Antonio Gramsci est né en Sardaigne en 1891. Élève brillant, il suit un cursus de linguistique et de philologie à l’université de Turin. Il adhère au Parti socialiste italien et fonde en 1919, avec d’autres de ses camarades, l’organe de presse Ordine Nuovo. En 1921, il adhère au Parti communiste italien. En 1924, il devient député et, en 1926, arrêté par le régime fasciste, il est condamné à une peine de 20 ans de réclusion. Il meurt en 1937.

L’extrait proposé ci-dessous a été publié le 11 mars 1921 dans Ordine Nuovo. Mussolini,à cette date, n’est ps encore au pouvoir et ses chemises noires font régner un climat de violence dans les campagnes et les villes d’Italie.

Le fascisme, écrit Gramsci, est « la tentative de résoudre les problèmes de production et d’échange à coups de mitraillette et de pistolet »  et, pour le penseur italien, ce sont les classes moyennes qui l’alimentent et lui fournissent ses effectifs.


« Qu’est-ce que le fascisme considéré à l’échelle internationale ? C’est la tentative de résoudre les problèmes de production et d’échange à coups de mitraillette et de pistolet. Les ressources productives ont été gaspillées et épuisées au cours de la guerre impérialiste : vingt millions d’hommes dans la force de l’âge et en pleine santé ont été tués ; vingt autres millions sont handicapés ; les milliers de liens qui unissaient les différents marchés mondiaux ont été coupés net ; les relations entre les villes et les campagnes, les métropoles et les colonies, ont été inversées ; les courants d’émigration qui compensaient régulièrement les déséquilibres entre l’excédent de population et le potentiel des moyens de production dans les différentes nations, ont été perturbés et ne remplissent plus leur fonction. On a assisté à des crises nationales identiques et simultanées qui rendent la crise générale encore plus âpre et durable. Mais il existe dans tous les pays une couche de la population, la petite et la moyenne bourgeoisie, qui croit pouvoir résoudre ces problèmes gigantesques au moyen des mitraillettes et des pistolets : c’est elle qui alimente le fascisme et lui fournit ses effectifs. (…)

En Italie (…) les classes moyennes croient pouvoir résoudre les problèmes économiques par la violence militaire ; elles croient pouvoir éliminer le chômage à coups de pistolet, elles croient pouvoir calmer la faim et sécher les larmes des femmes par des tirs de mitraillette. L’expérience historique n’a pas de sens pour les petits-bourgeois, car ils ne connaissent pas l’Histoire ; les phénomènes se répètent et se répéteront dans d’autres pays ainsi qu’en Italie ; ce qui s’est passé en Autriche, en Hongrie et en Allemagne ne se produit-il pas en Italie depuis quelques années pour le Parti socialiste ? L’illusion est la mauvaise herbe la plus tenace de la conscience collective ; l’Histoire enseigne, mais personne ne l’écoute ».

A.Gramsci, « La méthode militaire », in Comment naît le fascisme, Les cahiers Rouges, Grasset, 2025, p.49-54.