« Le 14 janvier 1941, grande première sur les écrans parisiens : Le Juif Süss du réalisateur Veit Harlan, produit par la firme Terra, est présenté au public. Annoncé par une campagne publicitaire intense, notamment par d’immenses affiches dans le métro, le fil est accueilli favorablement. Un célèbre comédien du Théâtre français, Jean Darcante, en assure le doublage. L’objectif de la propagande est clair : il s’agit de vulgariser d’une façon historique, donc indéniable, la vilenie du Juif, dans le genre déjà rendu immortel par Shakespeare. Cet antisémite éminent avait agi de même avec Shylock, le « marchand de Venise ».
Les « braves gens » s’y laissent prendre, le personnage du Juif est présenté comme au Guignol : il est le fourbe qui doit être rossé par le gendarme, pour le plus grand plaisir du spectateur.
D’autres productions de la même veine, comme Les Rapaces, excitent aussi la haine antijuive par le cinéma, pourtant merveilleux moyen d’éduquer en distrayant.
À la même époque reparaît Je Suis Partout. Il est temps que les intellectuels français apportent leur pierre à l’édifice de la Collaboration. Brasillach, Rebatet, Laubreaux en assurent la direction. Tous les auteurs « bien pensants » se précipitent dans les colonnes du journal : Marcel Aymé, Jean Anouilh, Marcel Jouhandeau, Drieu La Rochelle, le dessinateur Ralph Soupault, etc. En examinant la bibliothèque d’un ami de ma famille, l’ingénieur Jacques Gelman, je fus sidéré. En effet, il m’apparut que tous les auteurs présents sur les rayons étaient passés du côté de l’occupant : Jean Giraudoux, Pierre Benoit, Henri Bordeaux, Paul Morand, André Gide, Jacques Chardonne, Jean Giono, Pierre Gaxotte, Henri de Montherlant, Alfred Fabre-Luce, Pierre Mac Orlan, Bertrand de Jouvenel. Les élites qui symbolisaient le pays aux yeux du monde civilisé défiguraient délibérément la France. Ces grands écrivains pouvaient enfin assouvir leur aversion commune pour les Juifs. Les « ronds de jambe » de Jean Cocteau, de Sacha Guitry, de Steve Passeur et autres esclaves de la mode et du « parisianisme » furent si vulgaires dans la flagornerie et l’allégeance aux vainqueurs, qu’il serait indécent de rappeler ici leurs débordements.
Le cas de Louis-Ferdinand Céline est particulier. Cet individu avait besoin pour vivre de « bouffer du Juif » quotidiennement. Sa haine tenait de l’anthropophagie. Une étude approfondie serait nécessaire pour expliquer les raisons intimes de son comportement. Cette déviation sadique chez un « médecin » en dit long sur le personnage. Au printemps 1941, dans La Gerbe, Céline exigeait « un véritable statut d’exclusion pour les Juifs », celui imposé par le gouvernement de Vichy lui paraissant très insuffisant. À la même époque, au rayon librairie des Magasins Réunis, place de la République, je lus par hasard quelques pages de Les Beaux Draps du susdit, qui venait de paraître. La rage, le dégoût, l’indignation qui me saisirent ne m’ont jamais quitté. »
Armand Gliksberg. Kaddish pour les miens. Chronique d’un demi-siècle d’antisémitisme (1892 – 1942). Paris, Mille et Une Nuits, 2004, pp. 219 – 221.
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