Armand Gliksberg. Kaddish pour les miens. Chronique d’un demi-siècle d’antisémitisme (1892 – 1942). Paris, Mille et Une Nuits, 2004, pp. 221 – 223.

« Le 29 mars 1941, Vichy instaure un Commissariat général aux questions juives (CGQJ), chargé d’appliquer les lois et réglementations promulguées depuis octobre 1940 sous le nom de « Statut des Juifs ». C’est l’amiral Darlan, promu vice-président du Conseil, qui nomme à sa tête le célèbre et honni Xavier Vallat. Ce fervent catholique et néanmoins antisémite convaincu en assurera la direction. À tout seigneur, tout honneur. Il est déjà bien connu de ses futures victimes, par la vulgarité des insultes racistes dont il accablait les députés juifs ou supposés tels à la défunte Chambre des députés. Avant guerre, il organisait déjà des incursions de nervis dans le quartier juif du Marais. Ces tentatives de pogroms à la française étaient repoussées par les jeunes de la LICA, dirigés par Bernard Lecache, leur courageux président.

Dès sa création, le CGQJ est submergé de milliers de lettres de délateurs, le plus souvent anonymes. Il y en eut plus de trois millions, adressées à toutes les administrations civiles et policières. Toutes les classes de la société dénoncent qui un voisin, qui un concurrent, qui un confrère, qui un collègue, qui un employeur, qui un locataire, qui un propriétaire, qui un futur gendre, qui une future belle fille… Seul dénominateur commun de ces missives, la religion des victimes. Tous les cas de figure de relations sociales ou humaines sont passibles de délation.

De nombreux Israélites, camouflés en « Français innocents », sont démasqués par des compatriotes zélés qui les signalent immédiatement aux autorités, avec une bonne conscience qui fait frémir. Certains de ces messages sont dûment signés par leurs auteurs qui exhibent sans scrupule leurs titres et états de services. Autour de nous, la crainte d’une dénonciation est permanente, notre environnement étant particulièrement hostile aux Juifs étrangers.

Le Commissariat n’avait été créé que dans l’intention de légaliser la spoliation des biens juifs. La séparation des pouvoirs était ainsi parfaitement respectée. Pendant que Laval, Bousquet, Leguay, Papon, avec l’aide de toute la hiérarchie préfectorale, pourchassaient les Juifs, Xavier Vallat puis Darquier dit « de Pellepoix » organisaient systématiquement les spoliations. Se débarrasser des personnes est certes gratifiant, mais s’approprier leurs avoirs est autrement plus lucratif. On avait inventé le mot « aryanisation » pour couvrir le pillage du patrimoine devant revenir aux Aryens … français. Inutile de préciser que ces mesures furent très populaires. (…) Messieurs les hauts dignitaires au képi chamarré liquidaient les Juifs pour mieux se partager leurs fortunes … la curée ! Rien que de très habituel depuis Philippe le Bel. »

Armand Gliksberg. Kaddish pour les miens. Chronique d’un demi-siècle d’antisémitisme (1892 – 1942). Paris, Mille et Une Nuits, 2004, pp. 221 – 223.