Dhuoda, née vers 800 et morte après 843, est une femme de lettres de l’époque carolingienne, épouse du marquis Bernard de Septimanie dont elle a deux fils : Guillaume, né en novembre 826 et Bernard en mars 841.

Dhuoda est surtout connue pour avoir été la première femme, laïque, à avoir rédigé de 841 à 843 à Uzès un livre d’éducation morale imprégné des valeurs chrétiennes de l’époque, et destiné à son fils.

Ce manuel permet également de connaître une partie de la vie de Dhuoda qui reste encore largement inconnue.


Extrait n°1

La plupart des parents ont, dans ce monde, la joie de vivre avec leurs enfants. Mais moi, ô mon fils Guillaume, je me vois éloignée de toi. L’anxiété que j’en éprouve et le désir de ton bien m’ont portée à faire écrire pour toi cet opuscule. Il est fait en mon nom, et je serai heureuse qu’il t’apprenne ce que tu dois être pour ta mère absente. […]

Lecteur, si tu désires connaître le sens caché de cette pièce, cherche parmi les premières lettres de mes vers celles qui doivent t’en instruire. Elles t’apprendront rapidement ce que j’ai voulu dire. Mère de deux garçons, je te demande de prier le Créateur bienfaisant d’élever leur père à la plus haute fortune, et de me réunir à eux dans son royaume.
Commence ta recherche par la lettre D. C’est à la lettre M. que se termine ma pensée. Grâce au Christ, je vais aborder l’oeuvre entreprise.

Extrait pages 46-47

Extrait n° 2

Prologue

Beaucoup de gens ont des connaissances dont je suis privée, moi et les femmes qui me ressemblent. Mais Celui qui ouvre la bouche des muets et qui fait parler les enfants m’est toujours présent. Malgré la faiblesse de mon intelligence, je t’adresse ce Manuel. De même que le jeu des échecs est le plus brillant des arts mondains pour un jeune homme, de même que le miroir d’une femme lui montre ce qui doit disparaître de son visage et ce qu’elle doit y laisser voir pour plaire à son époux, ainsi je désire qu’au milieu du tourbillon du monde et du siècle, tu lises fréquemment mon livre. Fais-le en souvenir de moi, aussi souvent qu’on se regarde dans un miroir ou qu’on joue aux échecs. Fais-le, quel que soit le nombre croissant de tes autres livres, et avec l’aide de Dieu comprends-le. Tu y trouveras ce que tu préfères connaître, en abrégé tu y trouveras aussi un miroir où tu pourras considérer le salut de ton âme, afin de plaire non seulement au siècle, mais encore à Celui qui t’a formé du limon. Au milieu des soucis qui m’accablent, ô mon fils Guillaume, je t’adresse des paroles de salut, et mon cœur désire ardemment que tu lises ce qui a rapport à ta naissance. Tu le trouveras au début de ce qui suit.

Préface.

La onzième année de l’avènement de l’empereur Louis, et le 24 juin, j’épousai, dans le palais d’Aix-la-Chapelle, ton père Bernard. La treizième année du règne de l’empereur et le 29 novembre, je t’ai donné le jour. Tu es mon premier-né et j’ai ardemment désiré ta naissance.

Au milieu des malheurs croissants de ce siècle, et comme le royaume s’abîmait sous les révolutions et les discordes, l’empereur Louis alla où nous allons tous, et mourut sans achever la vingt-huitième année de son règne. L’année qui suivit sa mort, naquit ton frère. Sa naissance arriva à Uzès le 22 mars [841]. Ton père Bernard se le fit amener en Aquitaine par Éléfant, évêque d’Uzès, et quelques autres de ses fidèles, avant même qu’il eût reçu le baptême. Les ordres de mon seigneur vous ont éloignés de moi et m’ont fait faire un long séjour à Uzès, où je me suis réjouie de ses prospérités. Mais le cœur plein de toi et de ton frère, j’ai fait écrire pour toi ce petit livre, selon ma faible intelligence.

Extrait pages 50-52

Extrait n°3

Tourne le dos à tous ceux que tu rencontreras, et fuis loin d’eux. Tu as et tu auras des volumes à lire, à dérouler, à étudier, à comprendre. Tu auras aussi des docteurs pour t’éclairer, tu peux facilement apprendre des uns et des autres la conduite convenable en ces circonstances. Comme les colombes qui. en buvant une eau de cristal, aperçoivent des éperviers et s’envolent pour leur échapper, heureuses de parvenir en lieu sûr de même, si tu lis les Pères, si tu suis les exemples des grands et des conseillers fidèles à leur seigneur, non seulement tu échapperas aux embûches cachées des malins esprits, mais encore à celles de ce monde.

Quoique nous soyons chétifs et exilés, j’ai compté dans ce nombre des grands celui qui se cache pour le monde dans notre indignité et qui tend plus en bas qu’en haut.
Il est écrit que l’on doit porter les noms des douze patriarches écrits au front, et l’Écriture nous offre en exemple des animaux qui ont six ailes et qui ont des yeux devant et derrière. Je te prescris d’avoir en horreur et de fuir les méchants, les déshonnêtes, les paresseux et les orgueilleux.
Pourquoi ? Parce qu’ils tendent leurs lacets, comme une souricière, pour tromper et qu’ils ne cessent de préparer sur le chemin le scandale et les pierres d’achoppement, pour s’y précipiter et y entraîner ceux qui leur ressemblent. Conseils. Les noms des douze patriarches qu’il faut porter au front, les yeux qu’il faut toujours avoir devant et derrière, ce sont les vertus dont il faut se munir. Bienfaits de ces vertus.

Extrait du chapitre « avertissement pour redresser les mauvaises mœurs », page 125

 

Source : Le manuel de Dhuoda (843), publié par Edouard Bondurand, Genève, Megariotis Reprints, 1978, 271 pages


Pour en savoir plus :
  • Jean Meyers L’écriture de soi dans le Manuel de Dhuoda, revue le Moyen-Âge, 2018,1, pages 9-25, disponible ICI