En novembre 1926, les sénateurs Henry Chéron [1867-1936], Claudius Gallet [1874-1936] et Fernand Merlin [1868-1937] déposent une proposition de loi ayant pour objectif de rendre la vaccination antityphoïdique obligatoire en France. La proposition de loi est précédée d’un court exposé des motifs.
Avant la guerre, la fièvre typhoïde faisait, dans les rangs de la population française, les plus grands ravages.
Au début des hostilités, le fléau apparut dans des proportions telles qu’il eût pu compromettre rapidement le succès des opérations, si la vaccination antityphoïdique n’avait été rendue obligatoire en 1915, sur l’intervention d’un de nos plus éminents et d’un de nos plus regrettés collègues, M. Labbé, ancien président de l’Académie de Médecine.
Tout d’abord, on appliqua la vaccination dans l’armée en injectant aux soldats un vaccin préparé avec le bacille typhique seul. Mais on savait depuis longtemps qu’il existait des microbes voisins du bacille typhique et capables de provoquer des affections analogues à la fièvre typhoïde. C’étaient les bacilles paratyphiques. La fièvre typhoïde avait été enrayée par les vaccinations, mais les maladies paratyphoïdes faisaient des progrès et atteignaient ceux-là mêmes qui avaient été vaccinés contre le bacille typhique. On prit alors la détermination de vacciner tous les soldats à l’aide d’un vaccin mixte, efficace à la fois contre la fièvre typhoïde et la paratyphoïde.
Des millions de militaires ont été ainsi vaccinés et, contrairement à ce qui s’était produit pendant les guerres précédentes, la fièvre typhoïde a presque complètement disparu dans les armées.
On a continué avec le même succès, depuis le retour de la paix, la vaccination antityphoïdique des recrues, dans notre pays.
Des épidémies récentes ont démontré que l’organisme soumis, même une seule fois, à la vaccination antityphoïdique conserve un état de résistance qui ne s’atténue que lentement. C’est ainsi que dans certaines communes atteintes cette année par le fléau, on a constaté que la maladie a frappé uniquement les femmes, les enfants et les vieillards, alors que des hommes vaccinés depuis 1915, exposés à la contagion, sont demeurés réfractaires ou n’ont été atteints que d’une façon bénigne.
Donc, en ce qui concerne les militaires, la preuve de l’efficacité de la vaccination est faite. La démonstration a revêtu un caractère mathématique. La disparition de la fièvre typhoïde dans l’armée est un grand bienfait. Pourquoi n’en pas faire bénéficier la population civile ?
Il serait inexcusable de laisser plus longtemps la population civile en dehors des bienfaits de la vaccination antityphoïdique.
Nous avons donc l’honneur de vous demander de rendre obligatoire pour tous les Français cette vaccination.
Proposition de loi ayant pour objet de rendre obligatoire la vaccination antityphoïdique des Français, présentées par MM. Henry CHERON, GALLET BT Fernand MERLIN Sénateurs.
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 novembre 1926.
Le texte est notamment disponible ICI
Commentaire :
Les fièvres typhoïde et paratyphoïde sont des maladies infectieuses potentiellement mortelles en l’absence de traitement. Ces fièvres surviennent le plus souvent dans des zones où l’hygiène est précaire. Cette maladie infectieuse a été décrite en 1818 par Pierre Bretonneau, Une à trois semaines après la contamination survient une fièvre continue accompagnée de maux de tête, d’anorexie, d’abattement, de douleurs abdominales avec diarrhée ou constipation. Dans les formes bénignes, l’état reste stationnaire pendant une quinzaine de jours puis la convalescence dure plusieurs semaines. Dans les formes plus graves où des complications peuvent survenir au niveau de l’intestin, du cœur ou du cerveau, la fièvre typhoïde peut être fatale en l’absence de traitement. (Source : Institut Pasteur). Un vaccin est mis au point en 1896 par Sir Almroth Wright.
En France, depuis 1903, la maladie fait l’objet d’une déclaration obligatoire. La question de la vaccination obligatoire est posée dans les années 20 face à une recrudescence des cas de fièvres, mais elle n’est pas retenue, exceptée pour l’Armée par la loi du 14 avril 1936. Après la Seconde Guerre mondiale, la question resurgit et un nouveau projet de loi est déposé. Il aboutit au vote de la loi du 27 août 1948 rendant la vaccination anti-typho-paratyphoïdique A et B obligatoire pour les personnels médicaux et aux contacts de malades fragiles et contagieux. À cette date, le législateur se réserve en plus le droit de l’étendre aux personnes âgées de 10 à 30 ans.
Ce n’est alors pas le premier vaccin rendu obligatoire. En effet, le 15 février 1902, la France rend obligatoire la vaccination antivariolique, sur fond de polémique opposant les partisans de la liberté individuelle à ceux défendant l’intérêt collectif.