Parmi les traditions et personnages associés à Noël, la figure du Père Fouettard occupe une place à part. Si ses origines se perdent dans les rituels païens précédant le christianisme, le Père Fouettard fait très vite office d’antagonisme chargé de punir les enfants qui n’ont pas été sages. Il est opposé à la figure rassurante de Saint Nicolas censé distribuer des cadeaux, le 6 ou le 19 décembre.

Selon les régions d’Europe, le Père Fouettard prend plusieurs dénominations : Krampus en Autriche ou en Bavière, Zwarte Piet en Suisse, ou encore Houseker au Luxembourg. Au cours de l’époque moderne, des traditions locales le célébrant voient le jour. Selon une légende locale, le père Fouettard serait né à Metz en 1552 durant le siège de la ville par l’armée de Charles Quint. Afin de conjurer le siège et redonner espoir aux habitants, la corporation des tanneurs auraient créé un mannequin à l’image de l’Empereur, armé d’un fouet, d’où son surnom de « Père Fouettard ». Promené dans les rues, le mannequin est finalement brûlé au terme d’une procession symbolique où le mannequin fouette les jeunes gens. Depuis, la figure du Père Fouettard accompagne invariablement Saint Nicolas, lors des festivités locales.

Mais pour les Alsaciens, la tradition est toute autre… En Alsace, c’est la figure d’Hans Trapp qui domine. Après la défaite de 1870, la presse française prend l’habitude de couvrir les traditions alsaciennes que les exilés alsaciens ont emporté avec eux, comme le sapin de Noël. C’est dans ce contexte qu’en 1881, l’écho du Nord propose à ses lecteurs de découvrir la légende associée à Hans Trapp et au Christkindel


 

[…] En Alsace et en Allemagne, il se tient, aux approches de Noël, des foires tout spécialement consacrées à la vente des joujoux. Comme cette foire coïncide avec la naissance de l’enfant Jésus, on l’appelle Christkindelsmarkt. Là viennent s’étaler tous les produits de l’industrie bimbelotière ; les pièces en étain et en plomb, coulées dans des moules, colorées et vernies, dont on compose les petits ustensiles de cuisine et les soldats à pied et à cheval ; les jouets en bois sous forme de meubles, de sabres, de fusils, de grands chevaux qui galopent sans bouger […]

On conduit les enfants à la foire du Christkindel ; on leur fait admirer toutes ces merveilles, et on leur répète ce qu’on leur a dit pendant l’année entière, que, s’ils sont sages, l’Enfant Jésus leur enverra la veille de Noël un ange pour leur distribuer des joujoux. Cependant, comme les parents ont remarqué, depuis bien longtemps, que l’espoir des cadeaux du Christkindel ne suffisait pas toujours pour rendre les enfants dociles, ils ont imaginé de leur faire peur par l’annonce d’un personnage diabolique qui accompagne le bon ange et qui est chargé de fustiger les petits polissons.
En Allemagne, ce compagnon du Christkindel porte le nom de Pelznickel ou Pelzmichel (Nicholas ou Michel le Velu) dénomination qui vient de ce que ce personnage est d’ordinaire enveloppé de fourrures. Dans la basse Alsace, dans le Palatinat et dans une partie du duché de Bade, il porte un nom tout spécial ; il s’appelle Hans Trapp.
L’origine de ce nom est assez curieux et remonte au quinzième siècle. En 1483, Jean de Dratt (ou de Tratt), maréchal de la cour de l’électeur palatin, fut investi du commandement du château de Barbelstein, situé entre Landau et Wissembourg. Du haut de son château, le maréchal de Dratt vexait de toutes les manières les gens de l’abbaye de Wissembourg. Il rançonnait les voyageurs, pillait les villages, s’emparait des droits de chasse et de pâturage, […] et prenait un plaisir infernal à entendre les malheureux paysans gémir sous le poids de sa tyrannie. Aussi devint-il bientôt la terreur du pays, et longtemps encore après sa mort, les parents faisaient trembler leurs enfants en disant : Prenez garde, Jean Dratt va venir ! Le nom a été peu à peu corrompu, et est devenu Jean (en allemand Hans) Trapp.
Aujourd’hui, le château de Barbelstein ne présente plus que des ruines ; les exactions et les crimes du féroce maréchal sont oubliés, et son nom ne sert plus qu’à faire peur aux petits enfants.
La soirée du 24 décembre, si impatiemment attendue par les mioches et les bambins, est enfin arrivée. Les parents ont été en cachette acheter des joujoux à la foire. Dans une chambre l’on a érigé un petit sapin sur monté d’un ange aux ailes d’or, tout chargé de petits cierges, de bonbons, de pommes d’api, de pains d’épices, de noix d’or et d’argent. Tout autour sont disposés les joujoux de grande dimension : les chevaux de bois, les brouettes, les cuisines complètes. Sur des tablées, éclairées par une multitude de bougies, sont rangés en bataille des soldats en carton avec leurs canons en bois et leurs forteresses garnies de pont-levis. Les poupées, les pantins, les fusils, les tambours, sont accrochés aux murs.
Les enfants sont partagés entre l’espérance et la crainte. La petite fille compte sur une belle poupée, mais elle a quelquefois trempé les doigts dans le pot aux confitures, et, quoique sa maman l’ait ignoré, Hans Trapp pourrait bien s’en être aperçu. Le petit garçon rêve fusil, tambour, canon en bois, mais il sait qu’il a souvent polissonné, et il n’ose pas trop compter sur les largesses de Christkindel. Chacun fait son petit examen de conscience, et tous sont inquiets.
Tout à coup l’on entend une clochette aux sons argentins. La porte s’ouvre, et Christkindel paraît. C’est une femme vêtue de blanc, aux longs cheveux blonds, d’ordinaire figurés par une perruque de chanvre. Sa figure est enfarinée pour la rendre méconnaissable, et elle porte sur la tête une couronne de papier doré.
D’une main, elle tient la clochette d’argent ; de l’autre, une corbeille qui renferme des bonbons. Derrière Christkindel, la porte ouverte laisse apercevoir les bougies qui illuminent les joujoux étalés dans la pièce voisine. La joie des enfants est au comble, mais soudain elle se change en épouvante. Un grand bruit de ferraille s’est fait entendre, et bientôt apparaît Hans Trapp, le corps couvert d’une peau d’ours, la figure toute noire, une grande barbe, et tenant à la main une verge menaçante.
Les enfants tremblent et se cachent. Hans Trapp demande d’une voix caverneuse qui sont ceux qui n’ont pas été sages, et leur distribue quelques tapes avec sa verge. Mais bientôt, Christkindel intervient : les enfants lui promettent d’être bien sages à l’avenir ; l’ange chasse le démon et les conduit devant l’arbre de Noël pour leur distribuer les précieux joujoux, en leur disant de douces paroles. Les bambins et les bambines s’emparent des jouets, sonnent de la trompette, battent le tambour, habillent et déshabillent les poupées, tirent les ficelles du pantin, font manœuvrer les soldats de carton.
Au milieu de ces joyeux ébats, Christkindel a disparu, et les enfants ont bien vite oublié les terreurs que Hans Trapp leur a causées.

 

L’écho du nord, supplément illustré,n°34, 25 décembre 1881, page 2

Supplément pop culture :

En 1966, sort La fille du Père Noël, chantée par Jacques Dutronc sur un texte de Jacques Lanzmann (frère du réalisateur de Shoah, Claude Lanzmann). Cette chanson de Noël pour adultes s’inscrit dans le contexte des années 60 et de la libération sexuelle. Le texte mélange de manière savante la femme-objet, les références à la Nativité (Marie, Balthazar) au sado-masochisme… Mais qui, surtout et avant tout propose comme morale finale la notion de consentement, 50 ans avant la vague MeToo…