La question palestinienne est depuis plus d’un siècle la source de conflits divers, non seulement au Moyen-Orient mais aussi dans le monde. Très tôt, et parallèlement à l’émergence du nationalisme arabe, la question de l’affrontement entre les deux peuples est posée par certains intellectuels du monde arabe qui observent l’apparition du mouvement sioniste.
C’est le cas avec Négib Azoury [1873-1916], écrivain et homme politique né à Beyrouth, de confession chrétienne maronite. Après des études en France et à Istanbul, il devient un fonctionnaire ottoman dans le sandjak de Jérusalem, adjoint du gouverneur de la Ville Sainte. Après un conflit avec ce dernier, il quitte son poste sans autorisation, raison pour laquelle l’Empire ottoman le condamne à mort. Réfugié en Égypte, Azoury tente également, sans succès de créer une ligue de la Patrie arabe et milite pour la création d’un État arabe indépendant.
En 1905, Azoury publie Le Réveil de la nation arabe dans l’Asie turque en présence des intérêts et des rivalités des puissances étrangères, de la curie romaine et du patriarcat œcuménique : partie asiatique de la question d’Orient et programme de la Ligue de la patrie arabe, plus connu sous le titre raccourci de : Le Réveil de la nation arabe. Cet ouvrage, dans lequel il affiche ouvertement son hostilité à la Turquie et aux Juifs, lui permet d’acquérir une certaine audience.
Influencé par Maurice Barrès, le nationalisme et l’antisémitisme, mais aussi paradoxalement par le positivisme d’Auguste Comte et la laïcité française, Azoury oppose très tôt son nationalisme arabe (et non palestinien, ce dernier n’existe pas encore) au sionisme qu’il a découvert à Jérusalem. Le début de son ouvrage n’envisage pas autre chose qu’une confrontation violente entre les deux courants. L’auteur n’envisage pas autrement les Juifs, – qu’il globalise sans s’intéresser à leur histoire, minorée voire reniée -, que comme une menace et un peuple incapable de s’assimiler, un des poncifs classiques de l’antisémitisme.
Extrait n°1 : nationalisme arabe contre sionisme
Deux phénomènes importants, de même nature et pourtant opposés, qui n’ont encore attiré l’attention de personne, se manifestent en ce moment dans la Turquie d’Asie : ce sont le réveil de la nation arabe et l’effort latent des Juifs pour reconstituer sur une très large échelle l’ancienne monarchie d’Israël. Les deux mouvements sont destinés à se combattre continuellement jusqu’à ce que l’un d’eux l’emporte sur l’autre. Du résultat final de cette lutte entre ces deux peuples, représentant deux principes contraires, dépendra le sort du monde entier. Ce n’est pas la première fois, du reste, que les intérêts de l’Europe dans la Méditerranée sont agités dans les pays arabes ; car ce territoire qui met en communication trois continents et trois mers a été, à des époques différentes, la scène où se sont déroulés des événements politiques ou religieux qui ont renversé le cours des destinées de l’Univers.
Ceux qui, jusqu’à présent, ont écrit sur la question d’Orient, ont limité leur étude aux Balkans et à la Turquie d’Europe, croyant que c’est en Macédoine que se trouve l’unique solution de ce problème ardu ; ils n’ont attaché aucune importance aux possessions asiatiques du Sultan, alors que ce sont les pays arabes qui forment le véritable nœud de l’énigme. De même, ceux qui ont traité la question juive, se sont placés à un point de vue particulier, restreint aux seuls intérêts du pays auquel ils appartenaient ; ils n’ont pas suffisamment tenu compte du caractère universel du péril. […]
Avant de peindre les Juifs tels que nous les connaissons et tels qu’ils sont aujourd’hui, nous avons voulu les faire connaitre d’abord tels qu’ils ont été, d’après la Bible, et tels qu’ils se vantent d’avoir été eux-mêmes, selon leurs livres sacrés et leurs anciennes traditions, parce que le passé d’un peuple est la plus fidèle image de son état présent et de son avenir. De cette façon, nous ne risquerons pas, comme d’autres, d’être taxé d’exagération, puisque nous aurons des preuves bibliques, divines même, si on veut, à l’appui de nos assertions. […]
Extrait de la préface
Extrait n° 2 : les Juifs, un peuple mineur
La Palestine, telle que veulent la reconstituer les Juifs d’aujourd’hui, serait beaucoup plus grande que celle qu’ils ont possédée dans les différentes phases de leur existence historique. Ni du temps de Josué, ni sous la monarchie de David et de Salomon, les Juifs n’ont pu occuper les frontières du pays naturel pour barrer le passage aux conquérants et aux envahisseurs. Même à l’époque de ces deux rois, la Palestine n’a jamais abrité dans son sein un seul et même peuple, parlant la même langue, ayant les mêmes origines historiques, professant le même culte et pratiquer les mêmes coutumes ; car les Juifs ne purent ni exterminer ni asservir les nations diverses qui habitaient la vallée du Jourdain et la terre de Chanaan. […] Les Israélites ne sont parvenus ni à s’assimiler des peuples ni à vivre en paix avec eux, mais ils étaient toujours en alerte tantôt contre les uns tantôt contre les autres […]
Ainsi, à part la question religieuse, les Juifs ne sont pas plus intéressants pour un historien qu’une tribu nomade quelconque : celle des Amalécides ou des Moabites par exemple. Au fond, les Juifs n’ont possédé de la Palestine que la rive occidentale du Jourdain et la chaîne de montagne qui s’étend à l’ouest de ce fleuve, depuis Hébron jusqu’au lac Houleh. Cependant la Bible nous montre que, même dans cette partie du pays, les Juifs étaient mêlés aux Chananéens dans des proportions considérables. […]
Extraits pages 28 à 30
Negib Azoury Le Réveil de la nation arabe dans l’Asie turque, Paris, Plon-Nourrit et Cie, , 257 pages.
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Note : Cliotexte et les Clionautes proposent une série de textes sources consacrée au conflit israélo-palestinien, par nature très complexe. Ces documents, choisis en fonction de leur accessibilité et de leur intérêt, sont avant tout proposés dans le but d’éclairer un aspect donné de ce conflit de très longue durée. La sélection n’a pas pour but d’être exhaustive. En aucun cas, la publication de ces textes ne vaut, de notre part, approbation ou condamnation d’un des camps.