À la fin du Moyen Âge, la mort devient une obsession sous le coup de deux fléaux majeurs généralisés :  la guerre de Cent Ans (1337-1453) et l’épidémie de peste noire qui sévit de 1349 à 1355. Les arts voient alors se développer le thème allégorique de la mort. La Danse de la mort ou Danse macabre prend la forme d’une évocation littéraire, souvent combinée à une représentation picturale d’une danse où des personnages vivants, en général placés en fonction de leur place hiérarchique de la société, (du pape à l’enfant, en passant par l’empereur, et le clerc), et alternant les laïcs et les clercs, sont entraînés vers la tombe par des squelettes. La danse macabre devient très populaire car, fonctionnant comme un memento mori, elle évoque à la fois l’inéluctabilité et l’impartialité de la mort, quel que soit le rang social et le sexe des individus qui sont, à ce moment précis, tous égaux.

Le thème est développé dans la Danse macabre réalisée par Bernt Notke en 1460 pour l’église Saint Nicolas située à Tallin (Estonie), dont voici un extrait. Ici, la Mort répond à l’Impératrice, entraîne le Cardinal et s’apprête à s’emparer du Roi (traduction moderne personnelle) :  

 

Texte d’origine

L’impératrice

Ick wet my ment de doet
was ick ny vor vert so grot
Ik mende he si nicht al bi sinne
bin ik doch junck unde ok ein keiserinne
Ik mende ik hedde vele macht
up em hebbe ik ny gedacht
Ofte dat jement dede tegen mi
och lat mi noch leven des bidde ik di

La Mort

Keiserinne hoch vor meten
my duncket du heest myner vor gheten.
Tred hyr an it is nu de tyt
du mendest ik sold di schelden quit
Nen al werstu noch so vele
du most myt to dessem spele
Unde gi anderen alto male
holt an volge my her kerdenale

Le Cardinal 

Ontfarme myner here salt schen
ik kan deme gensins entflen
Se ik vore efte achter my
ik vole den dot my al tyt by
Wat mach de hoge saet my baten
den ik besat ik mot en laten
Unde werden unwerdiger ter stunt
wen en unreine stinckende hunt

La Mort

Du wasst van state gelike
en apostel godes up ertryke
Umme den kersten loven to sterken myt
worden unde anderen dogentsammen werken.
Men du heest mit groter hovardichit
up dinen hogen perden reden
Des mostu sorgen nu de mere
Nu tret ok vort her konningck here

Traduction en français

[…]

L’Impératrice

Je sais, la mort signifie moi. 
Jamais je n'ai ressenti telle terreur. 
J'ai cru à la faute dans son adresse, 
Car je suis jeune et Impératrice par devant tout. 
Je pensais détenir le pouvoir, 
Je ne pensais pas à elle, 
Ou que n'importe qui pouvait me toucher. 
Oh, laisse-moi vivre un peu plus longtemps, je t'en supplie !

La Mort

Impératrice présomptieuse, il me semble 
que mon existence vous a échappé. 
Venez ici s'il-vous-plaît. Le temps est venu. 
Vous espériez que je vous laisserai ? 
Impossible. Même si vous étiez si nombreux, vous devez affronter votre sort 
Et tous les autres - 
Tenez bon ! et vous, Cardinal, venez avec moi

Le Cardinal

Aie pitié, Seigneur ! Si c'est ainsi, 
je ne peux rien faire, je ne peux y échapper. 
Que je regarde en avant, que je regarde en arrière, 
Je puis voir la Mort sur mes talons. 
A quoi sert le haut rang que j'avais ? 
Il me faut y renoncer.
Et devenir d'ici peu, plus indigne 
Qu'un chien impur et puant

 

La Mort

Par votre charge, vous aviez un statut égal 
A celui d'un apôtre de Dieu sur Terre. 
Votre tâche était de confirmer la foi chrétienne 
Par vos actes vertueux et vos nobles discours. 
Mais vous vous êtes laissé aller, 
Assis sur le grand cheval de l'arrogance, à des discours creux. 
C'est pourquoi une grande charge de chagrins vous attend 
Maintenant, honorable roi, c'est à votre tour de danser
[...]

Commentaire :

  • Bernt Notke [1435- 1509 ?] est un peintre et sculpteur allemand de la fin du Moyen Âge. Installé à Lübeck, il devient, de son vivant, un artiste renommé en Europe du Nord. Son principal chef d’oeuvre représentant Saint George terrassant le dragon est visible à Stockholm. Il est également l’auteur de deux danses macabres très semblables alliant texte et représentation picturale, réalisées à Lübeck et à Reval (actuellement Tallinn). Seule celle exposée dans l’église Saint-Nicolas de Tallinn a traversé le temps.
  • Réalisée en 1460, cette fresque, qui a la particularité d’être la seule danse macabre peinte sur toile, faisait à l’origine 30 mètres de long mais seule une partie longue de 7 mètres, et présentant 13 personnages, a été conservée. Elle a été restaurée à Moscou dans les années 60.
  • Dans une danse macabre, le personnage de l’Impératrice représente le double de l’Empereur mais aussi, en général, les femmes mariées tandis que la servante est l’allégorie des femmes célibataires. Notons qu’en général, les femmes sont moins représentées que les hommes dans les danses macabres, d’où l’intérêt de l’extrait choisi.
  • La structure du texte dénote par son originalité : tous les vers se composent de 8 lignes, chaque « participant » utilise son vers pour se plaindre de devoir participer à la danse. La mort répond quant à elle avec 7 lignes. La 8 ème ligne sert à passer au personnage suivant dans la séquence. Cette structure n’est utilisée que dans une seule autre danse macabre, espagnole : la Danza General de la Muerte.