Alors que la guerre entre l’État d’Israël et le Hamas se poursuit dans la bande de Gaza, l’attention s’est portée ces derniers jours sur le risque d’extension du conflit au Liban, depuis que Saleh Al-Arouri, présenté comme le « numéro 2 » du Hamas, a été tué dans son appartement à Beyrouth par une frappe de drones, le 2 janvier. Élie Barnavi précise ici les enjeux des semaines et mois à venir.

L’auteur Élie Barnavi

Elie Barnavi est né à Bucarest en 1946. Il a été l’ambassadeur d’Israël en France  de 2000 à 2002 et  professeur d’histoire de l’Occident moderne à l’Université de Tel Aviv. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur Israël depuis les années 1980. Son dernier livre est une autobiographie, Confessions d’un bon à rien, publié  en 2022. 

Les Clionautes remercient vivement Élie Barnavi d’avoir accepté d’être notre première signature de l’année 2024.


Le texte

La mort de Saleh Al-Arouri est un coup dur pour le Hamas. Chef adjoint de son Bureau politique, chef des opérations militaires en Cisjordanie et au Liban, il faisait la liaison entre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran. Il sera difficile de le remplacer à court terme. 

Mais, pour utiles et justifiées qu’ils soient, ce type d’assassinats ciblés ne peut pas décider du sort de la guerre. La guerre se gagne ou se perd sur le terrain. Or, la bande de Gaza a été transformée au fil des ans en une formidable forteresse, avec notamment une infrastructure souterraine unique au monde — plus de 500 km de tunnels. Aussi bien, détruire le Hamas jusqu’au dernier terroriste et éradiquer son idéologie sont des objectifs probablement irréalistes. Les Alliés l’ont fait en Allemagne et au Japon au sortir de la Seconde Guerre mondiale, mais dans un contexte très différent. Et encore, il existe toujours des nazis en Europe et ailleurs. L’islam radical restera avec nous pendant longtemps, dans notre région et dans le monde, et il nous survivra.

En revanche, on peut démanteler ses capacités opérationnelles et militaires, ce qui est d’ailleurs largement fait dans le nord du territoire. Il reste la région de Khan Younès, au sud, où se concentre aujourd’hui Tsahal, ainsi que le secteur de Rafah et le « couloir de Philadelphie », le long de la frontière égyptienne. Cette phase est une affaire de semaines. Ensuite, dans les mois à venir, la manœuvre de grande ampleur sera remplacée par une guerre de basse intensité, un peu come en Cisjordanie : des opérations ponctuelles d’unités spéciales agissant sur la base de renseignements précis. Cette troisième phase pourra prendre des mois.

Au-delà, il faut poser la question politique du « jour d’après ». Que fait-on une fois le Hamas chassé du pouvoir ?

Il faut créer les conditions politiques et matérielles qui rendront impossible le retour en force du Hamas et de ses émules. Il s’agit de montrer à la majorité des Palestiniens que cette idéologie mène à la mort et qu’une alternative existe. Après tout, la plupart des Palestiniens veulent ce que les gens veulent partout : vivre, travailler, assurer un avenir acceptable à leurs enfants.

Évidemment, la coalition au pouvoir en Israël est incapable de travailler à une sortie de guerre réaliste. Ses membres de l’extrême-droite messianique entretiennent des illusions dangereuses sur la recolonisation de la bande de Gaza. Benyamin Netanyahou, par peur de perdre le pouvoir, est leur prisonnier — sans eux, il n’a pas de majorité. La première condition pour envisager un ordre acceptable pour l’après-guerre est donc le remplacement de cette coalition par un gouvernement rationnel. Ce sera fait une fois les hostilités terminées. En effet, il est impensable que Netanyahou survive à une catastrophe comme celle du 07 octobre. Les sondages sont sans appel : les trois quarts des Israéliens souhaitent son départ. Cela a d’ailleurs été le cas lors d’autres échecs, ou perçus comme tels – la guerre du Kippour de 1973, succès militaire mais vécu comme un échec politique et moral, qui a scellé le sort de Golda Meir ; ou la deuxième guerre du Liban contre le Hezbollah, en 2006, qui a irrémédiablement affaibli Ehoud Olmert.

Alors, de quoi sera fait le « jour d’après » ? Les États-Unis ont défini ce dont ils ne veulent pas : que l’armée israélienne s’installe à demeure à Gaza, que des Palestiniens soient contraints à l’exil et qu’il y ait un redécoupage du territoire. Ils savent aussi ce qu’ils veulent : la remise en selle d’une Autorité palestinienne « revitalisée » capable de prendre en main l’ensemble des territoires palestiniens, bande de Gaza et Cisjordanie. À terme, c’est le grand retour de la « solution à deux États ». C’est la seule réaliste.

Cette solution passe par la constitution d’un front diplomatique international, où se retrouveraient Américains, Européens et pays arabes. Il faut faire vite, à la fois parce que la situation sur le terrain l’exige — le vide laissé par le démantèlement du Hamas ne doit pas être occupé par des bandes armées relevant de la même idéologie — et parce que l’horloge politique aux États-Unis s’accélère. Il reste une petite année avant les élections présidentielles. Que Joe Biden les perde au profit de Trump, et Dieu seul sait de quoi sera fait notre « jour d’après ».

Élie Barnavi, 7 janvier 2024, pour les Clionautes