Les années 20 et 30 sont marquées en Palestine par une montée des tensions et par  des affrontements sanglants sans précédents entre les deux communautés. Après le déclenchement de la Grande Révolte arabe en 1936, la Grande Bretagne entreprend une vaste enquête afin de trouver une solution. Cela aboutit à la nomination d’une commission présidée par Lord William Peel [1867-1937] chargée d’étudier les origines du problème, la manière dont la Grande-Bretagne a répondu aux diverses attentes et les mesures à prendre pour résoudre les tensions. La commission séjourne deux mois en Palestine et y auditionne, avec difficultés, un certain nombre d’acteurs impliqués dans le conflit. Le rapport qui émerge, long de 400 pages dans sa version complète, est connu sous le nom raccourci de Rapport Peel.

Ce rapport, qui est accompagné d’un certain nombre de cartes et de statistiques, est structuré de la manière suivante et illustre le travail diplomatique à l’oeuvre à l’époque :

– la première partie est intitulée « le problème ». Elle dresse en 5 chapitres un historique des présences juive et arabe en Palestine en remontant à l’Antiquité, ainsi qu’une présentation du sionisme et de la situation sur place depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

– la seconde partie intitulée « le fonctionnement du Mandat », qui va du chapitre VI au chapitre XIX, s’intéresse au fonctionnement du Mandat britannique et à des questions diverses inhérentes à la gestion du territoire telles que la sécurité publique, la question de la terre, l’immigration, l’hygiène et l’instruction publiques.

– la troisième partie sert de constat sur la possibilité d’une solution durable et pour la première fois… un plan de partage est  proposé au chapitre XXII.

Souvent cité mais sans doute jamais vraiment lu depuis un moment, Cliotexte propose à ses lecteurs des extraits de ce rapport dans la version française disponible aux archives de la SDN. Le premier extrait de ce très long rapport est issu de la première partie, ici dans sa version française officielle. Nous vous proposons de revenir sur ce passage où la commission analyse ainsi la situation issue de la Première Guerre mondiale, les intentions des Alliés ainsi que les buts recherchés et les conséquences pour les populations arabes :


Extrait n° 1 : la recontextualisation, une situation issue de la défaite de l’Empire ottoman en 1918

[…]

  1. Il y a deux éléments qu’on n’apprécie pas à leur juste valeur en Palestine : le fait que la Déclaration Balfour a été publiée en 1917 pour gagner l’appui des Juifs à la cause des Alliés, et le fait que cet appui allait devenir effectif. Les Arabes ne paraissent pas se rendre compte en premier lieu, que la situation actuelle du monde arabe dans son ensemble est due en grande partie aux sacrifices considérables que les puissances alliées et associées en fait pendant la guerre et, en second lieu, que la Déclaration Balfour dans la mesure où elle a contribué à la victoire des Alliés, a également aidé à émanciper tous les pays arabes de la domination turque. Si les Turcs et leurs alliés allemands avaient gagné la guerre, il est fort peu probable que tous les pays arabes, à l’exception de la Palestine, seraient aujourd’hui devenus ou sur le point de devenir des états indépendants.
  2. Voyons maintenant la portée exacte de la Déclaration Balfour. Nous avons eu accès à tous les documents relatifs à la question, et il nous apparaît de toute évidence que les mots « établissement en Palestine d’un Foyer national » furent le résultat d’un compromis entre les ministres qui envisageaient la création future d’un État juif et ceux qui n’étaient pas de cet avis. Quoi qu’il en soit, il est certain que le gouvernement britannique ne pouvait s’engager à établir un État juif ; il ne pouvait que promettre de faciliter la création d’un foyer : l’activité et l’initiative des Juifs devaient faire le reste : il dépendait d’eux  surtout que leur foyer se développât suffisamment pour devenir un État juif.
  3. Ainsi donc, le Gouvernement de Sa Majesté se rendait compte qu’avec le temps il se pourrait qu’un État juif se constituât, mais il n’était pas en mesure d’affirmer que les choses se passeraient ainsi ; moins encore pouvait-t-il de sa propre initiative, réaliser cet état de choses. […]
  4. Voyons maintenant quelle fut la réaction de l’opinion arabe devant la déclaration Balfour : La plupart des régions arabes de l’Empire ottoman, y compris l’Irak, la Syrie et la Palestine, se trouvaient occupées par les forces britanniques, au moment où l’armistice du 30 octobre 1918 mit fin à la guerre avec la Turquie. Or, on avait donné aux Arabes l’espoir que la victoire leur apporterait leur complète indépendance. Dès le mois de janvier précédent, l’un des « quatorze points » énoncés par le Président Wilson comme bases de la paix, et l’un de ceux que les Alliés avaient accepté sans réserve stipulait ce qui suit :

« Aux régions turques de l’Empire ottoman actuel devront être garanties la souveraineté et la sécurité ; mais aux autres nationalités qui sont maintenant sous la domination turque, on devra garantir une sécurité absolue d’existence et la pleine possibilité de se développer d’une façon autonome sans être aucunement molestées ».

  1. Le 7 novembre, le Gouvernement britannique et le Gouvernement français publièrent une déclaration commune dont voici les passages essentiels :

« Le but qu’envisage la France et  la Grande-Bretagne en poursuivant en Orient la guerre déchaînée par l’ambition allemande, c’est l’affranchissement complet et définitif des peuples si longtemps opprimés par les Turcs et l’établissement de gouvernements et d’administrations nationaux puisant leur autorité dans l’initiative et le libre choix des populations indigènes.

Pour donner suite à ses intentions, la France et la Grande-Bretagne sont d’accord pour encourager et aider l’établissement de gouvernements et d’administrations indigènes en Syrie et en Mésopotamie actuellement libérées par les Alliés ou dans les territoires où ils poursuivent la libération et pour reconnaître ceci aussitôt qu’ils seront effectivement établis. Loin de vouloir imposer aux populations de ces régions telles ou telles institutions, elles n’ont d’autre souci que d’assurer par leur appui et par une assistance efficace le fonctionnement normal des gouvernements et administrations qu’elles se seront librement données ».

Les Arabes ayant toujours considéré la Palestine comme faisant partie de la Syrie, cette déclaration semblait leur promettre tout ce qu’ils demandaient ; leur déception fut d’autant plus grande lorsqu’ils apprirent que les Puissances victorieuses se proposaient non seulement de séparer la Palestine de la Syrie, mais encore de la placer sous un régime spécial afin de mettre à effet la politique annoncée par la déclaration Balfour. […] Même s’ils avaient interprété cette promesse comme signifiant que la Palestine ne serait pas indépendante, mais qu’elle serait placée sous l’autorité française, britannique ou international, ils n’auraient pu prévoir que ce régime comporterait l’établissement d’un Foyer national juif.

  1. Cependant, la Palestine ne représentait qu’un territoire relativement restreint et la situation à la fin de 1918 réalisait une grande partie des ambitions du chérif et de sa famille. Le monde arabe tout entier avait été affranchi du despotisme turc ; le calife ottoman avait vu son prestige diminué, alors que le shérif de la Mecque avait été proclamé roi du Hedjaz, reconnu État souverain et allait participer, avec l’émir Fayçal, à la tête de la délégation à la Conférence de la paix de Paris. […]
  2. […] Lorsque l’émir Fayçal se rendit à Londres et à Paris, on réussit à le convaincre non seulement d’accepter mais encore d’accueillir avec sympathie la déclaration Balfour. Au cours de l’été précédent, le Dr Haïm Weizmann […] était venu le trouver dans son camp, à l’est du Jourdain. Il avait réussi à convaincre l’émir des avantages que le foyer national juif apporterait à la Palestine tout entière. Aussi, la note que l’émir présenta à la Conférence de Paris était-elle rédigée sur un ton extrêmement conciliant :

« En Palestine, l’immense majorité de la population est arabe. Les Juifs sont très proches des Arabes par le sang et il n’y a entre les deux races aucun conflit de caractère. En principe, nous ne faisons qu’un seul peuple. Néanmoins, les Arabes ne sauraient assumer la responsabilité de tenir la balance égale dans les conflits de race et de religion qui, dans cette province, ont si souvent provoqué des difficultés pour les Puissances. Ils souhaiteraient voir placer la tête du pays une autorité supérieure, à condition qu’une administration représentative des intérêts locaux se préoccupe de développer activement la prospérité matérielle du pays ». […]

Extrait n° 2 : Lord Balfour et la voie diplomatique de la négociation

  1. Dix-huit mois plus tard, le 12 juillet 1920, Lord Balfour dans un discours souvent cité, énonçait à nouveau l’idée d’un compromis sur une base de ce genre. Parlant des difficultés qui jalonnaient la voie du sionisme, il déclarait :

« De toutes ces difficultés, la plus grande peut-être, ou en tout cas, la première, est, je crois bien, le règlement de la question arabe dans les limites de la Palestine. Il demandera du tact, du jugement et surtout beaucoup de bonne volonté et de compréhension mutuelle de la part des Juifs et des Arabes. Pour ce qui est des Arabes – race noble, intéressante et sympathique – j’espère qu’ils se souviendront que les grandes Puissances et singulièrement la Grande-Bretagne les ont libérés de la tyrannie de leur brutal conquérant qui, depuis plusieurs siècles, les maintenait sous le joug. J’espère qu’ils se souviendront que c’est nous qui avons établi la souveraineté arabe indépendante du Hedjaz. Ils se souviendront que c’est nous qui désirons, en Mésopotamie, préparer l’établissement futur d’un État arabe autonome et indépendant. J’espère que, se souvenant de tout cela, ils ne s’opposeront pas à ce que ce petit coin de terre – la Palestine, si elle a gardé quelque valeur historique, n’est guère davantage du point de vue géographique – cette petite fraction de territoires désormais arabes soit donné au peuple qui, depuis des centaines d’années, en est éloigné ».

Société des Nations, Mandat Palestine, Rapport de la Commission royale de Palestine, présenté au Parlement du Royaume-Uni par le Secrétaire d’État pour les Colonies par ordre de sa Majesté Britannique (juillet 1937) – Genève 1937, 240 pages pour la version française officielle.

Extraits issus de la 1ère partie « le problème », chapitre II « La guerre et le Mandat », sous-chapitre 2 « la déclaration Balfour »

***

L’émir Fayçal en compagnie du docteur Weizmann, janvier 1919. Auteur de la photo : inconnu.

Note : Cliotexte propose une série de textes sources consacrée au conflit israélo-palestinien par nature très complexe. Ces documents, choisis en fonction de leur accessibilité et de leur intérêt, sont avant tout proposés dans le but d’éclairer un aspect donné de ce conflit de très longue durée. La sélection n’a pas pour but d’être exhaustive. En aucun cas, la publication de ces textes ne vaut, de notre part,  approbation ou condamnation d’un des deux camps en présence.