La guerre entre Israël et le Hamas continue et plus que jamais, nous avons besoin d’explications, de clarification et d’approfondissements. Hubert Védrine, conseiller diplomatique de François Mitterrand, ancien ministre des Affaires étrangères, revient sur plusieurs jalons du conflit israélo-palestinien. Cette série de plusieurs textes s’ajoute à notre dossier dédié à la situation au Proche-Orient. Il est conçu pour un usage en classe, notamment en enseignement de spécialité HGGSP en Terminale.

L’auteur

Hubert Védrine, né le 31 juillet 1947 à Saint Sylvain Bellegarde (Creuse), est un ancien élève de Sciences Po Paris et de l’ENA (promotion Simone Weil, 1974). Conseiller diplomatique de François Mitterrand en 1981, il devient Porte-parole de l’Élysée à partir de 1988, puis Secrétaire Général de 1991 à 1995. Sous le gouvernement Jospin (1997-2002), il est Ministre des Affaires étrangères. De 2003 à 2022, Hubert Védrine préside l’Institut François Mitterrand. En 2003, Hubert Védrine créé une société de conseil en stratégie géopolitique : Hubert Védrine Conseil.

Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels :

Ses articles et publications sont accessibles sur son site personnel. Une série de podcasts sur France Culture est disponible.

Les Clionautes remercient vivement Hubert Védrine d’avoir accepté d’être une de nos signatures de l’année 2024.


Le texte d’Hubert VEDRINE

I. DE THEODOR HERZL À LA CRÉATION D’ISRAËL

L’inventeur moderne du concept d’État juif est Théodor Herzl, journaliste et écrivain austro-hongrois qui, en 1896, publie L’État des juifs. À l’unisson de l’ambiance nationaliste de l’époque en Europe cet ouvrage préconise, en réponse à un antijudaïsme endémique dans la chrétienté, à des massacres encore récents en Europe de l’Est et la dégradation du capitaine Dreyfus fin 1894, que les juifs aient leur propre état en Palestine. Les juifs séfarades, descendants des anciens juifs de Palestine dispersés par les Romains après la destruction du temple en 70 après Jésus-Christ, partis en Méditerranée, et aussi de berbères convertis. Certains ashkénazes d’Europe de l’Est descendaient eux de juifs de Palestine, mais également de populations converties, notamment celles de l’état khazar (au nord de la Mer Noire) au VIIIe siècle.

Le 2 novembre 1917, dans le cadre d’une politique des Alliés d’affaiblissement de l’empire ottoman, pour des raisons de politique intérieure britannique et pour impressionner favorablement une partie de l’opinion américaine, le Secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères, Lord Balfour, promet dans une lettre à Lord Rothschild, le 2 novembre 1917, un « foyer national pour le peuple juif », étant entendu que « rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine ». La Grande-Bretagne fait miroiter en même temps l’indépendance aux Arabes pour obtenir leur soutien contre l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne. Ambiguïté totale et promesses contradictoires.

En 1920, la Grande-Bretagne reçoit un mandat de la Société des Nations sur la Palestine, et la France sur la Syrie et le Liban. Des tensions et des affrontements commencent entre les immigrants juifs et les populations arabes locales. Certains mouvements juifs nationalistes, considérés alors comme terroristes, comme l’Irgoun, créée en 1931, attaquent les forces britanniques « mandataires », qui tentent de limiter l’immigration juive. Le futur Premier Ministre Menahem Begin en fait partie. La révolte arabe en 1936 contre l’immigration juive est sévèrement réprimée.

La Shoah accélère le processus. Le régime nazi commet d’abord la « Shoah par balles », au début de la guerre en Europe de l’Est et en Russie, dans le cadre de la politique « d’espace vital » à l’Est (Opération Barbarossa dont les Nazis avaient calculé qu’elle entraînerait 14 millions de mort, russes et autres). Puis, après la Conférence de Wannsee en janvier 1942, est organisée la « solution finale », l’élimination systématique de l’ensemble des juifs d’Europe, sans doute décidée par Hitler deux mois avant. Il y a 50 à 70 millions de morts de la Seconde Guerre Mondiale, mais seuls les juifs sont victimes d’un génocide (6 millions). Cela convainc la majorité des États membres de la nouvelle Organisation des Nations Unies, ONU, créée en 1945 (dont seulement 6 pays arabes, qui votent contre, ainsi que les États membres musulmans), qu’il faut un État refuge pour les juifs et à adopter, par la Résolution 181, le 29 novembre 1947, un plan de partage entre un État juif, un État arabe, et Jérusalem, sous contrôle international.

Il faut noter que, dès cette époque, certains juifs considèrent que le territoire attribué à l’État juif par les Nations Unies dans le cadre du plan de partage (57,12% de la Palestine) est trop petit. Pragmatique, Ben Gourion considère qu’il faut accepter ce plan, pour commencer, mais pour l’avenir il pense plutôt immigration qu’élargissement du territoire. Quant aux États arabes voisins, ils rejettent en bloc ce plan, jugé colonialiste et inacceptable (les terres réservées aux Palestiniens sont réduites à 42,88% alors qu’ils en occupaient 94% et les Palestiniens représentent alors 69% de la population).

L’Égypte, la Jordanie et la Syrie déclenchent une guerre – la première guerre arabo-israélienne – contre Israël. Ils la perdent. Environ 700 000 Palestiniens partent par peur de l’armée israélienne ou sont expulsés. Ils iront vivre en tant que réfugiés en Jordanie ou au Liban. C’est la Nakba (la catastrophe). Ils seront pris en charge, jusqu’à aujourd’hui, par une organisation créée en 1949 par les Nations Unies, l’UNRWA. Ils sont en 2024 près de 6 millions, dans tout le Proche-Orient. Israël n’ayant jamais accepté de retour des réfugiés, et les pays arabes les ayant laissés à l’état de réfugiés.

Le 14 mai 1948 à Tel Aviv, Ben Gourion met fin au mandat britannique et proclame l’indépendance « d’Israël ». Il y aura à partir de là, et jusqu’aujourd’hui, une lutte implacable au sein du monde israélien et juif, comme au sein du monde palestinien et arabe, entre partisans et opposants d’un compromis territorial.

À partir des années 1970 (Sadate) et 80 (Arafat), des Arabes et des Palestiniens se résigneront à l’existence d’Israël, mais resteront minoritaires, sauf dans les années 1990, et seront combattus par les extrémistes dans chaque camp. Des Israéliens – Rabin et son successeur travailliste – se résigneront à la création d’un État palestinien mais cette politique sera violemment combattue par les Israéliens nationalistes, qui veulent un « Grand Israël » et par les extrémistes religieux.

[Lecture conseillée : Les origines du conflit israélo-arabe (1970-1950) de Georges Bensoussan, coll. Que Sais-Je, 2023]

II. DE 1949 AU DÉBUT DU PROCESSUS DE PAIX

Israël n’a pas, du fait du refus des religieux, de Constitution, les élections législatives ont lieu à la représentation proportionnelle intégrale, jugée plus juste, mais qui entraîne l’émiettement en de nombreux partis et des majorités fragiles. Il y a une seule chambre, la Knesset, qui comporte 120 sièges. Il en faut donc 61 pour faire une majorité.

Ben Gourion est Premier ministre jusqu’en 1963. Levy Eshkol lui succède, puis Golda Meir.

Les pays arabes (de plus en plus nombreux à être indépendants), continuent unanimement à rejeter Israël qu’ils voient toujours comme une création coloniale imposée par les Occidentaux alors que la Shoah a été effectuée par des nazis allemands et a eu lieu en Europe. L’OLP – Organisation de Libération de la Palestine – est créée en 1964, à Jérusalem, par Yasser Arafat.

En 1967, l’Égypte de Nasser, alors Président de l’Égypte, ferme le détroit de Tiran, le Golfe d’Akaba, pour bloquer le port israélien d’Eilat. Pour se dégager, Israël déclenche alors la guerre le 5 juin 1967. Les pays arabes (Égypte, Syrie, Jordanie, Irak, Liban) sont vaincus en six jours, le 10 juin 1967. D’où l’expression « Guerre des Six Jours ».

Israël prend alors le contrôle de Jérusalem Est, de la Judée/Samarie (= la Cisjordanie), du sud de la Syrie – le plateau du Golan – de la Bande de Gaza et du Sinaï.

Le débat va commencer en Israël sur ce qu’il faut faire de ces territoires : les restituer ou les occuper ? C’est cette dernière option, lourde de tous les conflits à venir, qui l’emportera.

Le 22 novembre 1967, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la Résolution 242 qui exige le retrait « des territoires occupées » (en anglais, occupied territories). En français, cela est traduit par tous les territoires ; en anglais, cela peut pouvoir dire « des territoires ». Jérusalem est rapidement occupée. Les dirigeants israéliens hésitent en ce qui concerne la Judée Samarie. Pour beaucoup d’Israéliens, c’est le triple non à Israël au sommet arabe de Khartoum en 1969 qui a mis fin aux hésitations en Israël et qui a conduit au lancement de la colonisation.

Juste après ce vote, le 27 novembre, le Général de Gaulle fait une déclaration dont une phrase très controversée – « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur » -, ce qui n’empêchera pas David Ben Gourion de continuer à correspondre avec lui. Mais surtout, il déclare, prémonitoire : « Maintenant, Israël organise, sur le territoire qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression expulsions, et il s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. »

La résolution 242 est unanimement rejetée en Israël, surtout à partir de 1969.

La colonisation de Jérusalem Est est rapide. Celle de la Cisjordanie (Judée/Samarie) commence au début à petite échelle. Elle va entraîner la création d’un parti des colons (700 000 aujourd’hui). Elle est la source principale, sinon unique, des problèmes des cinquante années qui vont suivre.

Plusieurs organisations palestiniennes commencent à recourir au terrorisme en Israël et à l’extérieur, dans d’autres pays. Ils sont activement soutenus par presque tous les pays arabes réunis dans le « Fronts du refus ».

Mais le président égyptien, Anouar al-Sadate, qui a succédé à Nasser, icône du nationalisme arabe, décédé le 20 septembre 1970, veut que son pays en sorte. Le 7 octobre 1973, profitant de la fête religieuse juive du Yom Kippour il déclenche une guerre surprise contre Israël. Pendant 48 heures, l’armée égyptienne a le dessus. Puis, l’armée israélienne, Tsahal, contre-attaque, alimentée, à la demande de Golda Meir et de Moshé Dayan, ministre israélien de la Défense, par un pont aérien déclenché par Richard Nixon et Henry Kissinger, qui leur apporte l’armement nécessaire pour rétablir la situation. Israël l’emporte le 24 octobre.

S’appuyant sur la fierté de la victoire initiale, Sadate estime pouvoir mettre fin à la guerre entre l’Égypte et Israël. Il se rend en Israël le 20 novembre 1977 où le reçoit le Premier Ministre Begin qui a réunifié tous les partis de droite en Israël, le Likoud (la « Consolidation »), sur une base nationaliste dure, et veut toujours un Grand Israël. Il est opposé à tout « État palestinien ». Il le redira face à François Mitterrand en mars 1982. Mais il n’est pas opposé à une paix séparée avec l’Égypte. Le président américain Jimmy Carter réunit à Camp David M. Begin et Anouar al Sadate. Le 17 septembre 1978, il obtient qu’ils acceptent de signer un traité qui normalise les relations entre les deux pays (l’Égypte récupère le Sinaï perdu en 1967) mais ne prévoit presque rien concernant les Palestiniens. Le traité est signé en 1979. La démarche de Sadate est condamné par tous les autres États arabes.

Le 6 octobre 1981, Anouar al-Sadate est assassiné au Caire par un commando nationaliste/islamiste qui refuse toute normalisation avec Israël. Néanmoins, son successeur, le Général Hosni Moubarak, ne remet pas en cause le traité. En Cisjordanie, à Jérusalem-Est et sur le Golan syrien ‘depuis 1980), territoires « occupés », la colonisation se développe. Le parti des colons va être de plus en plus influent à la Knesset et dans le pays.

III. TENTATIVES DE PAIX

En décembre 1987, une insurrection (Intifada), dite « guerre des pierres », est déclenchée par l’OLP et d’autres organisations contre l’occupation qui progresse.

Ministre de la Défense de plusieurs gouvernements, puis Premier Ministre, le Général Yitzhak Rabin réprime vigoureusement cette première Intifada. Mais durant son deuxième mandat de premier ministre, à partir de 1992, il arrive à la conclusion que la question palestinienne ne se limite pas à du terrorisme qu’il faut combattre, et qu’elle ne peut être résolue que politiquement. Dans l’intérêt d’Israël, il faut séparer les deux peuples. Il fait annuler la loi qui pénalisait les rapports avec l’OLP et décide de négocier, et rencontre personnellement Yasser Arafat, son chef.

Auparavant, le président François Mitterrand, qui avait préconisé dès mars 1982 un « État pour les Palestiniens » avait invité Yasser Arafat en 1989 à Paris et obtenu que celui-ci annonce que la Charte de l’OLP, qui prévoyait la destruction d’Israël, était annulée (« la Charte est cadouque »).

Le 2 août 1990, Saddam Hussein estimant que les émirats n’ont pas remboursé l’Irak des dépenses énormes engagées dans la guerre qui a duré huit ans pour défendre les Arabes contre l’Iran de Khomeiny, envahit et annexe le Koweït. Le Conseil de Sécurité lui ordonne de se retirer (Résolution 660, avec abstention russe). Une coalition dirigée par les États-Unis, avec la participation de la France et de la Grande-Bretagne et de tous les pays arabes du Moyen-Orient s’organise pour l’y contraindre. Il refuse. La coalition attaque en janvier 1991, et l’Irak est vaincu. Le Président François Mitterrand demande au président Georges H. Bush, qui y est favorable, de traiter dans la foulée la question palestinienne. Une conférence internationale s’ouvre à Madrid le 30 octobre 1991. Les États-Unis obligent Yitzhak Shamir, Premier Ministre israélien Likoud, successeur de Begin depuis 1986, à y participer. La conférence étant bloquée par Israël, Georges H. Bush lance un processus dit « d’Oslo » (avec l’aide des Norvégiens) avec Shimon Pérès, dès que celui-ci arrive au pouvoir, et qui conduit à une « déclaration de principes », puis à des accords d’Oslo signés le 13 septembre 1993 à la Maison Blanche par Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, sous l’égide de Bill Clinton. Ils recevront pour cela, avec Shimon Peres, le Prix Nobel de la paix.

Cinq ans de négociations sur la base des résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité sont prévues. L’Intifada cesse.

Mais les extrémistes israéliens et palestiniens sont déterminés à arrêter ce processus. Yitzhak Rabin déclare contre les premiers  » Je combattrai le terrorisme comme s’il n’y avait pas de processus de paix, mais », ajoute-t-il avec courage envers les seconds, « je poursuivrai le processus de paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme. » Le 4 novembre 1995 Yitzhak Rabin est assassiné par un extrémiste juif après une campagne animée par des rabbins fanatiques contre le « traître Rabin ».

IV. LES PREMIERS MINISTRES APRES RABIN

Après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, les négociations pour l’établissement d’un État palestinien seront poursuivis, avec les Palestiniens, par Shimon Peres de 1995 à 1996 puis, après un premier intermède Benjamin Netanyahou de 1996 à 1999 (qui met en œuvre en 1996 un accord de désengagement à Hébron), par Ehud Barak de 1999 à 2001. Ehud Barak, qui craint une victoire de Sharon, nouveau leader du Likoud, obtient de Bill Clinton qu’il convoque un Camp David II, avec lui-même et Yasser Arafat, mais cela n’aboutit pas. La négociation fin janvier 2001, à Taba, s’approche d’une solution mais elle est balayée par Ariel Sharon qui devient Premier Ministre et par Georges W. Bush devenu Président des États-Unis et sa conseillère Condoleezza Rice.

La visite provocante d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées, déclenche la seconde Intifada. Israël ne répond pas au plan Abdallah (les territoires contre la paix et une « juste solution » au problème des réfugiés, ce qui peut signifier une indemnisation). Finalement, Comme Rabin, Ariel Sharon changera, évacuera Gaza, et surtout quittera le Likoud, qui bloquerait tout compromis, et créera son propre parti, Kadima, pour chercher la paix. Mais il est terrassé par deux AVC (2006 et 2009).

Ehud Olmert reprend la politique travailliste mais sans succès.

En 2009, Benjamin Netanyahou est élu Premier Ministre et forme pour la seconde fois un gouvernement. À partir de là et pendant quinze ans, les gouvernements israéliens sont radicalement nationalistes et, plus ou moins, religieux fondamentalistes. Ils veulent imposer un « Grand Israël » et sont plus que jamais résolus à empêcher par tous les moyens la création d’un État palestinien. Les partisans d’une solution à deux États sont marginalisés. L’Autorité palestinienne, déjà faible, est méthodiquement paralysée.

Lecture conseillée : un livre rédigé par des Israélien et des Palestiniens, publié en 2003, republié en 2023 chez Liana Levi, retrace en parallèle l’histoire des deux peuples depuis 1917 jusqu’à 2003 : Histoire de l’autre. Israël/Palestine, Elie Barnavi.

La colonisation en Cisjordanie est encouragée et les partis qui la représente pèsent de plus en plus dans la vie nationale et à la Knesset, au fur et à mesure des gouvernements Netanyahou II, III, IV, V, un peu moins sous le gouvernement Lapid, mais plus encore sous le gouvernement Netanyahou IV en 2022 en fonction quand a lieu l’attaque inattendue et féroce du Hamas le 7 octobre 2023.

Après l’évacuation de Gaza par Sharon en 2005, la victoire du Hamas aux élections en 2006 et le putsch de celui-ci en 2007 contre l’Autorité palestinienne, Israël avait décrété un blocus total et un boycott de Gaza, mais avait trouvé commode que le Qatar aide financièrement l’administration du Hamas (des milliers de fonctionnaires) à juste survivre.

Ehud Barak, l’ancien Premier Ministre travailliste de juillet 1999 à mars 2001 a expliqué dans Le Point du 7 décembre 2023 à propos de Gaza : « Ces cinq dernières années, la politique de Netanyahou visait clairement à renforcer le Hamas et à affaiblir l’Autorité palestinienne […] Netanyahou avait intérêt à ce que le Hamas soit vivant et actif. Ainsi, il était facile de dire qu’on ne pouvait pas parvenir à une solution parce que l’Autorité palestinienne était trop faible, qu’elle ne contrôlait même pas la moitié de sa propre population et qu’on ne pouvait pas négocier avec le Hamas. Cela permettait le blocage de toute solution politique. »

Même son de cloche chez Thomas Friedman dans le New York Times en octobre 2023 : « La situation actuelle est le résultat de la politique des pires des Israéliens et des pires des Palestiniens ».

Du côté israélien, la solution « à deux États » n’était presque plus défendue par un « camp de la paix » très réduit, défait et découragé, mises à part quelques rares personnalités et organisations. Le gouvernement Netanyahou pensait l’avoir enterré. Mais comme le dit Ehud Barak, « la stratégie de Benjamin Netanyahou était illusoire ; elle s’est effondrée. » Comme les illusions en Israël et chez les dirigeants arabes des Accords d’Abraham. Début 2024, l’espérance de quelques personnalités de l’ancien camp de la paix, et aussi du Président Biden, de son Secrétaire d’État d’Anthony Blinken et de son conseiller Jack Sullivan est que, la politique israélienne la plus répressive n’ayant même pas garanti la sécurité des Israéliens (cf. Gaza), ceux-ci pourraient redevenir réceptifs à un compromis politique. Cela suppose que Netanyahou soit écarté.

Mais du côté nationaliste, outre le refus absolu, pas seulement à droite, du retour des réfugiés de 1948, le dénominateur commun reste le refus de tout État palestinien. Les partis les plus extrémistes dans la coalition au pouvoir – notamment représentés par les ministres Itmar Ben Gvir et Bezalel Smotrich – sont pour chasser les deux millions de Palestiniens de Cisjordanie – genre guerre indienne aux États-Unis et politique d’Andrew Jackson dans les années 1830 (déportation des Amérindiens à l’Ouest du Mississipi) -, reprise totale du contrôle de Gaza et recolonisation. D’autres (Ministre de la Défense) ne veut plus de Hamas, ne parlera pas à l’Autorité palestinienne, mais ne veut pas qu’Israël ait à gérer à nouveau Gaza. Le Président Biden a fait savoir qu’il faudrait, après la neutralisation du Hamas, remettre en situation une Autorité palestinienne et aller vers un État palestinien. Il mise sur le Général Ganz.

Du côté palestinien, deux leaders au moins – l’ancien responsable du Fatah, Marwan Barghouti, en prison depuis plus de deux décennies ou l’ancien chef d’un service de renseignement de l’Autorité palestinienne, Mohammed Dahlan -, pourraient être érigés en nouveaux responsables de l’Autorité palestinienne, à la place ou à côté, de Mahmoud Abbas, ce qui serait une menace pour le Hamas. Du côté arabe, tous les gouvernements – à part la Syrie et l’Algérie – sont prêts à normaliser avec Israël, après la neutralisation du Hamas, et la mise à l’écart de Netanyahou, et à condition cette fois d’introduire une solution palestinienne dans les Accords d’Abraham.

La solution dite « jordanienne » est à nouveau évoquée. Il y a deux variantes :

  • Expulsion totale des Palestiniens en Jordanie sous prétexte que c’est déjà leur vrai pays (60% des Palestiniens). Ce serait une victoire de la colonisation. La Jordanie s’y refuse absolument. Certains en Israël (et chez certains Arabes) rêvent pour permettre cela d’un renversement de la dynastie hachémite. Le roi Abdallah est bien sûr opposé à cette solution.

  • Autonomie de la Cisjordanie (ce qui impose de trouver des solutions pour les 700 000 colons), État palestinien Cisjordanie-Gaza et confédération avec la Jordanie, complétée par un accord de sécurité Israël/Cisjordanie/Gaza/Jordanie.

Un rapprochement envisagé par certains début 2024 entre l’Autorité palestinienne et le Hamas « politique » mettrait les partisans de la paix en Israël, à Washington et en Europe, qui ont besoin d’une Autorité palestinienne revivifiée, devant un dilemme : peut-on parler avec une nouvelle Autorité qui comprendrait en partie des responsables d’un mouvement à la fois politique et terroriste ? Cela était encore le cas, à l’origine, de l’OLP et donc de l’Autorité palestinienne, quand Rabin parlait avec Arafat. Mais Khaled Medraal, un des chefs politiques du Hamas, a rappelé en janvier 2024 l’objectif de son mouvement : reconquête de tout le territoire et donc disparition d’Israël. Ce qui renvoie systématiquement à l’opposition absolue de Netanyahou à un État palestinien.

Scenarii début 2024 :

  1. Expulsion de tous les Palestiniens (et déstabilisation des voisins). Presque impensable.

  2. Élimination d’Israël. Impensable et impossible.

  3. Changement de leadership en Israël, relance d’un processus, compromis territorial, forcément combattu par les extrémistes de part et d’autre. Envisageable sous Biden. Impensable sous Trump, sauf surprise totale.

  4. Sinon, enlisement avec explosions et horreurs périodiques de plus en plus graves. Ami Ayalon, ancien chef des services secrets israéliens, le 24 janvier 2024 : « Si nous refusons la paix, ce qui nous attend sera pire que le 7 octobre ».

V. LES OCCASIONS MANQUÉES

Il y a eu sans arrêt, depuis un siècle, sauf pour les partisans d’un Grand Israël qui pensent toujours pouvoir l’imposer par fait accompli, de nombreuses occasions manquées. La Grande-Bretagne aurait dû anticiper sur les réactions hostiles prévisibles des habitants de la Palestine à la réaction Balfour. Les pays arabes, même non membres de l’ONU, auraient dû être associés à la conception du plan de partage. L’exode de 700 000 Palestiniens aurait dû être prévenu et empêché. L’accession à l’indépendance d’Israël aurait dû être préparée avec les pays arabes voisins. Il n’y a rien de spécial à dire sur la période 1948 à 1967. Sur l’après 1967/69, de Gaulle et les responsables israéliens réticents jusqu’en 1969 devant la colonisation ont eu évidemment raison. L’encouragement à la colonisation en Cisjordanie à partir de 1969 et le recul de plus en plus net, face aux colons, des responsables israéliens clairvoyants mais faibles, est le fait majeur qui conduit à la situation actuelle.

Néanmoins, la suite aurait encore pu être très différente. Si les premiers accords de Camp David avaient été complétés par un volet palestinien ; si, bien avant, le Plan Allon (en 1970) n’avait pas été négligé. Si, bien sûr, l’assassinat de Rabin n’avait pas eu lieu et/ ou si les partis qui l’avaient inspiré avaient été interdits. Si les implantations avaient été strictement limitées, encadrées, compensées et non encouragées et soutenues comme elles l’ont été depuis 1967, et surtout depuis quinze ans ; si Sharon n’avait pas été frappé par deux AVC ; si Arafat avait été plus clair, s’il l’avait voulu, s’il l’avait pu, et s’il avait maîtrisé ses extrémistes après Oslo et Camp David, en ne cédant pas aux menaces ; si le courageux plan en 2002 du prince héritier saoudien Abdallah avait été accepté par Israël ; si Clinton s’était engagé dès sa réélection et non trop tard, à la fin de son deuxième mandat ; si Mohammed Ben Salman avait conditionné son accord aux Accords d’Abraham à une solution politique au problème palestinien …

Avec des si, on mettrait Paris en bouteille.

ANNEXE

Colons en 2024 : Plus de 700 000 ; 440 000 en Cisjordanie (dont une majorité près de la ligne verte parce que beaucoup de logements à prix modérés y ont été construits, mais au moins 120 000 irréductibles au cœur de la Cisjordanie ; 230 000 à Jérusalem Est ; 35 000 sur le Golan

Hubert Védrine, pour les Clionautes, le 17 janvier 2024