La citoyenneté athénienne est basée sur des règles précises avec lesquelles les individus ne sauraient prendre des libertés.
En 349 av JC, un certain Stéphanos, sycophante de profession, fait condamner Apollodore d’Archanes comme auteur d’un décret illégal, ce dernier finissant ruiné. Quelques années après, avec l’aide de son gendre Théomneste, il prend sa revanche en faisant à son tour condamner Stéphanos.
Ce dernier vit depuis longtemps avec une femme appelée Nééra, une hétaïre problement née aux environs de l’an 400. Le chef d’accusation est triple : Nééra est étrangère ; après avoir exercé le métier de prostituée, elle aurait usurpé la qualité d’Athénienne, en se faisant passer pour la femme légitime de Stéphanos et, enfin, elle aurait, avec la complicité de Stéphanos fait passer ses enfants comme étant des enfants de citoyens athéniens, sa fille Phanô, étant également accusée d’avoir épousé illégalement un citoyen athénien, Théogène. Si l’issue de ce procès n’est pas connue, la lecture du texte probablement rédigé par Apollodore (et non par Démosthène comme le laisse supposer le titre du recueil) livre de précieuses indications sur le statut de la femme et les règles de la citoyenneté à Athènes.
[…] Vous savez, Athéniens, quel tort m’a fait Stéphanos, et comment je suis amené à cette place pour accuser Nééra ici présente. Théomneste vient de vous le dire. Il s’agit maintenant de prouver que Nééra est étrangère, et qu’elle enfreint les lois en vivant avec Stéphanos. C’est ce que je vais vous montrer avec évidence. Et d’abord, on va vous lire la loi aux termes de laquelle la présente accusation a été intentée par Théomneste et se trouve aujourd’hui portée devant vous.
LOI.
Si un étranger vit avec une Athénienne, par quelque détour ou sous quelque prétexte que ce soit, il pourra être accusé devant les thesmothètes par tout Athénien ayant droit de porter une accusation. S’il est déclaré coupable, il sera vendu, lui-même et ses biens, et le tiers du prix appartiendra au poursuivant. Il en sera de même si une étrangère vit avec un Athénien ; dans ce cas l’homme qui aura pris avec lui l’étrangère déclarée coupable payera une amende de mille drachmes.
Vous avez entendu la loi, juges. Elle interdit toute union, soit entre une étrangère et un Athénien, soit entre une Athénienne et un étranger, comme aussi toute procréation d’enfants, par quelque détour ou sous quelque prétexte que ce soit. En cas d’infraction de cette défense, elle permet d’en accuser les auteurs devant les thesmothètes, l’étrangère comme l’étranger ; et si l’accusé est déclaré coupable, elle veut qu’il soit vendu je dis donc que Nééra, ici présente, est étrangère, et je veux vous en donner la preuve précise, en prenant les choses au commencement.
Les sept filles que vous savez étaient encore de petits enfants quand elles furent acquises par Nicarète, affranchie de Charisios d’Élée, et femme d’Hippias, cuisinier de ce même Charisios. Habile à deviner chez de jeunes enfants la beauté naissante, elle savait les nourrir et les dresser dans les règles, ayant fait de cela son industrie et son gagne-pain. Elle les appelait ses filles, et les faisait passer pour libres, afin de pouvoir exiger davantage de ceux qui voulaient en jouir. Après avoir exploité la jeunesse de chacune d’elles, elle finit par les mettre en vente toutes les sept ensemble, à savoir : Antéia, Stratola, Aristoclée, Métanire, Phila, Isthmiade, et enfin Nééra ici présente. […]
Alors Phrastor porte contre Stéphanos une accusation devant les thesmothètes ; il dit que Stéphanos, étant Athénien, lui a donné en mariage la fille d’une étrangère comme étant sa propre fille, et il invoque la loi que nous invoquons nous-mêmes en ce moment. Lis-moi cette loi.
LOI.
Si quelqu’un donne en mariage à un Athénien une femme étrangère comme étant sa fille, il sera frappé d’atimie, ses biens seront confisqués et le tiers appartiendra à la partie qui aura obtenu la condamnation. L’accusation sera portée devant les thesmothètes, par toute personne ayant le droit d’accuser, comme les poursuites contre les étrangers qui se font passer pour citoyens. […]
TÉMOIGNAGE.
Théogène d’Erchia déclare ce qui suit : Lorsqu’il était archonte-roi il épousa Phano, la croyant fille de Stéphanos. Mais s’étant aperçu qu’il avait été trompé, il renvoya cette femme et cessa de cohabiter avec elle; en même temps il chassa Stéphanos de son conseil et ne lui permit plus de siéger comme son assesseur.
Prends-moi la loi que voici, celle qui règle ces choses, et donnes-en lecture. Il faut que vous sachiez ceci : étant ce qu’elle était, ayant fait ce qu’elle a fait, ce n’est pas seulement aux cérémonies dont je viens de parler qu’elle devait s’abstenir, qu’il lui était interdit de voir, de sacrifier, de célébrer aucun des rites transmis par nos ancêtres, non, c’est à toutes les cérémonies qui s’accomplissent dans Athènes. Lorsqu’une femme a été prise en flagrant délit d’adultère, la loi lui interdit l’approche des cérémonies du culte public, dont elle a cependant permis l’accès même à la femme étrangère, même à la femme esclave, soit pour voir, soit pour prier. Les seules femmes auxquelles la loi interdise l’approche des cérémonies du culte public, sont celles qui ont été prises en flagrant délit d’adultère. Si elles s’introduisent au mépris de la loi, on peut leur faire subir impunément tout ce qu’on veut, jusqu’à la mort exclusivement. Et, en ce cas, la loi donne au premier venu le droit de punir. Pourquoi la loi a-t-elle fait cela? Pourquoi a-t-elle dit que jusqu’à la mort exclusivement cette femme pourra recevoir tous les outrages sans recours ouvert devant aucun tribunal ? C’est afin de tenir les cérémonies exemptes de toutes souillures et de tous sacrilèges. C’est pour inspirer aux femmes une crainte capable de leur faire garder les bonnes moeurs, fuir le vice, vivre honnêtement dans leur maison; pour leur apprendre que, si l’une d’elles enfreint ces devoirs, elle sera exclue à la fois de la maison de son mari et des cérémonies du culte national. Pour vous convaincre qu’il en est bien ainsi, on va vous lire le texte même de la loi. Prends-moi la loi.
LOI SUR L’ADULTÈRE.
Lorsqu’un mari aura pris sa femme en flagrant délit d’adultère, il ne lui sera plus permis de cohabiter avec elle. S’il le fait, il sera frappé d’atimie. Pareillement, il est interdit à la femme prise en flagrant délit d’adultère d’approcher des cérémonies du culte national. Si elle s’en approche, on pourra lui faire impunément subir toute espèce de traitement, jusqu’à la mort exclusivement. […]
Les plaidoyers civils de Démosthène, traduits en français avec arguments et notes par Rodolphe Dareste, Tome second, Paris, Plon, 1875, extrait du chapitre XXXIII « Théomnestre et Apollodore contre Nééra », p. 315-330.