Le 2 novembre 1917, la Grande-Bretagne s’engage, par la déclaration Balfour, à permettre l’établissement d’un foyer national pour le peuple juif. Suite aux accords Sykes-Picot de 1916 et après l’effondrement de l’Empire ottoman en 1918, c’est à ce titre qu’elle obtient un mandat sur la Palestine en juillet 1922.
Dans ce contexte, un premier « livre blanc » consacré à la question paraît en 1922. Ce livre blanc est également connu sous le nom « Churchill white paper » (Livre Blanc de Churchill). Winston Churchill [1874-1965] remplit à cette époque les fonctions de secrétaire aux colonies. Ce Livre blanc, long d’une trentaine de pages, et le premier du genre, est publié pour clarifier les intentions britanniques et répondre à l’opposition des Arabes de Palestine aux termes du mandat quant à l’établissement d’un « foyer national juif » et à l’immigration juive en Palestine. Cette publication intervient dans un contexte de fortes tensions. En effet, les années 1920 et 1921 ont été marquées par de fortes violences commises contre les populations juives.
Winston Churchill et ses conseillers élaborent, en étroite concertation avec Herbert Samuel, le premier Livre blanc proposant une actualisation de la politique en Palestine, en tentant de trouver un point d’équilibre entre l’engagement en faveur de l’établissement du foyer national promis aux Juifs par la déclaration Balfour et le souci de répondre aux inquiétudes des populations musulmane et chrétienne. Il s’agit pour eux de clarifier la portée du concept ambigu de « foyer national pour le peuple juif » et de réaffirmer que la présence des Juifs en Palestine était de droit et non pas tolérée – « of right and not on sufferance »[1].
Voici un premier extrait de ce livre blanc :
Version française :
Le Secrétaire d’État aux Colonies a renouvelé son examen de la situation politique actuelle en Palestine, avec un désir très sincère de parvenir à un règlement des questions en suspens qui ont suscité l’incertitude et l’agitation parmi certaines couches de la population. Après consultation du Haut-Commissaire pour la Palestine, la déclaration suivante a été rédigée. Il résume les parties essentielles de la correspondance qui a déjà eu lieu entre le secrétaire d’État et une délégation de la Société chrétienne musulmane de Palestine, qui se trouve depuis quelque temps en Angleterre, et il expose les autres conclusions auxquelles on est parvenu depuis.
La tension qui a prévalu de temps à autre en Palestine est principalement due aux appréhensions qui émanent à la fois de sections de la population arabe et de sections de la population juive. Ces appréhensions, en ce qui concerne les Arabes, reposent en partie sur des interprétations exagérées du sens de la Déclaration en faveur de l’établissement d’un foyer national juif en Palestine, faite au nom du gouvernement de Sa Majesté, le 2 novembre 1917. Des déclarations non autorisées ont été faites. On a dit que le but recherché était de créer une Palestine entièrement juive. Des expressions ont été utilisées, telles que que la Palestine doit devenir « aussi juive que l’Angleterre est anglaise ». Le Gouvernement de Sa Majesté considère une telle attente comme irréalisable et n’a pas un tel objectif en vue. Ils n’ont pas non plus envisagé, comme semble le craindre la délégation arabe, la disparition ou la subordination de la population, de la langue ou de la culture arabes en Palestine. Ils attirent l’attention sur le fait que les termes de la Déclaration mentionnée n’envisagent pas que la Palestine dans son ensemble soit convertie en un foyer national juif, mais qu’un tel foyer soit fondé en Palestine. À cet égard, il a été observé avec satisfaction que lors de la réunion du Congrès sioniste, l’organe directeur suprême de l’Organisation sioniste, tenue à Carlsbad en septembre 1921, une résolution ait été adoptée exprimant comme déclaration officielle des objectifs sionistes « la détermination du peuple juif à vivre avec le peuple arabe dans des conditions d’unité et de respect mutuel, et ensemble pour faire de la maison commune une communauté florissante, dont l’édification peut assurer à chacun des peuples un développement national serein.
Il est également nécessaire de souligner que la Commission sioniste en Palestine, désormais appelée l’Exécutif sioniste palestinien, n’a pas souhaité posséder et ne possède aucune part dans l’administration générale du pays. La position spéciale attribuée à l’Organisation sioniste dans l’article IV du projet de mandat pour la Palestine n’implique pas non plus de telles fonctions. Cette position particulière concerne les mesures à prendre en Palestine affectant la population juive et envisage que l’Organisation puisse aider au développement général du pays, mais ne lui donne pas le droit de participer à quelque degré que ce soit à son gouvernement.
En outre, il est envisagé que le statut de tous les citoyens palestiniens aux yeux de la loi soit celui de Palestinien, et il n’a jamais été prévu qu’eux, ou une partie d’entre eux, possèdent un autre statut juridique.
En ce qui concerne la population juive de Palestine, il semble que certains d’entre eux craignent que le Gouvernement de Sa Majesté ne s’écarte de la politique énoncée dans la Déclaration de 1917. Il est donc nécessaire d’affirmer une fois de plus que ces craintes sont infondées, et que cette déclaration, réaffirmée par la Conférence des principales puissances alliées à San Remo et de nouveau dans le Traité de Sèvres, n’est pas susceptible de changement.
Au cours des deux ou trois dernières générations, les Juifs ont recréé en Palestine une communauté qui compte aujourd’hui 80 000 personnes, dont environ un quart sont des agriculteurs ou des ouvriers agricoles. Cette communauté a ses propres organes politiques ; une assemblée élue pour la direction de ses affaires intérieures ; des conseils élus dans les villages et une organisation pour le contrôle de ses écoles. Il a son grand rabbinat et son conseil rabbinique élus pour la direction de ses affaires religieuses. Ses activités sont menées en hébreu, langue vernaculaire, et une presse en hébreu répond à ses besoins. Elle a sa vie intellectuelle particulière et affiche une activité économique considérable. Cette communauté, avec sa population urbaine et rurale, ses organisations politiques, religieuses et sociales, sa propre langue, ses propres coutumes, sa propre vie, présente donc en fait des caractéristiques « nationales ». Lorsqu’on demande ce que signifie le développement du Foyer national juif en Palestine, on peut répondre qu’il ne s’agit pas de l’imposition d’une nationalité juive aux habitants de la Palestine dans son ensemble, mais du développement ultérieur de la communauté juive existante. ; avec l’aide des Juifs d’autres parties du monde, afin qu’il devienne un centre dans lequel le peuple juif dans son ensemble puisse prendre, pour des raisons de religion et de race, un intérêt et une fierté. Mais pour que cette communauté ait les meilleures perspectives de libre développement et offre au peuple juif une pleine opportunité de montrer ses capacités, il est essentiel qu’elle sache qu’elle est en Palestine de droit et non de souffrance. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire que l’existence d’un foyer national juif en Palestine soit garantie internationalement et qu’elle soit formellement reconnue comme reposant sur des liens historiques anciens.
Telle est donc l’interprétation que le Gouvernement de Sa Majesté donne à la Déclaration de 1917 et, ainsi comprise, le Secrétaire d’État est d’avis qu’elle ne contient ni n’implique quoi que ce soit qui doive alarmer la population arabe de Palestine ou déception pour les Juifs.
Pour la réalisation de cette politique, il est nécessaire que la communauté juive de Palestine puisse augmenter son nombre grâce à l’immigration. Cette immigration ne peut pas être d’un volume tel qu’elle dépasse la capacité économique du pays à absorber de nouveaux arrivants à ce moment-là. Il est essentiel de veiller à ce que les immigrants ne soient pas un fardeau pour le peuple palestinien dans son ensemble et qu’ils ne privent de leur emploi aucune partie de la population actuelle. Jusqu’à présent, l’immigration a rempli ces conditions. Le nombre d’immigrants depuis l’occupation britannique s’élève à environ 25 000.
Il faut également veiller à ce que les personnes politiquement indésirables soient exclues de la Palestine, et toutes les précautions ont été et seront prises par l’Administration à cette fin.
Il est prévu qu’un comité spécial soit créé en Palestine, composé entièrement de membres du nouveau Conseil législatif élus par le peuple, pour conférer avec l’administration sur les questions relatives à la réglementation de l’immigration. En cas de divergence d’opinion entre ce comité et l’Administration, la question sera soumise au Gouvernement de Sa Majesté, qui y accordera une attention particulière. En outre, en vertu de l’article 81 du projet de décret sur la Palestine, toute communauté religieuse ou partie importante de la population palestinienne aura le droit général de faire appel, par l’intermédiaire du Haut-Commissaire et du Secrétaire d’État, à la Société des Nations sur toute question. question sur laquelle ils peuvent considérer que les termes du Mandat ne sont pas respectés par le Gouvernement palestinien. […]
Néanmoins, le Gouvernement de Sa Majesté a l’intention de favoriser l’établissement d’un gouvernement pleinement autonome en Palestine. Mais ils estiment que, compte tenu des circonstances particulières de ce pays, cela devrait se faire par étapes graduelles et non soudainement. […]
Version anglaise d’origine :
The Secretary of State for the Colonies has given renewed consideration to the existing political situation in Palestine, with a very earnest desire to arrive at a settlement of the outstanding questions which have given rise to uncertainty and unrest among certain sections of the population. After consultation with the High Commissioner for Palestine the following statement has been drawn up. It summarises the essential parts of the correspondence that has already taken place between the Secretary of State and a Delegation from the Moslem Christian Society of Palestine, which has been for some time in England, and it states the further conclusions which have since been reached.
The tension which has prevailed from time to time in Palestine is mainly due to apprehensions, which are entertained both by sections of the Arab and by sections of the Jewish population. These apprehensions, so far as the Arabs are concerned, are partly based upon exaggerated interpretations of the meaning of the Declaration favouring the establishment of a Jewish National Home in Palestine, made on behalf of His Majesty’s Government on 2nd November, 1917. Unauthorised statements have been made to the effect that the purpose in view is to create a wholly Jewish Palestine. Phrases have been used such as that Palestine is to become « as Jewish as England is English. » His Majesty’s Government regard any such expectation as impracticable and have no such aim in view. Nor have they at any time contemplated, as appears to be feared by the Arab Delegation, the disappearance or the subordination of the Arabic population, language or culture in Palestine. They would draw attention to the fact that the terms of the Declaration referred to do not contemplate that Palestine as a whole should be converted into a Jewish National Home, but that such a Home should be founded in Palestine In this connection it has been observed with satisfaction that at the meeting of the Zionist Congress, the supreme governing body of the Zionist Organisation, held at Carlsbad in September, 1921, a resolution was passed expressing as the official statement of Zionist aims « the determination of the Jewish people to live with the Arab people on terms of unity and mutual respect, and together with them to make the common home into a flourishing community, the upbuilding of which may assure to each of the peoples an undisturbed national development. »
It is also necessary to point out that the Zionist Commission in Palestine, now termed the Palestine Zionist Executive, has not desired to possess, and does not possess, any share in the general administration of the country. Nor does the special position assigned to the Zionist Organisation in Article IV of the Draft Mandate for Palestine imply any such functions. That special position relates to the measures to be taken in Palestine affecting the Jewish population, and contemplates that the Organisation may assist in the general development of the country, but does not entitle it to share in any degree in its Government.
Further, it is contemplated that the status of all citizens of Palestine in the eyes of the law shall be Palestinian, and it has never been intended that they, or any section of them, should possess any other juridical status.
So far as the Jewish population of Palestine are concerned, it appears that some among them are apprehensive that His Majesty’s Government may depart from the policy embodied in the Declaration of 1917. It is necessary, therefore, once more to affirm that these fears are unfounded, and that that Declaration, re-affirmed by the Conference of the Principal Allied Powers at San Remo and again in the Treaty of Sevres, is not susceptible of change.
During the last two or three generations the Jews have recreated in Palestine a community, now numbering 80,000, of whom about one-fourth are farmers or workers upon the land. This community has its own political organs; an elected assembly for the direction of its domestic concerns; elected councils in the towns and an organisation for the control of its schools. It has its elected Chief Rabbinate and Rabbinical Council for the direction of its religious affairs. Its business is conducted in Hebrew as a vernacular language, and a Hebrew press serves its needs. It has its distinctive intellectual life and displays considerable economic activity. This community, then, with its town and country population, its political, religious and social organisations, its own language, its own customs, its own life, has in fact « national » characteristics. When it is asked what is meant by the development of the Jewish National Home in Palestine, it may be answered that it is not the imposition of a Jewish nationality upon the inhabitants of Palestine as a whole, but the further development of the existing Jewish community; with the assistance of Jews in other parts of the world, in order that it may become a centre in which the Jewish people as a whole may take, on grounds of religion and race, an interest and a pride. But in order that this community should have the best prospect of free development and provide a full opportunity for the Jewish people to display its capacities, it is essential that it should know that it is in Palestine as of right and not on sufferance. That is the reason why it is necessary that the existence of a Jewish National Home in Palestine should be internationally guaranteed, and that it should be formally recognised to rest upon ancient historic connection.
This, then, is the interpretation which His Majesty’s Government place upon the Declaration of 1917, and, so understood, the Secretary of State is of opinion that it does not contain or imply anything which need cause either alarm to the Arab population of Palestine or disappointment to the Jews.
For the fulfilment of this policy it is necessary that the Jewish community in Palestine should be able to increase its numbers by immigration. This immigration cannot be so great in volume as to exceed whatever may be the economic capacity of the country at the time to absorb new arrivals. It is essential to ensure that the immigrants should not be a burden upon the people of Palestine as a whole, and that they should not deprive any section of the present population of their employment. Hitherto the immigration has fulfilled these conditions. The number of immigrants since the British occupation has been about 25,000.
It is necessary also to ensure that persons who are politically undesirable are excluded from Palestine, and every precaution has been and will be taken by the Administration to that end.
It is intended that a special committee should be established in Palestine, consisting entirely of members of the new Legislative Council elected by the people, to confer with the Administration upon matters relating to the regulation of immigration. Should any difference of opinion arise between this committee and the Administration, the matter will be referred to His Majesty’s Government, who will give it special consideration. In addition, under Article 81 of the draft Palestine Order in Council, any religious community or considerable section of the population of Palestine will have a general right to appeal, through the High Commissioner and the Secretary of State, to the League of Nations on any matter on which they may consider that the terms of the Mandate are not being fulfilled by the Government of Palestine. […]
Nevertheless, it is the intention of His Majesty’s Government to foster the establishment of a full measure of self-government in Palestine. But they are of opinion that, in the special circumstances of that country, this should be accomplished by gradual stages and not suddenly. […]
Source : Correspondance du Royaume-Uni avec la délégation arabe palestinienne et l’Organisation sioniste / politique britannique en Palestine dit le « Livre blanc de Churchill », présenté au Parlement par commandement de Sa Majesté, juin 1922, 32 pages, réimprimé en 1929.
Le document est disponible sur le site de l’ONU ICI
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Pour aller plus loin :
[1] Jean-Claude Sergeant, “La presse nationale britannique et le Mandat du Royaume-Uni en Palestine (1922-1939)”, Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012, 81-102. Disponible ICI
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