Depuis sa victoire tonitruante en novembre 2024, Donald Trump n’a pas encore foulé les marches de la Maison-Blanche que sur quantité de sujets, grandes entreprises, lobbies, personnel politique et, bien entendu, puissances étrangères se réalignent en conséquence. De ce côté-ci de l’Atlantique, si les médias européens anticipent le « risque Trump » sur l’OTAN, la guerre en Ukraine ou la poussée de l’extrême droite, ils développent assez peu l’avenir de la question environnementale, pourtant centrale.
En spécialité HGGSP, le jalon sur « L’environnement aux États-Unis : entre protection de la nature, exploitation des ressources et transformation des milieux depuis le XIXème siècle ; les rôles respectifs de l’État fédéral et des États fédérés » est donné en conclusion du thème sur l’environnement. Ce programme, conçu lors du premier mandat de Donald Trump, s’était déjà efforcé d’intégrer les ratés de la transition écologique avec un président ouvertement climato-sceptique. En 2025, le jalon retrouve sa pleine actualité et c’est dans ce cadre que Les Clionautes ont prié Cynthia Ghorra-Gobin d’écrire un texte. Un grand merci à notre éminente collègue d’avoir accepté notre proposition.
Voici le second texte-signature de 2025 après celui de Rémy Knafou sur le « surtourisme » à Venise.
Nous vous recommandons également la lecture de notre traduction de l’article de Francis Fukuyama sur l’effet Trump.
Cynthia Ghorra-Gobin
Cynthia Ghorra-Gobin est directrice de recherche émérite CNRS-Creda-Iheal. Elle est une spécialiste des États-Unis, de la métropolisation et de la mondialisation. On pourra se reporter utilement à la page qui lui est consacrée sur le site du Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (CNRS).
Elle est rédactrice en chef de l’Information géographique. Une des originalités de cette revue est de contribuer à la réflexion sur l’enseignement de la discipline et de proposer des pistes pédagogiques et des matériels adaptés à la pratique.
Le texte
Le président Trump, les Accords de Paris et la mobilisation du niveau local
Les Américains ont élu en novembre 2024 un président qui a qualifié les objectifs climatiques de « Green new scam » (nouvelle arnaque verte) et qui a annoncé se retirer des Accords de Paris. Pour bien marquer son climatosceptisme, il a nommé, avant son investiture du 20 Janvier 2025, le PDG d’une entreprise fossile pour présider le Ministère de l’énergie [1]. Ce choix contraste sérieusement avec le positionnement de son prédécesseur qui avec les lois Inflation Reduction Act (IRA) et Bipartisan Infrastructure Act (BIA) avait assuré de sérieux investissements publics au profit d’une industrie verte et des infrastructures tenant compte des évènements climatiques extrêmes. Ces politiques présentaient en outre l’intérêt de territorialiser l’action publique (qualifiée de place-based policy) dans la mesure où il revenait au niveau local de se mobiliser pour solliciter ces fonds.
Le mandat du président Trump représente un véritable tournant de la politique fédérale alors que le mandat de Joe Biden (2020-2024) avait été marqué par un engagement en faveur de la décarbonation des secteurs clés de l’économiede l’économie [2]. Mais certains États fédérés dits républicains (Géorgie et Caroline du sud) ayant bénéficié de l’aide fédérale en vue de la construction d’usines de véhicules électriques ne sont pas prêts d’y renoncer et sont susceptibles de rejoindre les Etats démocrates (Californie et New York) ayant amorcé la transition écologique et solidaire depuis plusieurs décennies.
Chercheurs et élus susceptibles de se mobiliser
Le professeur d’énergie et de développement économique de l’Université de Harvard –également directeur de l’Environmental Economics program de cette même université et éditeur de Review of Environmental Economics and Policy–, Robert Staving [3],reconnaît les risques de la présidence Trump pour ce qui relève de la transition écologique et solidaire. Mais il estime que certains acteurs politiques comme les gouverneurs ont les capacités de s’opposer à l’État fédéral et de maintenir leur politique en faveur de la transition écologique et solidaire. Staving précise également que si 23 États sont démocrates et 27 républicains, les maires des grandes villes relèvent du parti démocrate. Seule la ville de Dallas aurait changé de camp lorsque son maire réélu en 2023 a choisi de rejoindre le parti républicain. Rappelons que lors de la première administration Trump (2017-2020), le réseau des maires engagés dans la transition climatique et solidaire intitulé Climate Mayors Mayors [4] et comptant 350 maires (ce qui représentait 60 millions d’habitants s’est mobilisé et a démontré avec efficacité son engagement pour une politique tenant compte du changement climatique. Une marche organisée à Washington DC et dans d’autres villes le 29 Avril 2017 avait symbolisé le principe d’un engagement au niveau local. À la même époque, les gouverneurs de 23 États fédérés (aujourd’hui 24) ont choisi de se regrouper et de se mobiliser au sein de l’association US Climate ActionAction [5] qu’ils ont créée. Ils ont proclamé leur maintien dans l’Accord de Paris et l’ont fait savoir auprès de la Commission européenne et du Parlement européen.
Les deux associations (Climate Mayors et US Climate Action) travaillent également avec la fondation Bloomberg Charities qui contribue à leur financement. Ces deux catégories d’acteurs infra-nationaux disposent de moyens pour s’opposer à l’État fédéral. Les deux États les plus peuplés de la fédération que sont la Californie et New York connus pour leur engagement depuis plusieurs années dans des programmes tenant compte de l’impératif de l’adaptation au changement, de la préservation de la biodiversité et de l’atténuation du changement climatique ont déjà anticipé les oppositions de l’État fédéral. Ils ont prévu des lignes budgétaires dédiés aux futurs litiges qu’il pourrait leur intenter au sujet par exemple du choix de leurs propres normes environnementales. Les sénateurs californiens ont demandé au Ministre du transport de l’administration Biden, Pete Buttigieg, de leur accorder dès à présent les financements nécessaires pour achever la ligne TGV en construction et reliant à terme en trois heures San Francisco à Los Angeles. L’infrastructure répond à l’ambition de réduire les déplacements en avion et en voiture.
Que retenir ?
Intéressant pour les Européens de suivre l’expérience du peuple américain face à un président et une administration climato-sceptiques, c’est-à-dire hostiles à toute transition écologique et solidaire. Leur expérience pourrait démontrer l’intérêt de tenir compte de la légitimité institutionnelle associée à des échelles autres que celle de l’État central. Toute planification écologique et solidaire risque en effet de s’avérer peu pertinente en dehors d’une territorialisation de l’action publique qui autorise à y associer le principe de l’acceptabilité sociale.
Cynthia Ghorra-Gobin pour les Clionautes. Janvier 2025
[1] Il est vrai que lors de la Convention des Républicains, le candidat Trump a formulé le slogan « Drill, Baby, Drill » qu’il a repris à plusieurs reprises durant sa campagne.
[2] Voir le site de la Maison blanche : https://www.whitehouse.gov/climate/ ainsi que celui du Ministère de l’intérieur : https://www.state.gov/policy-issues/climate-crisis/ lors du mandat Biden.
[3] Le site du professeur Robert Stavins à Harvard : https://heep.hks.harvard.edu/people/robert-n-stavins
[4] Voir le site : https://www.climatemayors.org/
[5] Voir le site : https://usclimatealliance.org