Le 10 mai 1981, François Mitterrand, candidat du parti Socialiste, est élu Président de la République. Son programme, basé sur 110 propositions pour la France, comprend un important volet social intégrant entre autres l’augmentation du SMIC, les 35 heures, une réorganisation de la TVA, mais aussi la retraite à 60 ans.

Au cours de l’année 1982, les lois Auroux, en grande partie rédigées par Martine Aubry, votées conformément aux promesses de campagne, viennent modifier les conditions de travail. En complément, deux ordonnances sont promulguées le 16 janvier et le 25 mars. Cette dernière fait passer l’âge de la retraite à 60 ans.

C’est dans ce contexte que François Mitterrand prononce un discours le 7 avril 1982, au palais des Congrès, lors de la Journée mondiale des personnes âgées organisée par l’OMS. La première partie de son discours revient justement sur la question des retraites. Au-delà des aspects techniques de cette dernière, c’est avant tout une nouvelle vision de la vie et de la vieillesse qui s’impose et qui se résume à cette formule : « rajouter de la vie aux années ».


Personne ne pourra jamais dire combien de siècles se sont écoulés depuis que l’homme, face à lui-même, a cherché à répondre à cette question : « comment prolonger la vie ? ». Et personne non plus ne pourra jamais dire qu’elle n’est plus d’actualité, même si la recherche, les sciences, la chimie, la chirurgie, les techniques ont désormais pris le relais du bon sens, de l’imagination, du simple combat pour la vie, et ont repoussé cet instant où la nature a rendez-vous avec la fatalité.

À cette interrogation toujours présente, la seconde moitié du XXème siècle est venue en ajouter une autre, conséquence de l’allongement de l’espérance de vie : « comment ajouter de la vie aux années ? ». Cette question là se pose partout, parce qu’elle est une question de civilisation. Elle appelle des solutions très diverses, selon chaque groupe humain : dans les pays pauvres, la baisse de la mortalité infantile et l’explosion démographique soulèvent de redoutables problèmes de lutte contre la pauvreté et pour le minimum vital ; dans nos sociétés industrielles, il s’agit surtout – mais pas seulement – d’examiner les préoccupations qui font justement l’objet de vos réflexions, et je me réjouis que ce thème ait été choisi par l’Organisation mondiale de la santé `OMS` pour cette journée mondiale des personnes âgées, comme je me réjouis que ce rassemblement m’ait permis de venir à la rencontre de retraités, de responsables qui agissent partout à travers la France, afin de mettre en oeuvre – et parfois inventer – les actions nécessaires aux personnes ayant cessé leurs activités professionnelles.

Je ne me risquerai pas à donner une définition trop précise de ce que peut recouvrir un thème aussi vaste que celui que vous avez choisi : il touche à trop de domaines pour être contenu en un mot, une phrase, une formule. « Ajouter la vie aux années », c’est simplement tenter d’organiser, sans contrainte et dans la liberté, ce temps supplémentaire que l’homme a su conquérir et ravir au destin.
Evidemment, mesdames et messieurs, c’est d’abord à chacune et à chacun qu’il revient d’organiser sa vie et son temps, en fonction de ses goûts, de sa personnalité, de ses espérances, de ses aspirations, de ses liens affectifs familiaux, de ses capacités physiques.
Mais comment profiter de la vie à sa convenance si l’on ne dispose pas des moyens collectifs indispensables, nécessaires à tous et à chacun, que seule la société – et particulièrement l’Etat et le gouvernement qui en a la charge – mettent en place ou contribueront à mettre en place. Explorons, si vous le voulez bien, rapidement ces moyens.
On commencera par dire qu’il faut agir sur tout ce qui précède l’âge de la retraite, bien avant que ce moment soit arrivé. Relever les bas salaires aujourd’hui, par exemple, si nous ne voulons pas qu’ils fassent les basses retraites de demain. Réduire la durée du travail, apprendre les loisirs, élargir la démocratie dans l’entreprise, et permettre ainsi, demain, une participation sociale qu’on vivra pleinement pendant la retraite. Dispenser un enseignement de qualité, diffuser largement la culture, pour préparer l’ouverture d’esprit qui rendra la retraite plus féconde. Eh bien, le gouvernement a engagé cette politique et il la poursuivra.
Sans attendre, dans l’immédiat, nous devons nous tourner vers les retraités d’aujourd’hui : c’est ce qui m’a conduit à désigner, au sein du gouvernement, et sans doute pour la première fois dans notre histoire, un secrétaire d’Etat spécialement chargé des personnes âgées, Joseph FRANCESCHI ; et c’est ce qui nous a amenés à agir sans tarder dans quatre grandes directions :
–  donner aux retraités des ressources suffisantes,
–  fixer des conditions de départ en retraite plus justes,
–  assurer la place des retraités dans la vie sociale,
–  enfin assurer le soutien nécessaire à ceux que leur grand âge handicape.
Donner aux retraités des ressources suffisantes : la situation globale des retraités est bien meilleure aujourd’hui qu’autrefois, car beaucoup d’entre eux ont cotisé pendant toute leur vie professionnelle. Et pourtant, des millions de personnes âgées ont encore des ressources très insuffisantes.

Je m’étais engagé à améliorer, par priorité, la situation des personnes les plus modestes, en commençant par le minimum vieillesse, qui a été majoré de 41 % pour une personne seule et de 30 % pour un ménage. En outre, le plafond de récupération sur les successions a été porté de 150000 à 250000 F. Il sera prochainement ajusté, dans les mêmes proportions, pour l’aide ménagère. Cet effort important de la nation, dans une période où les finances publiques imposent une gestion rigoureuse, a bénéficié à plus de un million huit cent mille personnes : 80 % sont des femmes qui n’ont pas assez cotisé, et souvent parce qu’elles ont consacré l’essentiel de leur vie active à élever leurs enfants. Aussi étrange que cela puisse paraître, elles ne se sont constitué aucun droit propre.
Les personnes âgées qui perçoivent le minimum vieillesse ne sont pas les seules à disposer d’un revenu modeste : beaucoup de retraités ont des pensions à peine plus élevées, et trois nouvelles étapes de l’amélioration de leur situation seront franchies au 1er juillet 1982 :
– Nous sommes début avril, ….mai, …..juin, ….1er juillet 1982, toutes les pensions du régime général et des régimes alignés seront augmentées de 7,5 % au-moins, soit une majoration de près de 15 % environ en un an ;
– Le taux de la pension de reversion du régime général et des régimes alignés passera de 50 à 52 % – j’avais dit que sur les années à venir il passerait de 50 à 60 %, c’est donc le début de cette action -, ce qui majorera ces pensions de quatre points de plus que la hausse normale des retraites. Cette mesure, qui fera prochainement l’objet d’un projet de loi, intéresse près d’un million de retraités.
– Enfin, le même projet de loi permettra aux retraites les plus anciennes de bénéficier d’un dernier rattrapage des inégalités qui les avaient affectées au moment de leur liquidation. Là encore, c’est près d’un million de retraités qui bénéficieront de cette mesure.
Oh, je pourrais poursuivre l’énumération : qu’on sache seulement que les dix principales mesures adoptées en dix mois par le gouvernement, à l’initiative du ministre de la solidarité nationale, Nicole QUESTIAUX et son secrétaire d’Etat Joseph FRANCESCHI, représentent un effort supplémentaire de quelques 10 milliards de francs soit mille milliards de centimes.

Il faut y ajouter les mesures dont ont bénéficié tous les anciens combattants pensionnés, qui ont obtenu 5 % de majoration en juillet dernier à valoir sur le retard de 14,26 % de leurs pensions, 1 % de plus en septembre dernier au-titre de l’intégration de l’indemnité de résidence, qui recevront 1 % de plus encore en octobre prochain au-titre de l’intégration de la même indemnité et qui reçoivent dès maintenant 1 % de plus en contre partie de l’intégration de l’indemnité mensuelle spéciale, soit au total, pour être clair, huit points en quinze mois et plus de 1 milliard 600000 francs en année pleine.
Oh, je le sais bien, mesdames et messieurs, beaucoup reste encore à accomplir et je ne vais pas arrêter là, sur une sorte de bilan de constat d’autosatisfaction. Non, nous savons très bien de quel point on part et comment se situe l’objectif à atteindre. Mais, enfin, ce qui est important c’est d’être déterminé à le faire car chaque génération est solidaire ou doit être solidaire des autres. Et si certaines bénéficient particulièrement de la solidarité nationale, elles doivent aussi y contribuer.
Fixer des conditions de départ en retraite plus justes : les récentes mesures sur l’âge de la retraite ont une double portée : il faut permettre à ceux qui le souhaitent de partir en retraite plus tôt – j’ai bien dit : à ceux qui le souhaitent, cela ne constitue en aucune façon, en dépit de ce que je lis ici ou là, une obligation – ceux qui le souhaitent, ceux qui ont exercé des professions pénibles, que la fatigue physique ou morale, l’usure nerveuse ont frappés, ceux qui connaissent des situations familiales difficiles, bref, ceux qui désirent connaître quelques années hors de la vie professionnelle. Il faut donc permettre à ceux qui le souhaitent de partir en retraite plus tôt qu’ils ne partaient à 65 ans. Et il faut instituer une solidarité entre actifs et retraités face aux graves problèmes de l’emploi.
Et oui, je crois, il fallait proclamer que le temps était venu de répondre à une très ancienne revendication des travailleurs. Et plus les travailleurs étaient des travailleurs manuels et plus leur vie était difficile, plus cette revendication était comment dirai-je raisonnable, juste, exigeante : partir plus tôt en retraite.

Depuis quelques années, nombreux étaient ceux qui pouvaient partir à 60 ans grâce-au système de la garantie des ressources. Mais il faut le savoir, on l’oublie trop souvent, dans les débats actuels, c’était un régime conventionnel, conclu pour une période qui devait s’achever et qui s’achèvera le 31 mars 1983, dans moins d’un an. Ce n’était pas un système permanent. C’était un moyen de passer un moment. De répondre à des revendications pressantes, comme cela, mais sans faire entrer dans notre société une législation permanente. Cette garantie des ressources avait donc un caractère précaire. Alors que le droit de la retraite à 60 ans sera inscrit, est inscrit dans nos textes et soustrait des variations des accords contractuels. C’est la loi. En outre, ceux qui n’étaient pas salariés à 60 ans, mais qui avaient cotisé 37 ans 1/2 ou plus, ne pouvaient pas prétendre à la garantie de ressources comme certains chômeurs, les non-titulaires de l’Etat et des collectivités locales. Les non-salariés, de leur côté, tels que les commerçants, les artisans seront alignés sur le régime général s’ils le désirent.
Mais tous ceux qui ont la garantie de ressources au moment de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, ordonnance qui vient d’être prise tout récemment, en bénéficieront de toute façon jusqu’à 65 ans. Je tiens tout de suite à rassurer ceux d’entre vous qui auraient pu être inquiétés par des informations inexactes. Et les négociations nécessaires seront conduites avec les régimes complémentaires pour fixer les modalités de leur alignement, dans le respect de leur autonomie. Comme c’est normal, l’abaissement de l’âge de la retraite bénéficiera d’abord à ceux qui ont pleinement cotisé.
Les choses doivent être claires : à partir de 60 ans, le départ en retraite est un droit qui relève de la sécurité sociale ; et avant 60 ans, les départs relèvent de la politique de l’emploi. Mais vous le savez bien, les retraités ne sauraient se désolidariser du problème de l’emploi : ainsi, chacun reste libre de travailler, même après son départ en retraite, mais c’est vrai que l’ordonnance sur le cumul institue une contribution de solidarité à-partir d’un certain niveau de ressources. Je répète, à-partir d’un certain niveau élevé de ressources. C’est ainsi que se combinent la politique de la retraite et la politique de l’emploi.
Si l’on veut ajouter véritablement la vie aux années, selon l’expression consacrée, il faut que les retraités aient leur place dans la vie sociale. […]

Discours disponible en intégralité sur le site Service public.fr ICI