Le personnage d’Alexandre le Grand fit, dès l’Antiquité, l’objet d’une récupération, d’une identification ou d’une comparaison de la part des puissants. D’abord de certains diadoques, à l’instar de Ptolémée ou d’Eumène puis d’hommes comme Pompée, César ou encore Marc-Antoine.
À côté d’une image idéalisée du conquérant macédonien et de sa geste, coexiste une critique parfois violente du personnage chez des philosophes ou des poètes.
Sénèque, dans l’une de ses Lettres à Lucilius, s’interroge ainsi sur la « santé mentale » du fils de Philippe II et évoque sa rage à « dévaster le bien d’autrui » lorsque Lucain, dans La Pharsale, le qualifie, entre autres, de « fatal fléau de la terre » et d’ « astre du malheur pour le genre humain ».
Les deux courts textes présentés ici sont issus de l’excellente monographie de Claude Mossé, Alexandre, La destinée d’un mythe,Payot, 2001, p.216-217.


Alexandre selon Sénèque

« C’était la rage de dévaster le bien d’autrui qui poussait le pauvre Alexandre et le lançait dans l’inconnu. Peut-on créditer de santé mentale un homme qui commence par ravager la Grèce, son institutrice, ravit à chaque État ce qu’il a de plus précieux, aux Spartiates l’indépendance, aux Athéniens la parole, puis, non content de la ruine de tant de cités que Philippe avait conquises, par les armes ou par l’argent, s’en va renverser ça et là d’autres villes et promener son armée par toute la terre, sans que nulle part sa cruauté épuisée s’arrête, pareil à la bête féroce qui, la faim ayant son compte, s’en va mordre. »

(Lettres à Lucilius, XV, 94,62). D’après Claude Mossé, op.cit, p.216.

 

Alexandre selon Lucain

« Il abandonna le pays des Macédoniens et les retraites de ses aïeux, il méprisa Athènes vaincue par son père; poussé à travers les peuples de l’Asie par l’entraînement de ses destins, il se précipite en entassant les cadavres et lance son épée par toutes les nations; il trouble des fleuves inconnus, l’Euphrate par le sang des Perses, le Gange par le sang des Indiens; fatal fléau de la terre, foudre frappant également tous les peuples, astre du malheur pour le genre humain. »

(La Pharsale, X, 1-52) ». D’après Claude Mossé, op.cit, p.217.