L’arrivée d’Hitler au pouvoir vue par la presse française – 1933

Il y a 90 ans, le 30 janvier 1933, Adolf Hitler accédait à la Chancellerie de l’Allemagne, nommé par le président de la République, le maréchal Von  Hindenburg, qui le charge de former un nouveau gouvernement.

La presse étrangère ne manque évidemment  pas de commenter son arrivée au pouvoir, entre inquiétudes légitimes pour les uns, inquiétudes et circonspection pour les autres. Ces 3 extraits de la presse française  analyse à chaud, et chacun avec un point de vue différent,  l’état de la nouvelle  situation politique de l’Allemagne engendrée par la nomination du chef du parti nazi.

Extrait n° 1 – Le Figaro : « une mèche à un tonneau de poudre »

Adolf Hitler a atteint le but qu’il se proposait : il est chancelier du Reich. Son accession au pouvoir est le fruit direct, mais tardif, de l’évolution qui se poursuivait depuis le 14 septembre 1930, date à laquelle les nationaux-socialistes, en conquérant cent sept sièges au Reichstag, devinrent d’un seul coup le facteur capital de la politique allemande.
L’homme qui était encore heimatlos l’année dernière triomphe donc, et son triomphe prend une signification spéciale du fait qu’il est remporté sur M. von Hindenburg. Chaque fois qu’il avait été question d’un cabinet Hitler, le vieux maréchal sachant sans doute que la condition était irréalisable avait exigé que le cabinet fût un gouvernement de majorité parlementaire. Hier, le président du Reich a capitulé. Il a laissé Hitler devenir le chef d’un gouvernement de minorité, le chef d’un cabinet « autoritaire », c’est-à-dire de cette combinaison même que le « Führer » avait suggérée lors de la chute du cabinet Papen, et que le maréchal avait énergiquement repoussée.
Des influences occultes se sont-elles exercées sur M. von Hindenburg ? Ou bien faut-il, dans ce revirement soudain, faire la part de la fatigue physique dont ce vieillard de quatre-vingt-cinq ans commence, dit-on, à donner des signes ? Quoi qu’il en soit, Hitler est au pouvoir.
Cet événement essentiel par sa portée morale l’est aussi par les conséquences pratiques qu’il risque d’entraîner. La réaction l’emporte définitivement en Allemagne. On a imputé à crime au général von Schleicher d’être trop « social ». On peut être sûr que le cabinet Hitler-Papen-Hugenberg-Seldte n’encourra pas le même reproche. Dans le domaine politique comme dans le domaine économique, c’est l’instauration de la dictature au profit des grands industriels, des hobereaux et des militaires.
Cette fois, la Constitution de Weimar et le parlementarisme reçoivent le coup mortel. M. von Hindenburg, jusqu’à présent, s’était efforcé de concilier le maintien d’un Reichstag fantôme avec des méthodes de gouvernement dictatoriales. Il y avait là une contradiction qui ne pouvait se prolonger et qui rappelait les monstres hybrides exhibés dans les foires. La nomination de Hitler met fin à cet état de choses paradoxal. Elle signifie, en effet, que, devant l’impossibilité de faire coexister le régime autoritaire et le régime constitutionnel, c’est ce dernier qui va devoir céder la place.

Il reste à savoir ce que va faire le Centre catholique. Se résoudra-t-il à tolérer, voire à soutenir le nouveau cabinet ? C’est peu probable. Le gouvernement qui prend le pouvoir paraît condamné à être, comme nous l’avions laissé prévoir, un gouvernement de minorité et de combat. Il est d’ailleurs solidement armé. Les nationaux-socialistes ont en mains l’administration et le police, par M. Frick, ministre de l’intérieur, et la Prusse, par M. Gœring. Or, « qui tient la Prusse tient le Reich », dit l’adage. Et l’appui du Stahlhelm, venant doubler les sections d’assaut hitlériennes, n’est pas à négliger non plus. Si bien qu’on peut se demander ce qui arriverait au cas où le gouvernement, violant ouvertement la Constitution, entrerait en conflit avec M. von Hindenburg. N’est-ce pas ce dernier qui serait obligé de partir ? Mais peut-être cette éventualité entre-t-elle dans les calculs des nouveaux dirigeants. Au point de vue extérieur, l’avènement de Hitler constitue sans nul doute un grave danger. D’abord du fait du programme même du parti national-socialiste, ensuite et surtout, parce que si le « bel Adolf », comme il est probable, n’arrive pas à concilier ses actes gouvernementaux et ses promesses électorales, il sera tenté, pour faire oublier sa carence, de se livrer à des gestes retentissants dans un autre domaine, qui ne pourra être que celui de la politique étrangère. Aussi doit-on s’attendre à quelques surprises. Il serait étonnant, par exemple, que Hitler ne se livrât pas assez tôt à une bruyante manifestation du côté des frontières orientales du Reich.
Et qui sait, dans l’état de détresse, de tension et de démesure où se trouve l’Allemagne, quelles peuvent être les répercussions de la moindre incartade ? Le cabinet Hitler, c’est une mèche à un tonneau de poudre.

Raymond Henry, le Figaro, 31 janvier 1933, page 1

Extrait n°2 – L’Humanité, un appel à la résistance et au combat

HITLER CHANCELIER !

Flanqué de Von Papen et de Hugenberg, le chef des assassins fascistes préside le gouvernement de la terreur antiouvrière, de la misère et de la guerre.

LA MISE HORS LA L0I DES ORGANISATIONS COMMUNISTES EST LE PREMIER ARTICLE DU PROGRAMME « NAZZI »

Notre parti frère appelle les travailleurs à la grève contre le fascisme
Répondons à son appel en accentuant notre lutte contre le système de Versailles.

Depuis hier, Hitler est chancelier du Reich allemand. Il remplace le général Von Schleicher, dont l’ambition d’éviter les heurts de classe trop violents à l’aide de manœuvres politiciennes subalternes s’était révélée décidément illusoire.
Le chef de la Reichswehr avait cru arriver à ses fins en domestiquant les syndicats réformistes, en se posant en « gouvernant social », en essayant de gagner à lui Grégor Strasser, en négociant avec le Centre catholique, en intriguant contre le Landbund. On put croire un moment que, grâce à, ces procédés, Schleicher finirait par l’emporter, en divisant ses adversaires. La preuve est faite maintenant que dans un pays où les contradictions de classe sont arrivées au degré d’acuité qu’elles ont atteint en Allemagne, la méthode Schleicher était sans rendement.
Congédié par le maréchal-président, Schleicher a dû céder la place.
Et la céder à Adolf Hitler !
Le Fuhrer est désormais le collaborateur du « système » depuis si longtemps démagogiquement dénoncé par lui. Flanqué de Gœring et de Frick, ce dernier détient le ministère de l’intérieur. Il devient le rouage de cette machine d’oppression antiprolétarienne. A côté de lui, von Papen, l’homme des trusts, l’ancien chancelier est commissaire du Reich en Prusse Le potentat Hugenberg, détenteur du porte-feuille de l’économie nationale, Seldte, chef des Casques d’acier, pourvu du ministère du travail, dirigeront l’offensive contre les salaires.

La formation qui vient de naître et à laquelle préside Adolf Hitler, grand animateur des croisades contre les « banquiers juifs », est née il y a  quelques semaines, au cours des conciliabules secrets entre Papen et Hitler, dans la maison du baron Kurt von Schrœder, directeur de la banque Stein, et intéressé aux firmes Levy Salomon Oppenheim et Cie !

La désillusion sera grande et la colère profonde parmi les prolétaires et les petits bourgeois, que les tirades anticapitalistes du grand Adolf ont retenus jusqu’ici dans les formations fascistes. L’hitlérisme décidément a jeté le masque. Son état-major est la formation de combat mise au service des pires ennemis du prolétariat.

Telle est sans doute la première leçon de l’événement du 30 janvier. […]

Contre ce programme, le programme des fusillades anti-ouvrières, nos camarades allemands appellent les travailleurs à la résistance et au combat.

Mais leurs exhortations doivent franchir la frontière. Elles s’adressent à nous autant qu’aux ouvriers d’Allemagne et elles signifient « Travailleurs de France, il est impossible que l’exemple des assassins en chemises brunes ne soit pas contagieux il est impossible que les gens de la croix gammée et les casques d’acier, aujourd’hui, coalisés, n’aient pas en France de redoutables imitateurs. Contre eux, il faut organiser la seule résistance qui vaille. La lutte contre la misère, la lutte contre le fascisme, la lutte contre l’impérialisme français, père de la réaction allemande, la lutte contre le traité de Versailles, dont l’hitlérisme est l’enfant maudit ! » 

Gabriel Péri « Hitler chancelier ! », l’Humanité, 31 janvier 1933, page 1 extraits

Extrait n° 3 – L’Univers israélite : l’arrivée d’un aventurier au pouvoir

Rien ne prouve mieux le désarroi, le chaos qui règne en Allemagne : un aventurier, un « heimatlos » de la veille devient chancelier du Reich, de l’État, qui était naguère le plus solidement organisé, le plus discipliné de l’Europe.

Les Juifs d’Allemagne ont particulièrement des raisons de s’alarmer en pensant aux sauvages campagnes d’excitation que les Nazis ont menées contre eux et au déchaînement des passions dans une population qui ne sait plus à qui à se vouer.

Deux considérations doivent nous rassurer. La première est que Hitler n’arrive pas au pouvoir dans l’enivrement de la victoire, dans l’enthousiasme du premier élan, mais déjà usé dans la bataille par la bataille et l’intrigue.

La seconde raison d’espérer est qu’il n’est pas seul au gouvernement avec son parti derrière lui. Il est encadré par von Papen et Hugenberg, qui représentent des intérêts et  des ambitions tout opposés. Le « Fürher » fait l’effet d’un prisonnier hissé au pinacle […]

L’Univers israélite, 3 février 1933, page 7, extrait