Au milieu du XIXème siècle, une réflexion nouvelle consacrée au corps émerge en Europe.

Parmi les pères fondateurs de la culture physique et des centres de remise en forme se trouve Antoine Hippolyte Trilhac dit Hippolyte Triat [1812-1881]. Son influence fut majeure pour Edmont Desbonnet [1868-1953], le véritable fondateur de la culture physique pour laquelle il créé une méthode en 1885. Attirant dans son école une très large clientèle allant des anonymes à Pierre Loti en passant par le Général Estienne, il milita aussi en faveur de l’éducation physique à l’école.

Liant beauté physique, santé du corps et de l’esprit, dans une filiation assumée remontant à la Grèce antique et à ses canons esthétiques, la culture physique ne tarde pas à se répandre dans la société occidentale,  en premier lieu chez les hommes. Une littérature abondante sur le sujet est publiée, ainsi que des cours et des machines spécifiques. Des revues sont créées comme L’éducation physique dont le premier numéro paraît en 1902.

Très vite, l’idée d’un concours de beauté plastique émerge et se met en place au cours de l’année. Il est, dans un premier temps réservé aux hommes. Les extraits proposés reviennent sur une partie de l’esprit accompagnant la culture physique, la notion de beauté qui l’accompagne et, par extension, les premiers concours de beauté masculine, dont les valeurs, qui ne restent qu’en partie éloignées du futur concours Miss France, ne semblent pas faire débat au sein de la société. Une lecture plus attentive permet également de relever une certaine idée de l’égalité homme-femme relativement inédite …


Extrait n° 1 : mesdames, exigez un homme beau !

Qu’est-ce qu’un homme beau ? À cette question, plus d’un sourire s’esquissera sur vos lèvres, amies lectrices et selon que vous serez blondes ou brunes, sentimentales ou romanesques, vous me répondrez : C’est un homme grand, à la moustache blonde et aux yeux bleus, ou bien c’est un brun, à la taille élancée et aux yeux noirs. Question de goût, question de tempérament.

Si, par contre l’on interroge vos maris, l’on se heurte aux réponses suivantes : Est-il maigre et chétif, il vous dira que pour lui, un homme beau est un homme mince, élancé et à la tournure élégante. Est-il obèse, il vous répondra qu’il n’aime pas les gringalets et que son idéal de beauté fait partie de la Société des Cent kilos.

Mais pas plus la femme que le mari répondra : Un homme beau c’est un homme aux traits énergiques, au torse d’athlète, ayant une académie superbe et des formes impeccables. La raison en est bien simple : c’est que la femme, et à ce point de vue je ne saurai trop la louer, juge les hommes d’après son mari qui est son idéal de beauté à elle et généralement il possède une anatomie plutôt défectueuse […]

Eh bien ! Mesdames, pourquoi n’exigeriez vous pas de vos maris qu’ils soient forts et bien proportionnés ? Ne réclamons-nous pas de vous, non seulement la régularité des traits, mais aussi la beauté du corps? Alors, pourquoi cette injustice ? Mesdames, mettez-vous en grève et de même que l’on tuait à Sparte les enfants mal conformés, n’accordez votre main qu’à un homme bien constitué qui puisse vous donner de beaux et de solides enfants […]

L. Bally La beauté chez l’Homme, L’Éducation physique : revue sportive illustrée, mensuel, n°1, 1er février 1902, page 34, extrait

Extrait n°2 : beauté et santé

[…] Devant cette déchéance lamentable de l’être humain sombré dans la laideur universelle, ne devons-nous pas essayer de relever le niveau physique de la nation comme on a réussi à hausser le niveau intellectuel ? Et alors qu’on améliore avec des soins infinis la race chevaline, que la perfection des espèces animales diverses est l’objet de toutes les sollicitudes, on ne pousserait pas le cri d’alarme en faveur de l’homme déchu ? Assistera-t-on plus longtemps à cette anomalie extraordinaire : des foules réunies regardant courir des jockeys hideux sur des chevaux superbes ? […]

La beauté réelle comprend donc à la fois l’ensemble harmonieux des formes extérieures, des groupes musculaires et le développement proportionné des organes convenus dans les grandes cavités viscérales.

Combien peu ont une conception fidèle de la beauté réelle ?

Combien de jeunes hommes et d’époux orgueilleux de leurs belles poupées et que captivent, seules, des toilettes rénovatrices de séduction ! Combien de jeunes filles et de jeunes femmes, dans une injuste répartition de leurs admirations aberrantes, ne jaugent l’homme qu’à la disposition et à l’arrangement du vêtement moderne, attentat à l’esthétique ! Le pâle éphèbe ou l’excentrique et dégingandé gommeux résument, à leurs yeux, toutes les élégances plastiques. L’on voit aussi, illogisme puéril ! des hommes soupeser pour ainsi dire la beauté physique d’une femme, critiquer avec mépris des formes déchues qui furent souvent honorables et ils ne s’aperçoivent pas à quel point eux-mêmes sont précaires dans leur valeur morphologique. Pour avoir ce droit au désir et à la possession de la beauté, ils devraient un instant se dire qu’ils ont le devoir, eux-mêmes, d’apporter ce qu’ils sont les premiers à exiger ou à convoiter : beauté et échange de beauté, santé et force pour santé et force : c’est la loi naturelle, la loi de sélection qui dans l’échelle zoologique est respectée le plus souvent, et qui, dans l’espèce humaine est au contraire le plus souvent violée.

Mais pourtant, malgré la médiocrité physique générale, elle existe cette Beauté réelle, et des êtres d’exception se trouvent, hommes ou femmes, beaux comme des dieux ou des déesses. Si les arts se perpétuent à travers les siècles, c’est que des types de beauté vivante sont encore qui attestent l’œuvre triomphale et idéale de la Création. Ils sont un reflet de la Divinité telle que nous la concevons matérialisée, comme le génie est l’écho terrestre du Verbe de la Pensée supérieure. […]

Il serait très beau évidemment de développer des corps d’hommes et de femmes qui atteindraient la ressemblance de ceux d’Apollon, d’Achille, de Mars, d’Hercule et des nombreuses Vénus polymorphes de marbre et de bronze, mais pourquoi ne rêverions-nous pas d’une plastique idéale nouvelle en rapport d’adaptation avec le reflet intellectuel, les besoins, les tendances, les aptitudes de notre époque moderne ? […]

Docteur Dartigues, La beauté plastique et la culture physique devant la maladie et la mort, L’Éducation physique : revue sportive illustrée, mensuel, n°1, 1er février 1902, page 29

 

Extrait n° 3 : le concours de beauté, prolongement naturel de la pratique culturiste

Le 1er avril 1902, la revue lance « un concours de beauté plastique et musculaire ». En voici les règles ainsi que le premier résultat, publié dans le numéro du mois d’août. Seules les photos et les mensurations des participants sont indiquées au lecteur.

[…] Les règles sont alors simples : les amateurs voulant prendre part à ce concours, devront envoyer leur photographie à l’Éducation physique, avant le 30 mai. Toute latitude est laissée dans le choix des poses, à condition que le corps de l’athlète soit nu. Un jury décernera aux vainqueurs les prix suivants : 1er prix .- Une médaille artistique en argent […]

Avis – Envoyer avec la photographie les mensurations exactes et indiquer de quelles façons et par quels appareils on est arrivé à ce développement

L’Éducation physique : revue sportive illustrée, mensuel, n°3, 1er avril 1902, pages 3 à 5

Photos des résultats publiés dans le numéro d’août :

 

Pour aller plus loin :

CAMPILLO Philippe, PORROVECCHIO Alessandro, « La conception de la beauté corporelle dans « La Culture Physique » : la recherche de l’idéal antique », Staps, 2018/1 (n° 119), p. 11-25. Disponible ICI