. En juillet 1871, il devient adjoint à l’exécuteur national métropolitain. Au cours de sa carrière, il est amené à exécuter Ravachol et Caserio.

L’extrait ci-dessous revient sur le déroulé d’une exécution en place publique à une époque où la peine de mort est toujours appliquée.


 

Mercredi matin, à 4 h., a eu lieu sur le Champ-de-Mars l’exécution de Communal qui avait été condamné le 11 mai dernier, à la peine de mort, pour assassinat sur la personne de Marie Gallais, du Pertre. Dès la veille, la nouvelle de l’exécution s’était répandue en ville, et dans l’après-midi l’on se montrait curieusement M, Deibler, accomplissant sa tournée officielle au commissariat de police et au parquet.
L’exécuteur des hautes œuvres n’a guère le physique de l’emploi. On dirait d’un bon bourgeois, d’un rentier paisible et pacifique, à voir ce petit homme à la mine débonnaire et placide, et n’étaient sa tenue funèbre et sa boiterie caractéristique, il passerait volontiers inaperçu.

Dès minuit, les bataillons du 41e d’infanterie commandés de service quittent leurs casernes et viennent prendre position sur le Champ-de-Mars, formant un vaste carré, en arrière duquel un second cordon de troupes maintient au large les curieux qui ne tardent pas à affluer.

Une double haie de soldats maintient libre une large voie d’accès partant de la rue Descartes pour aboutir au carré central.  Les hommes sont en grande tenue de service, tunique et épaulettes. À l’intérieur du carré, les tambours les officiers, à pied et à cheval.


La guillotine
Vers 1 h., arrive le fourgon de Deibler, et bientôt commence au milieu du Champ-de-Mars, le montage de la guillotine. Opération simple et expéditive aujourd’hui : la guillotine est devenue un instrument perfectionné, et, l’habitude aidant, Deibler et ses aides accomplissent rapidement leur besogne.
Bientôt l’instrument dresse en  l’air ses deux montants, assujettis sur le sol au moyen de forts madriers placés en croix. Au-dessus est placé le chapiteau surmonté de la poulie à laquelle, va être suspendu le couperet, qui glissera tout-à-l’heure dans les rainures de cuivre ménagées le long des montants.
Le couperet, trapèze d’acier du poids de 7 kilos, affilé comme un rasoir, et qui a un peu l’aspect d’une grande ardoise irrégulière est lesté d’une masse de plomb de 40 kilogrammes, qui détermine la chute foudroyante de l’appareil au premier mouvement du déclic.
En avant de la guillotine est fixée la bascule sur laquelle pivotera le corps du condamné, dont le cou sera pris dans la lunette à travers laquelle passera le couteau. — Les préparatifs sont terminés : un cercueil de bois blanc rempli de sciure de bois attend le corps du supplicié. M. Deibler s’en va prendre possession du condamné qu’il doit exécuter. […]

La toilette du condamné.
Après la messe, le condamné descend, au bras de l’aumônier, à la chambre où le bourreau va procéder à la dernière toilette. Dans cette chambre sont réunis Deibler, son fils et les aides. À leur vue, Communal est saisi d’un tressaillement involontaire :
— Ah! mon Dieu!… mon Dieu!… gémit-il.
M. Pringué s’approche et lui offre une cigarette, mais Communal fait un signe négatif.
M. l’avocat-général lui demande alors s’il veut prendre un peu de café. Communal accepte et il avale d’un trait un verre de rhum mélangé de café que lui présente le gardien-chef. Et, jetant à terre les dernières gouttes du liquide, selon l’usage de nos campagnes, il remet le verre au gardien en disant :
— Je vous remercie.
Deibler procède à la funèbre toilette. […]

L’exécution
Il est 4 h. le jour se lève, un jour gris et embrumé qu’assombrit la pluie qui tombe, fine en hachures serrées, à travers lesquelles on aperçoit vaguement les montants de la guillotine s’érigeant au milieu du carré formé par les soldats.
Des milliers de curieux autour de la double haie de troupes, et en particulier beaucoup du femmes, — qui d’ailleurs en seront pour leurs frais de curiosité, — faisant une tache noire sur la blancheur du Champ-de-Mars, dans cette brume indistincte que piquent les reflets jaunes des becs de gaz.
Une consigne rigoureuse a été donnée pour interdire l’accès de l’enceinte des troupes à tous ceux qui ne sont pas porteurs de cartes signées du procureur général, cartes exclusivement réservées aux magistrats et aux membres de la presse,
A 4 h. et quelques minutes le fourgon débouche lentement à travers la haie des troupes, qui portent les armes, et vient se ranger à gauche de l’échafaud.
Deibler en descend le premier, ouvre la porte du fourgon et pose le marche-pied.
L’aumônier, un homme de haute stature, en descend, et s’efforce de masquer à Communal la vue de la sinistre machine.
Communal est étroitement ligoté ; il avance soutenu, ou plutôt porté par les aides. Son visage est livide ; il lève les yeux et aperçoit le couperet. Mais déjà les aides l’ont jeté sur la planche qui bascule. Trois bruits : la lunette qui se referme, le déclic qui cède, le couteau qui tombe. Justice est faite !
Deibler a agi, cette fois, avec une rapidité inouïe.
Le corps est aussitôt placé dans le cercueil béant où la tète va aussitôt le rejoindre.
Il est alors 4 heures 7 minutes, et il ne s’est écoulé que quelques secondes entre le moment où Communal a mis pied à terre et l’instant de la décollation.

Après l’exécution.
Le cercueil, cloué à la hâte, est chargé sur un fourgon des pompes funèbres, qui se dirige vers le cimetière où a lieu le simulacre d’inhumation. Puis le corps, n’ayant pas été réclamé par sa famille, est porté à l’Amphithéâtre de l’École de médecine. Il fait grand jour maintenant, mais la pluie tombe en ondée violente et la foule se disperse rapidement, pendant que les curieux les plus obstinés regardent les aides de M. Deibler procéder au démontage de la machine.
Ils ont quitté la redingote et le tuyau de poêle pour le bourgeron bleu, et on les prendrait pour de tranquilles ouvriers mécaniciens plutôt que pour des exécuteurs des hautes œuvres.
Le couperet, soigneusement lavé et huilé, est replacé dans son écrin ; la guillotine, démontée pièce à pièce, est rechargée sur le fourgon qui se dirige vers la Gare, pour prendre ce matin la route de la Normandie, tandis que les troupes de service reprennent le chemin de leurs quartiers où, espérons-le, une journée de repos leur fera oublier la nuit blanche qu’ils viennent de passer. […]

La tournée de H. Deibler.
M. Deibler a quitté Rennes mercredi matin, par le train de 8 h. 15. Il se rendait à Caen, où une exécution a eu lieu jeudi. De là, il ira à Montpellier, où peut-être une double exécution aura lieu samedi, celle des assassins Dexemple et Martini. On voit que « Monsieur de Paris » ne chôme pas beaucoup et gagne consciencieusement ses appointements.

La Dépêche bretonne : Courrier d’Ille-et-Vilaine : journal républicain hebdomadaire : revue politique, agricole et commerciale de la semaine, hebdomadaire, samedi-dimanche 23 et 24 juillet 1892, extrait