Dès sa création, le concours de Miss France fait l’objet de critiques et de remarques sur sa pertinence et son déroulé de la part d’observateurs divers, y compris de la part de certaines Miss telles que Raymonde Allain, miss France 1928.

 

Parmi les premiers critiques, de toutes tendances, se trouve Anselme Adrien Raymond Lévy dit Adrien Vély [  Journaliste, romancier, scénariste de films et auteur dramatique prolifique, il rédige cet article d’opinion publié dans le journal Le Gaulois, représentatif des interrogations d’alors.


La plus belle Femme de France

C’est Mlle Agnès Souret. Et, si son prénom n’est pas menteur, elle n’est pas seulement la plus belle femme de France, elle en est aussi la plus sage. Et nous devons féliciter le suffrage universel qui a désigné souverainement, parmi toutes les Françaises, la plus sage et la plus belle.
Car c’est par le suffrage universel que Mlle Agnès Souret a été proclamée telle : 114 994 voix se sont réunies sur son nom et lui ont donné une belle majorité. Cette majorité, à son tour, est-elle aussi sage que belle ? C’est ce que l’on peut se demander.

On se souvient des conditions du concours du Journal. Pendant de longs jours parurent successivement, sur les écrans en-même temps qu’à la première page de notre confrère, les portraits photographiques des concurrentes à ce prix de beauté. C’est le public lui-même qui devait juger des mérites divers de celles-ci par ses suffrages. Le public ne se borna pas à voter : il se laissa aller aussi à manifester. Certaines des candidates furent saluées par des applaudissements ; certaines autres firent partir des coups de sifflet. La foule ne garde pas plus de mesure dans les faveurs que dans les disgrâces qu’elle prodigue.

Je ne voudrais causer à Mlle Agnès Souret aucune peine, même légère. Je suis sûr qu’elle est très, très jolie. Mais je ne suis pas certain qu’elle soit la plus belle femme de France, et cela pour plusieurs raisons. La première est que le suffrage universel est mauvais expert en la matière, comme en beaucoup d’autres matières, d’ailleurs. Ce n’est pas tout à fait son affaire de décréter la beauté. Il est trop sensible, trop nerveux, trop impressionnable, et ajoutons trop peu cultivé pour discerner la vraie perfection. Quand cette perfection existe, réalisée par le Créateur ou par un grand artiste, sanctionnée par l’admiration des fidèles ou l’avis des connaisseurs, la foule subit son puissant attrait. Mais celle-ci est malhabile à la découvrir elle-même.

D’autre part, en admettant que Mlle Agnès Souret soit la plus belle, elle ne saurait l’être que parmi celles-là seulement qui ont pris part au concours. Or, la beauté la plus pure et la plus séduisante n’est-elle pas celle qui s’ignore ? La femme qui se dit qu’elle est belle et qui veut le prouver publiquement perd déjà, du fait de cette seule ambition, une bonne partie de son agrément. Comme dit le proverbe : qui veut trop prouver ne prouve rien. Je suis convaincu que le nombre des femmes de France qui n’ont pas pris part au concours, et qui auraient eu les meilleures raisons et les meilleures chances pour y prendre part, est bien plus considérable que le nombre de celles qui ont décidé de l’affronter.
Et je suis convaincu que, parmi celles-là, il se trouve d’incomparables beautés. Et je suis encore convaincu qu’il se trouve, quelque part, en France, une femme qui les dépasse toutes en perfections physiques, et qui peut prétendre à être la plus belle.

Et encore, non. Car, si elle est la plus belle pour moi, elle ne sera pas la plus belle pour mon voisin. Chacun a ses idées particulières à cet égard. La Vénus de Milo passe, et à juste titre, pour réaliser la beauté accomplie du visage. Est-il beaucoup d’hommes qui la demanderaient en mariage, même si elle avait des bras ? La plus belle femme de France, pour chacun de nous, c’est celle qui, à tort ou à raison, nous paraît la plus belle. Et il arrive même quelquefois qu’elle est laide.

Mais j’irai encore plus loin. La femme qui nous paraîtra la plus belle, eh bien, nous n’aurons qu’à fermer les yeux pour en voir apparaître une autre, plus belle encore. Car la femme la plus belle, c’est celle que notre esprit, notre cœur, notre imagination parent pour nous des grâces les plus irréelles, celle à qui nous pensons dès l’âge de dix-huit ans et après laquelle nous courons tant que nous avons la force de courir celle, en somme, que nous n’avons vue et que nous ne verrons jamais.

Adrien Vély

Adrien Vély La plus belle femme de France, Journal quotidien Le Gaulois, 14 mai 1920, page 1

 

Document complémentaire :

caricature autour du concours Miss France, par Jean Chaperon, 1920

Caricature publiée dans le « Journal amusant, N°53 du samedi 15 mai 1920, page 16