Parmi tous les intellectuels et écrivains qui se sont rués à Paris pour collaborer avec les nazis pendant l’Occupation, Lucien Rebatet [1903¬1972] est sans doute l’un des plus brillants de sa génération. Admirateur du troisième Reich et partisan d’une collaboration sans limites avec l’Allemagne nazie. Originaire de la Drôme, il devient écrivain, journaliste et critique spécialisé dans la musique et le cinéma.
Ayant débuté à l’Action française en 1929, il rejoint trois ans plus tard, en 1932, l’hebdomadaire Je suis partout, qui se distingue à partir de 1941 en devenant le principal journal antisémite et collaborationniste français sous l’Occupation. Admirateur de Louis-Ferdinand Céline, on lui doit l’ouvrage « Les décombres » publié aux éditions Denoël en 1942 et qui est considéré parfois comme le « best-seller » de l’Occupation.
Les Décombres sont un virulent pamphlet antisémite et pro-nazi. Dans l’extrait ci-dessous, les sarcasmes n’épargnent pas le gouvernement de Vichy auquel Rebatet reproche la tiédeur de sa politique anti-juive, allant jusqu’à la taxer de « judéophilie » et de « protecteurs des Juifs »!
Au moment où le livre de Lucien Rebatet sort dans les librairies françaises, c’est à dire pendant l’été 1942, le gouvernement de Vichy organise la rafle du vel’ d’Hiv en juillet, suivie de celles des camps de la zone sud en Août, conduisant au total près de 25.000 Juifs vers les camps de la mort…
Cette thèse est donc évidemment absurde et de nos jours, il ne viendrait à quiconque sain d’esprit et intellectuellement honnête d’y accorder quelque crédit…
Il devenait logique que les vichyssois épargnassent les Juifs, qui formaient les mêmes souhaits qu’eux, qui leur offraient une alliance naturelle et constituaient pour le gaullisme officieux une armée de prosélytes sans pareils. Les brillants et riches inspecteurs des finances sacrifieraient à la rigueur quelques fripiers émigrés de Pologne ou de Roumanie. Mais ils se récriaient, très offusqués, à l’idée que l’on pût leur assimiler d’éminents hommes d’affaires, considérés dans le monde, apparentés aux plus beaux blasons, et qu’on avait rencontré autour de toutes les tables des conseils d’administration. C’était manquer aux convenances les plus élémentaires que de rappeler leur judaïsme (…).
En s’instituant les protecteurs des Juifs, on trouvait également un excellent moyen d’affirmer cette ombrageuse dignité dont Vichy avait un tel souci. On marquait ainsi avec hauteur que la France n’imitait personne et restait maîtresse chez elle. Singulier point d’honneur qui consiste à garder sur soi sa vermine parce que votre voisin s’en est débarrassé ! La judéophilie était en somme la preuve majeure que la France sauvegardait les « valeurs spirituelles » .
Toutes les foudres et tous les soupçons étaient réservés pour la poignée d’audacieux qui osaient à mi-voix suggérer la possibilité d’une collaboration franco-allemande. On leur répliquait avec d’amers sarcasmes que rien de cet ordre ne nous était demandé, comme si la France battue à plate couture pouvait encore faire la coquette et attendre des propositions ! – qu’il importait de nous en tenir mordicus et juridiquement aux clauses de l’armistice, et de ne point engager l’avenir du pays sur des fantaisies, alors que la guerre se poursuivait sans que personne sût dire quel serait son dénouement. »
Lucien Rebatet, « Les Décombres », Paris, 1942.
La collaboration des intellectuels français durant l’Occupation.
Texte proposé par Patrice Delpin
Présentation par Gilles Legroux