Le site Gallica est décidément une source inépuisable de documents et on y fait parfois des découvertes étonnantes ! C’est le cas avec le document que nous présentons ci-dessous. Intitulé « Informations sur les atrocités nazies », le texte, daté du 7 septembre 1942, a été tapé à la machine à écrire  pour probablement être ensuite imprimé  « avec les moyens du bord » en recto-verso et diffusé sous le manteau. Il s’agit ici du numéro 1 d’une série de 3, mais sur Gallica, le numéro 2 n’est pas proposé et semble donc avoir été perdu.

Relevant de la Résistance civile, cette feuille volante a pour objet de dénoncer les rafles et les déportations massives de Juifs de l’été 1942, « commencées le 16 Juillet dans toute la zone occupée », avec une référence explicite dès le début à la rafle du Vel d’Hiv. On ignore qui sont le ou  les rédacteurs ou rédactrices de cette série de textes, ni si il ou elle appartenait à un  mouvement de résistance structuré. Notre hypothèse, c’est qu’il y a au moins deux rédacteurs ou rédactrices, par la différence de style, les derniers textes du verso ayant un ton plus mordant et plus ironique. Il semble que les auteurs vivaient dans la zone-nord, compte tenu des informations nombreuses  données sur Drancy et  Pithiviers.

Le document confirme que « malgré le silence le plus rigoureux observé par la presse et la radio domestiquées », l’information sur le sort des Juifs raflés et déportés a bien  circulé, par d’autres canaux et cette feuille volante en fait partie. Il confirme surtout ce que Pierre Laborie avait démontré dans son ouvrage devenu un classique (1) : il y a bien, pendant l’été 1942,  une évolution nette  de l’opinion publique dans le sens d’un  rejet de la politique de collaboration de Vichy devenue pour beaucoup  moralement inacceptable.

Le document intitulé « Informations sur les atrocités nazies » assimile le sort réservé aux Juifs à la barbarie de l’occupant. La part prise par Vichy  dans les rafles et les déportations est relativement peu mise en avant ici, sans doute parce que « la bassesse du gouvernement Pétain-Laval » et le rôle joué par l’Administration et la police françaises sont suffisamment connus des lecteurs pour qu’il soit nécessaire d’y insister.

(1) Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, collection Points histoire, 2001


7 Septembre [1942]

INFORMATIONS
sur les atrocités nazies

LE POGROM A BLANC.

Les rafles des Juifs commencées le 16 Juillet dans toute la zone occupée, les internements et les déportations en masse qui les ont suivies, compteront un nombre des pires atrocités dont l’histoire ait gardé le souvenir.
Cette fois, en effet, ce sont surtout des femmes et des enfants qui étaient visés, quel Parisien n’a eu des échos des horreurs du Vél d’Hiv. où la plupart des internés ont été enfermés les premiers jours, l’entassement invraisemblable de 12.000 malheureux sur les bancs et le sol de ciment, 1’atmosphère étouffante, l’absence de la moindre hygiène, le défaut de ravitaillement, le tumulte assourdissant : cris des enfants, sanglots des femmes, gémissements des malades, hurlements des fous, les tentatives de suicide, tout a contribué à composer un tableau véritablement infernal.
À Pithiviers et Beaune-la-Rolande, où les mères ont été amenées avec leurs enfants, de nouvelles souffrances les attendaient. Mais le pire a été la séparation brutalement imposée: les mères ont été arrachées de force à leurs enfants qui se cramponnaient à elles. Puis, dépouillées de tous les objets qu’elles avaient sur elles, jusqu’à leurs alliances, elles ont été enfermées dans les wagons plombés qui devaient les emmener vers une destination inconnue.
Les enfants de 13 ans et au-dessus ont été également déportés. Ceux de 2 à 13 ans sont restés dans les camps, affamés et sans soins. Dévorés de vermine, la peau entamée faute de soins de toilette, malades, ils appelaient sans cesse leur maman disparue. Seuls ceux qui avaient 40° de fièvre trouvaient place à l’infirmerie.
Au bout de quelques temps, on a transporté ces enfants à Drancy. Drancy, l’antichambre de déportation : En effet, presqu’aussitôt, on a commencé a déporter à leur tour les enfants, par convois de mille. On les a enfermés dans les wagons plombés, leur donnant pour toute provision quelques fruits..
Cependant, malgré le silence le plus rigoureux observé par la presse et la radio domestiquées, la vérité parvenait à se faire jour. Par les confidences des rescapés, d’infirmières, de médecins, de gendarmes, de cheminots, le public apprenait le martyre des femmes et des enfants, et l’indignation générale devenait menaçante pour les bourreaux, Pour apaiser cette émotion, grandissante, « on” a répandu les affirmations les plus contradictoires : que la séparation des mères d’avec les enfants n’avait pas eu lieu, ou qu’on leur avait laissé le choix, ou qu’il s’agissait d’une séparation « accidentelle », que les enfants allaient être rendus à leurs parents, et que c’était là la raison de leur déportation. On se demande alors pourquoi on a détruit 1’état-civil d’une grande partie des enfants. Pourquoi a-t-on procédé à la séparation à coups de matraques ? Pourquoi a-t-on été chercher des orphelins dans les institutions auxquelles ils étaient confiés ?
Mais il faudrait être bien naïf pour s’arrêter à tous ceux pourquoi. La seule chose qui compte, la voici : la réaction de l’opinion publique, qui s’est manifestée de multiples façons et venant des.milieux les plus divers, a embarrassé et fait hésiter ces criminels. On commence a permettre aux enfants de Drancy d’écrire au dehors et de recevoir des colis. Mais il faut que l’opinion reste vigilante que non seulement elle s’oppose à de nouveaux forfaits, mais qu’elle exige la libération de tous ces innocents, et leur placement dans des institutions ou chez des particuliers de bonne volonté (et il n’en manqué pas l)
AGISSONS DONC VITE!

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ILS RECULENT DEVANT LE GRONDEMENT DE L’OPINION

100 femmes juives et françaises se sont donné rendez-vous devant le sinistre camp de Drancy pour exprimer leur indignation contre les tortionnaires des femmes et des enfants et leur solidarité envers ces malheureuses victimes en leur apportant des colis.
L’administration du camp a été forcée d’accepter les colis, ce qu’elle refusait catégoriquement jusqu’à ce jour.

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LA LÂCHE CONSPIRATION

Une délégation de prêtres de Paris s’est présentée devant, l’administration du camp de Pithiviers en demandant 1’autorisation de visiter les internés, surtout les enfants.
L’administration ne voulant pas que l’affreuse vérité soit connue, a catégoriquement refusé l’entrée, mais ces prêtres n’en ont pas moins pu se faire une idée de cet enfer.

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LA NAVETTE INFERNALE

Les internés qui ne sont pas destinés à la déportation immédiate sont ramenés de Drancy sur Pithiviers, Drancy étant en quelque sorte, la gare régulatrice ou s’effectue le triage des internés, tant de la zone non-occupée que de la zone occupée. Ainsi les malheureux qui viennent d’être transportés en wagons plombés sont à nouveau traînés dans ces interminables voyages qui les laissent chaque, fois plus faibles et plus brisés.

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« NOS CHERS PRISONNIERS”


Contrairement à ce qu’on a prétendu, des femmes,des enfants et des parents des prisonniers de guerre, sont internés et déportés, notamment en province ;
L’infortuné qui, dans son stalag lointain, ne recevant plus de nouvelles des siens, commence à s’inquiéter, peut-il s’imaginer jusqu’où va la bassesse du gouvernement Pétain-Laval qui affecte de « s’intéresser” si vivement au sort de nos « chers prisonniers » ?

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CRUELLE DERISION


Dans la zone non-occupée, au moment d’envoyer en déportation les juifs internés dans les camps, on leur a dit d’emporter des vivres pour 4 jours! Il est difficile de pousser plus loin le cynisme . D’où ces malheureux affamés pouvaient-ils prendre des provisions ?

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LES CRIMINELS NIENT

Radio-Paris s’est élevé dernièrement contre la démarche que le Nonce du Pape a faite récemment auprès du gouvernement de Vichy pour protester contre les persécutions infligés aux Juifs, notamment aux enfants.
Ces persécutions, déclare le poste allemand de langue française, n’existent pas. Ainsi tous les Français qui ont vu les femmes et les enfants traînés hors de chez eux par la police ont été victimes de hallucinations.
Et à qui fera-t-on croire que le Vatican, toujours si bien informé net si circonspect dans ses démarches, ait pu en faire une au sujet de faits inexistants ?

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LEUR « LIVRE DE CHAIR”

A Tours la Préfecture de Police devait arrêter un certain nombre de Juifs étrangers, mais ceux-ci prévenus se sont sauvés avant que les gendarmes soient venus les chercher. Il fallait quand même donner leur « livre de chair » » aux boches, alors on a pris à la place le même nombre de Juifs français. Ce sera bientôt notre tour, à nous Français, quand ils ne trouveront plus ni Juifs étrangers, ni Juifs français.

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Une mère juive arrêtée dans les journées du pogrom à blanc a obtenu la permission des gendarmes de laisser sa fille de 7 ans chez ses amis qui s’en chargeaient. Mais c’était trop humain pour les valets hitlériens. Après quelques semaines ils ont arrêté l’enfant et l’ont conduit dans un asile sous la surveillance de la Gestapo.

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Une religieuse, directrice d’un orphelinat nous raconte: « Les boches sont venus demander s,’il n’y avait pas chez nous d’enfants israélites. Bien sûr qu’on leur a répondu que non, mais, dès qu’ils sont partis, nous avons conduit les quelques enfants juifs en lieu sûr, à l’abri de leur persécuteurs. » La population française s’emploie, même au prix des plus grands risques, à sauver ces petits innocents.

Informations sur les atrocités nazies, 7 septembre 1942, source Gallica

résistance aux rafles des Juifs