L’intégration des Italiens dans le Gers ne s’est pas faite sans heurts et sans violences, comme en témoignent les documents.

Dans les années 1920 et 1930, l‘immigration des Italiens constitua un phénomène marquant de l’histoire du Gers. Le département, confronté au manque de bras causé par la saignée de la grande Guerre, par la dénatalité et l’exode rural, encouragea l’installation de milliers de familles italiennes venues en majorité du nord de l’Italie. Main d’oeuvre principalement agricole, les Italiens se firent employer comme salariés ou reprirent des fermes en déshérence comme métayers, fermiers ou propriétaires.

Cette histoire d’immigration fait partie intégrante de l’histoire du Gers, à tel point que les Archives départementales du Gers ont eu la bonne idée d’organiser, à l’automne 2022, une exposition sur le sujet, en association avec le musée de l’histoire de l’immigration de Paris.

De nos jours, les descendants de ces immigrés sont pleinement intégrés et revendiquent souvent avec fierté leur identité “italo-gasconne”. Mais cette intégration des Italiens ne s’est pas faite sans heurts, sans douleurs et parfois même sans  violences, comme en témoignent les documents présentés ici. Ces pièces d’archives nous ont été fournies par les Archives départementales du Gers et sont consultables sous la cote 1 W 716.

Les pièces proviennent des archives préfectorales et renvoient à un moment très particulier, celui de l’été 1945, quelques semaines après la fin de la guerre. Les faits de violences contre les Italiens qui se sont produits dans le nord du Gers ont été considérés comme suffisamment sérieux pour faire l’objet d’un rapport des Renseignements généraux et d’un suivi par la préfecture.

Il ressort de la lecture de ces documents que les motivations des auteurs des violences sont variées et entremêlées. L’hostilité envers les Italiens, communauté étrangère nombreuse et visible, dégénère en actes de violence pour des raisons politiques liées à la guerre : “ITALIENS, les FRANCAIS n’oublient pas vos insolences de 1940 et sous l’Occupation”. Ces violences se rattacheraient donc à une forme de règlement de compte et d’épuration spontanée – somme toute légère puisqu’il n’y eut pas de morts – que les services de la sous-préfecture s’efforcent de contrôler, réaffirmant ainsi, par la même occasion, l’autorité de l’Etat.

Les violences contre les Italiens s’expliquent aussi par des considérations relevant de la culture populaire des campagnes de cette époque : l’importance des “bals” comme lieu central de la sociabilité des villages, où s’expriment crûment les “rivalités amoureuses” qui se terminent en “bagarres” entre éléments très jeunes, généralement des garçons de 18 à 25 ans”.

Enfin, des motivations matérielles : “rivalités d’affaires” entre paysans français et italiens pour l’acquisition d’une terre, un contrat de fermage ou la vente de tel ou tel produit. Les occasions d’en vouloir à son voisin, italien de surcroît,  ne manquaient pas…


Document 1 : note des Renseignements généraux adressée au préfet du Gers, 9 Août 1945

REPUBLIQUE FRANCAISE                                          RENSEIGNEMENTS GENERAUX DU GERS.

Auch, le 9 Août 1945.

NOTE DE RENSEIGNEMENTS n° 389 [adressée au cabinet du préfet du Gers]

Objet: Incidents entre Français et Italiens.

Le Comité Italien de Libération nationale du Département du Gers a adressé à 1’Ambassade d’Italie de Paris, un rapport mentionnant les divers incidents qui ont éclaté à l’égard des ressortissants italiens dans les régions de Lannepax – Courrensan – Vic- Fezensac- Eauze.

Voici la liste des incidents signalés :

“A Bazian, canton de Vic-Fezensac, le jour de la fête de l’Armistice, les organisateurs de la fête passèrent recueillir les dons chez les familles italiennes, le soir au moment des réjouissances,

les Italiens furent chassés du bal et frappés.

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A Eauze, le nommé Renso COLOVINO, de nationalité italienne, fut brutalement malmené par un cultivateur français. Dans cette même ville, les Français profitèrent d’incidents entre espagnols et italiens pour grossir les faits et lancer toute la colonie espagnole contre les italiens.

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A Courensan, le nommé TREVISOL, de nationalité italienne, inscrit à l’U.J.I a été brutalement frappé par deux français. Il en fut de même pour les nommés NEGRINI Alberto et GUIGI Anessa.

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A Rioms, deux français, accompagnés de romanichels entrèrent dans la maison du nommé PACENTINI, naturalisé français et après s’être livré à une freille, frappèrent tous les membres de la famille. Dans ce même village, les nommés ARMAROLI Mario et VEDOVATO Asunta au cours d’une permission furent battus et chassés du bal.

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« A Gondrin, des ressortissants italiens, hommes et femmes, furent refoulés du bal organisé à l’occasion du 14 Juillet et quelques uns furent frappés.

Enfin, des français se promènent en armes dans la Région de Lannepax, menacent les italiens. Dans les villages, de Gondrin, Courrensac, Lannepax, Uys, Castillon-Debats, la vie des italiens est continuellement sous la menace d’un groupe de français qui se transporte dans les dites localités. »

Tous ces faits qui paraissent grossis, démontent l’attitude des Français à l’égard des ressortissants italiens, dont la grosse majorité nargua pendant 4 ans les paysans de cette contrée, qui aujourd’hui ne peuvent comprendre qu’il existe des Italiens anti-fascistes.


Document 2 : note du sous-préfet de Condom adressée au Préfet du Gers,  11 Août 1945

Comme suite à notre entretien téléphonique de ce matin, j’ai l’honneur de vous apporter les précisions suivantes en ce qui concerne les incidents entre Français et Italiens, qui se sont produits, à plusieurs reprises, dans la région d’EAUZE-MONTREAL.

L’hostilité à l’égard des Italiens tient à des causes assez diverses : rivalités d’affaires, rivalités amoureuses, oppositions politiques, attitude de beaucoup d’Italiens au moment de la première bataille de France, de l’entrée en guerre de l’Italie, de l’Armistice, de l’occupation.

Il ne fait pas de doute en effet, que beaucoup d’Italiens qui cherchent aujourd’hui à se présenter comme des Résistants authentiques et des anti-fascistes de toujours, ont, surtout au moment de l’Armistice, affirmé bien haut leurs sentiments pro-axistes et annoncé à qui voulait les entendre qu’ils s’empareraient bientôt des terres appartenant aux paysans français. Cette attitude a provoqué une très vive irritation accrue encore par le fait que très peu de jeunes Italiens ont rejoint le maquis et qu’alors que leurs camarades Français étaient mobilisés, ils restaient sur leur terre.

Il convient d’ailleurs de noter que presque tous les incidents provoqués dans la région sont de fait d’éléments très jeunes, généralement de garçons de 18 à 25 ans.

Le dimanche 25 Février 1945, un premier incident assez grave eut lieu dans un bal de DEMU, incident au cours duquel le nommé LEGE de DEMU, domestique italien, fut frappé par un groupe de Jeunes français, notamment par un nommé CLAJAC. La raison de cette bagarre était, semble-t-il, la volonté de certains éléments français du bal.

C’est au moment de l’Armistice que des incidents plus nombreux devaient se produire dans toute la région, la joie populaire se manifestant par 1’organisation plus ou moins spontanée de bals auxquels assistait toute la jeunesse.

A MONTREAL, le 8 Mai 1945, (Procès-Verbal de Gendarmerie 227) une bagarre au cours de laquelle il fut fait usage, du coté Italien, d’armes à feu, mais qui se termina sans blessures

graves, entraîna l’arrestation du nommé GRASSI.

A GONDRIN, le 8 Mai, un nommé LORENZI et d’autres Italiens, furent expulsés du bal. Dans la même localité, le 22 Mai, un incident analogue opposa le frère de LORENZI, italien naturalisé, à un nommé TAUZIEDE de COURENSAN. Une bagarre suivit au terme de laquelle TAUZIEDE porta plainte pour coups et blessures contre LORENZI.

A LANNEPAX, des événements analogues se produisirent en Juin. Un Italien fut légèrement blessé.

A LAURAET et FOURCES, il y eut également des oppositions plus ou moins violentes entre Français et Italiens.

A la suite de ces incidents, je me rendis le 31 Mai, à MONTREAL où je convoquais les Maires du Canton, le Président du Comité Cantonal de Libération, ainsi que les représentants des organismes anti-fascistes Italiens. Assistait notamment à cette réunion, un Délégué du Comité Régional Italien de Libération.

Je m’efforcais de rechercher la responsabilité des incidents qui s’étaient produits et je lançais un appel au calme et à meilleure compréhension réciproque. Les Maires dont certains étaient cependant prévenus contre les Italiens, me promirent de tout faire pour éviter la répétition d’incidents graves. De leur côté, les Italiens s’engagèrent à tenir compte de l’avis des Résistants Français quant à l’épuration des éléments fascistes qui s’étaient glissés dans les Comités Italiens de Libération. Ils promirent également d’engager dans la mesure compatible avec les règlements en vigueur, les jeunes Italiens à entrer dans l’Armée.

Je rendis compte de cette réunion et des décisions prises sur mon initiative à M. le Préfet du Gers par une lettre en date du 31 Mai 1945.

Quelques jours plus tard, un incident se produisit dans un bal de CONDOM entre Français et Italiens. Là encore je prêchais le calme et communiquait à la presse une note dans laquelle je déclarais :

« A la suite des incidents regrettables qui se sont « produits au bal donné à CONDOM, sous les Cloîtres, le dimanche 3 Juin 1945, le Sous-Préfet de CONDOM lance à toute la population un appel au bon sens et à la raison pour que de pareils faits ne se renouvellent pas. Si l’ordre vient à nouveau à être troublé dans une circonstance semblable et, quelque en soient les responsables, il serait inévitable, sans préjudice des sanctions personnelles qui pourraient être prises, que les bals ou toutes manifestations de ce genre soient désormais interdits dans la Commune. »

Le Maire de CONDON avait approuvé les termes de cette note à la presse.

A la suite de la réunion de MONTREAL et de l’appel publié à la Presse, une très nette détente se manifesta, les incidents devinrent, par la suite, beaucoup plus rares. Je ne puis citer que l’expulsion des bals de sujets italiens sans que des coups et blessures aient été échangés à LANNEPAX le 29 Juillet, lors de la fête locale et un incident analogue provoqué surtout par des motifs de rivalité amoureuse à LARROQUE-sur-LOSSE. Je dois d’ailleurs me rendre, à la demande du Maire, demain dimanche à LARROQUE, pour tenter d’apaiser les esprits.

J’ai été, dans l’ensemble, tenu à peu près régulièrement au courant de ces incidents, mais j’ai l’intention d’adresser aux Maires de l’Arrondissement une lettre circulaire leur demandant d’une part de faire tout le nécessaire pour éviter le renouvellement d’incidents entre Français et Italiens et, d’autre part, de m’avertir immédiatement dès que de tels incidents se produisent.

Pour résumer, il est bien évident que le malaise existant entre Français et Italiens qui a des motirs très profonds ne se dissipera pas d’ici longtemps. Toutefois, la situation s’est nettement améliorée depuis deux mois et on peut, à mon avis, espérer que dans l’avenir, il ne se produira pas d’incidents aussi graves que ceux que nous avons dans le passé.

Le Sous-Préfet,

P.S Pour être a complet, je dois également signaler un incident qui se serait produit 11 y a peu de temps à BERAUF où M. BIGNI aurait été expulsé d’un bal.


Documents 3 : petits tracts anonymes  anti-italiens retrouvés au Mas d’Auvignon en juillet 1945

ITALIENS, n’attendez pas d’autres ORDRES pour partir. Demandez votre rapatriement aujourd’hui, demain sera trop TARD.

 

    ITALIENS, les FRANCAIS n’oublient pas vos insolences de 1940 et sous l’Occupation. PARTEZ ou MALHEUR A VOUS

 

Vous étiez trop laches ou trop FACISTES pour aider à notre libération

DECIDEZ VOUS ou les ARMES vous DECIDERONT

 

Savoie 1938 les Français sont chassés de chez eux laissant tout leur avoir

1945 les ITALIENS seront CHASSÉS de chez NOUS