En 1967, la France gaullienne envisage avec confiance l’avenir. Personne n’imagine alors qu’on touche à la fin d’un cycle de croissance et les premiers signes de crise économique, apparus dès 1968 (et non après le choc pétrolier), n’alarment que très progressivement les élites.

Le quotidien régional L’Union montre ici que l’heure est à une vision optimiste qui valorise un futur où l’informatique tiendra une place de choix.


Il y a plus de vingt ans naissait le premier ordinateur électronique américain, « l’Eniac ». Grand comme un wagon de chemin de fer, il comportait des milliers de lampes et servit à faire les calculs compliqués des premières bombes atomiques. Aujourd’hui, les grandes nations ne peuvent se passer des ordinateurs, qui, tout en favorisant le progrès scientifique, accélèrent l’économie toute entière. Ce sont les centres nerveux de la haute industrialisation.

L’avenir d’un pays se mesurera désormais au nombre de ses ordinateurs. Dans le monde entier, on en compte actuellement plus de 60.000. La moitié d’entre-eux se trouve aux États-Unis. L’Union soviétique en possède près de 16.000. Il y en a 10.000 en Europe occidentale, dont 1.500 en France, le tiers de ces derniers ayant été fabriqué dans l’Hexagone. Les autres se trouvent au Japon et en Chine. Ces nombres ne resteront pas stationnaires. On estime qu’en 1970, il y aura 100.000 ordinateurs dans le monde, dont 4.500 en France. Rien que pour l’Europe, cela représente une dépense de 30 milliards de francs lourds. Le vieux continent compte une quinzaine de firmes fabriquant des calculateurs, mais c’est le géant américain I.B.M. qui tient 70 pour cent du marché.

Le gouvernement français ne veut pas que l’électronique, domaine de pointe s’il en est, reste un monopole étranger (sic). Ainsi, la France se lance désormais dans « l’informatique », cette science nouvelle qui permet de traiter logiquement l’information.

Le but du « Plan calcul » est de former une industrie nationale des ordinateurs et de préparer les spécialistes qui les utiliseront. Ces derniers seront 500.000 dans dix ans, deux fois plus sans doute dans vingt ans. Dès 1977, un Français sur cent participera à la fabrication ou à l’utilisation des ordinateurs, ce qui nécessitera le recyclage d’une multitude de cadres ?

Que va-t-il donc se passer ? L’industrie électronique à capitaux français fournira dès l’automne 1968, une première gamme d’ordinateurs de moyenne puissance répondant aux besoins des administrations. Dès la rentrée d’octobre 1967, un nouvel institut formera des spécialistes. Un ordinateur doit être en effet alimenté en informations par le truchement de cartes ou de bandes perforées […] afin de les stocker sur des bandes ou des disques magnétiques. Il est avant tout une « mémoire artificielle ». S’il est au service d’une Caisse d’Épargne, d’une banque, d’une compagnie d’assurances, il doit avoir , dans sa mémoire centrale, tous les dossiers de la clientèle. La machine a besoin de cette masse d’informations pour résoudre les problèmes qu’on lui pose pour mettre en ordre les affaires qu’elle doit gérer. Interroger la machine, c’est accéder le plus rapidement possible à une information stockée dans sa mémoire. Un circuit électronique peut répondre en une « nanoseconde » (un milliardième de seconde) et, depuis peu, dans un temps encore bien plus bref. Un ordinateur moyen accomplit 40.000 opérations par seconde. Avant dix ans, il pourra en faire mille fois plus, soit 40 millions dans le même temps.

Dans vingt ans, il y aura un million d’ordinateurs dans le monde. Ils auront envahi les banques, les postes, les gares, les écoles, les administrations, les sociétés de toutes sortes. Le plus puissant d’entre-eux, appartenant à un organisme international, sera placé sur orbite terrestre. Dans le milieu vide et glacé de l’espace, il accomplira des performances exceptionnelles grâce à des mémoires à accès ultra-rapides.

Un autre, toujours sur orbite, formera pour l’humanité une seule université où des mini-calculatrices stockeront tout le savoir humain. Chaque étudiant communiquera avec elle, en dirigeant vers le « Satellite du Savoir » le signal codé d’un stylo à rayon laser. Il y aura de même de véritables bibliothèques de référence emmagasinant des masses de données qui pourront d’un simple coup de téléphone être fournies aux éducateurs qui le jugeront utile.

« Rendez-vous dans vingt ans – Tout le savoir du monde stocké sur orbite dans un ordinateur », L’Union (Reims), 15 juin 1967.