Les vampires et autres revenants font aujourd’hui partie du folklore populaire et de la culture pop. globalisée, aidés par l’émergence de figures littéraires et cinématographiques fortes comme Dracula, Nosferatu ou Lestat. Mais ce serait oublier les origines culturelles profondes de ces créatures, venues principalement d’Europe de l’Est et les différentes manières de s’en débarrasser que l’archéologie redécouvre ces derniers temps.

Au siècle des Lumières, où la raison, la science et la rationalité triomphent peu à peu de l’obscurantisme religieux et des superstitions, la question des vampires s’invite dans l’oeuvre de l’abbé Augustin Calmet [1672-1757]. Il est ordonné prêtre le  à Arlesheim, près de Bâle, et dit sa première messe à l’abbaye de Munster, le .

Installé dans l’abbaye bénédictine de saint Pierre de Senones à partir de 1728, Calmet consacre une partie de sa vie à l’érudition et rédige des ouvrages divers consacrés à l’histoire de la Lorraine, des commentaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament et plusieurs histoires consacrées aux diverses abbayes de sa région.

Réputé pour son sérieux, c’est dans ce contexte qu’il publie en 1746 un ouvrage aux antipodes de ses centres d’intérêts, intitulé : Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenants de Hongrie, de Moravie et de Silésie. Le tome 2 suit en 1751, malgré les moqueries de certains comme Voltaire qui n’en saisit pas l’intérêt. Pourtant, ce traité constitue en lui-même une somme incontournable pour appréhender le phénomène des vampires, considéré comme une superstition dépassée au XVIIIème siècle pour les uns mais qui s’affirme aussi  comme une source de fascination et d’inquiétudes pour les autres. Reposant sur une somme de témoignages qu’il cherche à collecter aux sources jugées les plus fiables, l’abbé Calmet fait cependant preuve de rationalisme en démontrant que certains cas ne relèvent pas du surnaturel mais de la médecine, tout en n’oubliant pas les intérêts de l’Église comme le montrent les extraits suivants issus du tome 2 :


Extrait n°1

[…]Sur la fin du siècle seizième et au commencement du dix-septième, on ne parlait en Lorraine que de sorciers et de sorcières. Il n’en est plus question depuis longtemps. Lorsque la philosophie de Monsieur Descartes parut, quelle vogue n’eut-elle pas ? On méprisa l’ancienne philosophie ; on ne parla plus que d’expériences physiques, de nouveaux systèmes, de nouvelles découvertes. Monsieur Newton vient de paraître : tous les esprits sont tournés de son côté. Le système de Monsieur Law, les billets de banque, les fureurs de la rue Quinquampoix. […]

Dans ce siècle une nouvelle scène s’offre à nos yeux depuis environ soixante ans dans la Hongrie, la Moravie, la Silésie, la Pologne : on voit, dit-on, des hommes morts depuis plusieurs mois, revenir, parler, marcher, infester les villages, maltraiter les hommes et les animaux, sucer le sang de leurs proches, les rendre malade, et enfin leur causer la mort ; en sorte qu’on ne peut se délivrer de leurs dangereuses visites et de leur infestation, qu’en les exhumant, les empalant, leur coupant la tête, leur arrachant le cœur, ou les brûlant. On donne à ses revenants le nom d’Oupire, ou Vampires, c’est-à-dire sangsues, et l’on en raconte des particularités si singulières, si détaillées, et revêtues de circonstances si probables, et d’informations si juridiques, qu’on ne peut presque pas le refuser à la croyance que l’on a dans ces pays, que ses revenants paraissent réellement sortir de leurs tombeaux, et produire les effets qu’on en publie.

L’Antiquité n’a certainement rien vu ni connu de pareil. On parcourt les Histoires des Hébreux, des Égyptiens, des Grecs, des latins ; on n’y rencontrera rien qui en approche. […]

On cite quelques passages, qui prouvent qu’en certain temps on s’est imaginé que les sorciers suçaient le sang des hommes et des enfants, et les faisait mourir. On vit aussi au XIIe siècle en Angleterre et en Danemark quelques revenants semblables à ceux de Hongrie. […]

L’Antiquité chrétienne fournit quelques exemples de personnes excommuniées, qui sont sortis visiblement et à la vue de tout le monde de leurs tombeaux et des églises lorsque le diacre ordonnait aux excommuniés et à ceux qui ne communiaient point aux saints mystères de se retirer. Depuis plusieurs siècles on ne voit plus rien de semblable, quoiqu’on ignore pas que les corps de plusieurs excommuniés, mort dans l’excommunication et dans les censures, sont inhumés dans les églises. […]

De quelque manière qu’on en pense, je me saurais bon gré d’avoir approfondi une question, qui m’a paru importante pour la religion : car si le retour des vampires est réel, il importe de le défendre et de le prouver ; et s’il est illusoire, il est de conséquence pour l’intérêt de la religion de détromper ce qui le croit véritable, et de détruire une erreur qui peut avoir de très dangereuse suite. […]

Extraits de la préface, pages IV à X

Extrait n°2 :

Dans l’extrait suivant, Calmet s’appuie sur un ouvrage qui aurait été rédigé par l’avocat épiscopal Charles Ferdinand de Schertz intitulé Magia Posthuma, et imprimé à Olmutz en 1706. Cet ouvrage est considéré comme le premier livre consacré aux vampires. L’auteur, décédé en 1723, avait été amené à enquêter sur des cas de vampirisme et des des lynchages de morts dans le nord de la Moravie, autour de la ville de Libava (est de la Tchéquie actuelle). Il rapporte ainsi plusieurs cas de morts revenus à la vie, repris par Calmet. L’un des passages choisi rappellera aux connaisseurs une des transformations de Dracula imaginée par Bram Stocker …

[…] L’Auteur raconte, qu’en un certain village, une femme étant venue à mourir munie de tous les sacrements fut enterrée dans le cimetière à la manière ordinaire. Quatre jours après son décès, les habitants du village ouirent un grand bruit et un tumulte extraordinaire, et virent un spectre qui paraissait tantôt sous la forme d’un chien, tantôt sous celle d’un homme, non à une personne, mais à plusieurs, et leur causait de grandes douleurs, leur serrant la gorge, et leur comprimant l’estomac jusqu’à les suffoquer : il leur brisait presque tout le corps, et les réduisait à une faiblesse extrême, en sorte qu’on les voyait pâles, maigres, et exténués.

Le spectre attaquait même les animaux, et l’on a trouvé des vaches abattues et demi-mortes ; quelquefois il les attachait l’une à l’autre par la queue. Ces animaux par leurs mugissements marquaient assez la douleur qu’ils ressentaient […] Ces calaminés durèrent plusieurs mois. […]

[…] Il rapporte plusieurs exemples de pareilles apparitions, et des mots qui s’en sont ensuivis ; comme d’un pâtre du village de Blow, près de la ville de Kadam en Bohème, qui parut pendant quelque temps, et qui appelait certaines personnes, lesquels ne manquaient pas de mourir dans la huitaine. Les paysans de Blow déterrèrent le corps de ce pâtre, et ils le fichèrent en terre avec un pieu, qui lui passèrent à travers le corps.

Cet homme en cet état se moquait de ceux qui lui faisaient souffrir ce traitement, et leur disait qu’ils avaient bonne grâce de lui donner ainsi un bâton pour se défendre contre les chiens. La même nuit il se releva, et effraya par sa présence plusieurs personnes, et en suffoquant plus qu’il n’avait fait jusqu’alors. On le livra ensuite au bourreau, qui le mit sur une charrette pour le transporter hors du village et l’y brûler. Ce cadavre hurlait comme un furieux, et remuait les pieds et les mains comme vivant ; et lorsqu’on le perça de nouveaux avec des pieux, il jeta de très grands cris, et rendit du sang très vermeil, et en grande quantité. Enfin on le brûla, et cette exécution mit fin aux apparitions et aux infestations de ce spectre. […]

Extraits du chapitre VII « Venons à présent à l’examen du fait des revenants de Moravie » pages 31-35

Note : par commodité de lecture, l’écriture a été modernisée.

Source : Abbé Augustin Calmet, Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenants de Hongrie, de Moravie, etc.. Avec une lettre de M. le marquis de Maffei sur la magie, Tome 2 , Paris, Debure l’aîné, 1751, avec approbation et privilège du Roi, 483 pages.

 

Pour aller plus loin :

-OREšKOVIć Luc, « Le thème des lycanthropes et des vampires, de Dom Calmet à l’abbé de Fortis : une approche des pays de confins », Dix-huitième siècle, 2010/1 (n° 42), p. 265-284. Disponible ICI


Supplément pop culture : »Thriller », 1983

Clip réalisé par John Landis, sur un scénario de John Landis et de Michael Jackson

Durée : 13’43