Le décès de Geneviève Fontenay, en ce début du mois d’août 2023, a été l’occasion de rappeler le rôle central qu’elle joua dans la tenue du concours Miss France durant plusieurs décennies.
Mais ce serait oublier qu’avant Geneviève de Fontenay et son mari, Maurice de Waleffe en fut le véritable fondateur en 1920. Maurice Eugène Hubert Cartuyvels dit Maurice de Waleffe [14 juillet 1874- 3 mars 1946] est un journaliste et écrivain français, d’origine belge. Après avoir quitté la Belgique en 1894, il s’installe à Paris pour faire carrière. Il est naturalisé français en 1912. Admirateur de Mussolini et des régimes totalitaires dans les années 30, auteur de plusieurs comédies, directeur du quotidien Paris-Midi de 1911 à 1944, il est surtout le créateur en 1920 du concours de « La plus belle Femme de France », premier nom du concours de Miss France. En 1933, Raymonde Allain, Miss France 1928, le décrit ainsi : « Monsieur de Waleffe, c’est Janus […]. D’un côté, il représente les plus vieilles traditions de la chevalerie ; de l’autre, les méthodes les plus américaines du commerce contemporain« .
En 1921, pour les colonnes de la revue Comoedia Illustré, il revient sur l’origine et le fonctionnement du concours et sa rapide adoption par un certain nombre de pays. Ses propos illustrent également sa conception particulière de la beauté féminine et de son utilité… pour la race !
Comoedia Illustré me demande d’expliquer à ses lecteurs comment et pourquoi l’idée me vint d’utiliser le cinéma et la grande presse quotidienne pour désigner au suffrage universel l’idéal obscur de la race en matière de beauté.
Ce n’est pas aux abonnés de cet élégant magazine qu’il est nécessaire de développer l’intérêt que présente la recherche de la beauté, cette fleur de la vie. La botanique nous enseigne que la fleur n’est qu’une réclame. La nature la colore et la parfume pour attirer l’insecte, afin que celui-ci porte le pollen d’un calice à l’autre. Ainsi la fleur a été créée pour la plante, non la plante pour la fleur. Mais, s’il n’y avait pas de fleurs, nous donnerions-nous la peine de cultiver les plantes ? De même, la beauté féminine est un truc du Créateur pour nous engager à perpétuer sa création, à laquelle iI a la faiblesse de tenir, toute mal réussie qu’elle soit. La beauté n’est qu’un moyen, dont le but est la perpétuation de l’espèce.
Mais, sans cette beauté nous donnerions-nous la peine de vivre ? Or, aux habitants des villes, qui n’ont ni les forêts, ni les plaines, ni les mers, ni les montagnes, la femme doit tenir lieu de toutes les beauté de la nature. […]
Voilà l’intérêt humain de la beauté. Mais quel est l’intérêt de la définir par des concours ? Il est double. D’abord, en mettant la splendeur physique au concours, on la force à se montrer. Ensuite, le choix de la majorité indiquera le type instinctif d’une nation.
Pour la première fois, avec les foules françaises qui votèrent dans les cinémas, le peuple français aura eu la parole, et non plus tel ou tel artiste sculptant un visage de fantaisie.
On ne pouvait songer, cependant, à faire défiler sur l’écran toutes les candidates.
Dès le premier appel du Journal, il s’en était présenté 1.600. Un jury d’artistes en sélectionna 49. Pourquoi 49 ? Oh ! Ce chiffre n’eut rien de kabbalistique. Il fut dicté par la nécessité de les grouper en séries. […]
Tous les sept jours, on se trouvait donc devant sept portraits ayant paru, un par un, dans les colonnes d’un grand journal quotidien. En prolongeant ces premières élections pendant sept semaines, on obtenait sept triomphatrices concourant enfin entre elles pour le titre suprême. Celui-ci échut à une jeune fille de Biarritz, Mlle Agnès Souret.
Mais Mlle Agnès Souret, sacrée la plus belle femme de France, n’était jamais, après tout, que la plus belle des seize cents qui s’étaient présentées. On nous reprocha que le choix des 49 avait eu lieu à Paris. Combien de Provinciales n’avaient pu venir à Paris ? Ainsi naquit l’idée d’un second concours, où chaque province désignerait sur place sa représentante à l’écran.
Ce second concours s’est déroulé ce printemps, après que 40 jurys locaux eurent fonctionné dans toute la France. Il a abouti à l’élection de la Reine des Provinces, Mlle Pauline Pô, encore une très jeune fille de dix-sept printemps, comme Mlle Souret. La France se trouve ainsi avoir tout à coup deux reines. Laquelle est la bonne ? A une année de distance, elles ont été élues à peu près dans les mêmes cinémas, par les mêmes foules. Mais un facteur est intervenu pour la seconde, l’esprit de clocher, le patriotisme local. Les Corses avaient fait élire Mlle Pauline Pô reine des sept provinces du Midi. Quand la reine du Midi entra en compétition finale avec la reine du Nord, de l’Ouest, de l’Est, du Centre, etc., ce furent tous les Méridionaux qui firent de son élection une question d’amour-propre géographique.
De sorte que je serais d’avis de maintenir à Mlle Agnès Souret, la reine du concours de 1920, où aucune rivalité de province ne se mêlait à la rivalité purement esthétique, son titre, et d’admettre que les 49 reines des provinces au concours de 1921 ont chacune leurs charmes, entre lesquels il est impossible de trancher, précisément parce que chacune exprime une race, une individualité, indéracinable, qui n’a pas à s’incliner devant la race voisine. […]
L’album de la beauté française suscita à l’étranger une vive curiosité. Les autres nations se piquèrent au jeu. La première, la Belgique me demanda d’organiser dans les colonnes du plus répandu des journaux belges, la Dernière Heure, un concours à l’instar de Paris. Un jury de peintres et de sculpteurs bruxellois convia les concurrentes. Elles vinrent au nombre de 8oo, de toutes les provinces du royaume. Nous vîmes des carnations éblouissantes, et des chevelures dorées qui enveloppaient la femme comme une fourrure ! 21 furent admises aux honneurs de l’écran. L’élue des foules belges fut une jeune Bruxelloise de vingt ans, Mlle Anny Duny. L’album édité par Comœdia illustré la montre dans l’éclat d’une jeunesse plus grasse et plus épanouie que celle de nos jeunes Françaises, la rose au lieu de l’orchidée.
Le Portugal, à son tour, brûle d’entrer en lice. Un grand journal de Lisbonne, El Diario do Noticias, d’accord avec le Portugalia-Film, est parti en chasse à travers les huit provinces de la vieille et héroïque terre lusitanienne. Il indique lui-même le rare intérêt ethnique que présentera son concours, dans l’article où il veut bien me remercier de lui en avoir suggéré l’idée : « La région d’Aveiro se recommande par le type phénicien de ses femmes, des lignes pures, la correction du profil et la souplesse de l’ensemble. La femme de Minho est forte, robuste, avec une carnation à la Rubens. La femme des Algarves a le type maure, les yeux noirs et enflammés, les cheveux de jais, la peau bistrée.»
L’album de la beauté portugaise promet d’être une curiosité. Il sera piquant de le comparer à celui de sa rivale séculaire, la beauté espagnole. Celui-là aussi, nous l’aurons ! […] Enfin le concours de toutes les provinces d’Italie est en gestation. Un journal de Rome en examine à cette heure la mise en pratique […]
France, Belgique, Portugal, Espagne, Italie… Ceci devait donner la tentation d’étendre ce tournoi à toute la race latine. Dix-neuf républiques de sang latin s’étagent entre le cap Horn et la frontière mexicaine, où des climats étonnamment divers, et çà et là le mélange d’une goutte de sang indien, ont introduit des différences de type que l’Européen ne soupçonne pas toujours.
Ces républiques ont accepté. La première à s’ébranler fut la grande république de quatorze millions d’âmes qui tient la tête au nord, la République mexicaine. Le plus important journal de Mexico, El Universal, a publié le portrait de la seniorita Maria de las Mercedes Manero, proclamée la plus belle femme du Mexique par un jury qui avait convoqué à l’hôtel de ce journal les candidates en personne.
[…] Les lecteurs de Comœdia illustré auront donc la surprise, dans quelques mois, d’un album qui sera le livre d’or des fleurs du Nouveau Monde, où la Péruvienne, née du sang andalou et du sang sacré des Incas, contrastera avec la Chilienne née du sang galicien et du dur sang araucanien, la dame lettrée de Bogota (qui se prétend l’Athènes de l’Amérique) avec la beauté de Caracas, et la hautaine Argentine avec la Brésilienne ensoleillée.
Les villes de la Côte d’Azur ont l’intention de convier à une semaine de fêtes véritablement inouïes, cet hiver, la plus belle femme de chaque pays du monde. La Turque et l’Hindoue, la Chinoise et la Japonaise se joindront à leurs sœurs d’Occident pour tenir une Cour de beauté renouvelée du moyen âge, mais comme le temps des troubadours n’en vit jamais, et pour cause !
Et puis ? m’objecteront les esprits chagrins. Et puis ? Quand vous aurez fait tout cela, qu’en restera-t-il ? « Toute chair est fragile, et sa gloire passe comme l’herbe » a dit l’Ecriture. Que restera-t-il de toutes vos fières beautés dans cinquante ans, ou seulement dans vingt ans d’ici ?
Eh ! Il restera d’abord les albums dont je parle, et qui porteront aux époques futures les lettres de noblesse esthétique de la nôtre ! Il restera ensuite une atmosphère plus respectueuse créée autour de la beauté féminine, autour de laquelle nos vieux préjugés chrétiens entretenaient comme une sorte de gêne et d’équivoque. Les hommes s’habitueront à saluer dans la figure de la femme la figure même de la patrie. N’est-ce donc rien ?
MAURICE DE WALEFFE.
Maurice de Waleffe « Les concours de beauté », revue Comoedia Illustré, journal artistique bi-mensuel, 1er juillet 1921, extraits p. 512-515.
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