En 1930, la Heinz Company, fondée en 1876 à Pittsburgh, est devenue l’un des fleurons de l’industrie agro-alimentaire des Etats-Unis et le leader mondial de la production de ketchup, son produit le plus célèbre parmi les quelque 57 variétés de sa gamme alimentaire.
En 1930, les matières premières transformées sur ses chaînes de production viennent de tous les horizons ; l’entreprise a des usines au Canada, en Angleterre, mais aussi en Australie et en Espagne ; ses produits s’exportent dans de nombreux pays du monde. On peut donc considérer la Heinz Company comme pionnière de ce qu’on n’appelle pas encore la mondialisation.
Le 8 novembre 1930, la Heinz Company organise son deuxième banquet mondial où sont invités plus de 10.000 employés de l’entreprise multinationale. Á la même heure et dans les divers pays où la Compagnie est implantée, tous sont réunis dans un banquet mondialisé pour consommer le même repas, aux frais et à la gloire de l’entreprise !
La première édition du banquet mondial avait eu lieu le 11 octobre 1924 et le discours en hommage du fondateur Henry John Heinz avait été prononcé et diffusé à la radio par le président des Etats-Unis, Calvin Coolidge.
6 ans plus tard, en 1930, son successeur Herbert Hoover lui emboîte le pas. Mais le contexte n’est plus le même. Aux années folles des « roaring twenties » a succédé la crise la plus grave que le système capitaliste ait connu. Mais qu’à cela ne tienne! En tant que président aux convictions libérales chevillées au corps, le président se devait de rendre un hommage appuyé au roi du ketchup …
Aussi, au delà d’un hommage convenu à une entreprise-modèle au succès éclatant, le discours prononcé par le président Hoover s’apparente-t-il à une véritable profession de foi (et c’est cela son principal intérêt…) en faveur de la grande entreprise et du capitalisme : un monde idéal sans grèves, sans conflit social, rempli d’ouvriers souriant en travaillant à la chaîne, heureux de leur sort et de leur situation matérielle, en pleine crise des années 30 …
Message radiodiffusé du président Herbert Hoover du 8 novembre 1930 adressé aux employés de la Heinz Company.
C’est un plaisir de participer pendant quelques instants à cet hommage rendu à M. Heinz par ses employés partout dans le monde. Sa collaboration avec moi pendant la guerre et à plusieurs reprises depuis, lorsque je l’ai appelé à son entreprise pour entreprendre un service public, me donne le droit d’être en esprit parmi ceux qui se joignent à cette occasion.
C’est aussi une satisfaction de participer pour un instant à l’anniversaire de l’établissement qui a un record de plus de 60 ans de paix industrielle continue. Cette longue histoire est la preuve qu’il existe un terrain d’entente d’intérêt mutuel et de relations humaines entre employeur et employé, sinon cette situation n’aurait pas résisté durant toutes ces années aux vicissitudes des bons et des mauvais moments, s’il en avait été autrement.
Et d’année en année, nous prenons davantage conscience de nos responsabilités dans les relations humaines au sein de l’industrie. La mécanisation est si emblématique de notre civilisation moderne que nous avons souvent tendance à oublier que la machine la plus merveilleuse et la plus puissante du monde, ce sont les hommes et les femmes eux-mêmes. C’est de l’être humain dont dépend la réussite bien plus que de l’outil.
Si étonnante que puisse être l’augmentation de l’utilité des machines à mesure qu’elles grandissent en taille et en ingéniosité, leur amélioration est peu de chose comparée à l’efficacité accrue de l’intelligence et de la coopération lorsque les hommes unissent leurs efforts pour atteindre un but commun. La conquête des machines par l’homme est moins spectaculaire que la conquête de sa propre volonté.
Construire et maintenir ininterrompu un esprit de coopération entre un grand groupe d’employeurs et d’employés pendant deux longues générations est une preuve réconfortante des possibilités de la nature humaine. Le secret de celui-ci est plus important pour l’humanité que n’importe quel secret commercial ou nouvelle invention.
Heureusement, il n’y a rien de mystérieux dans cela, rien de brevetable ou d’exclusif, rien qui ne soit pas libre d’être utilisé par tous. La clé en est aussi ancienne que les religions que nous professons. Ses origines et sa puissance résident dans des générations d’éducation et de recherche scientifique, dans les forces bienveillantes de la bonne volonté mutuelle, l’esprit d’entraide, les vertus de patience, de tolérance et de compréhension. Cet esprit d’adaptation a remporté toutes les ultimes victoires de l’histoire. Les guerres entre nations, les guerres entre groupes au sein des nations, les conflits industriels, tous se terminent par ce qui semble être la victoire de l’un des prétendants, mais la vraie victoire n’arrive qu’après que la bataille a été oubliée et lorsque la nature humaine des deux côtés trouve dans la bonne humeur un accord sur une solution commune.
Les conflits du travail sont le plus grand gâchis de l’industrie. Non seulement il retarde la production et la diminue, mais ses résultats les plus préjudiciables sont infligés à la vie et à l’esprit des hommes et des femmes. Nous pouvons mesurer ses pertes productives en biens non fabriqués et en dollars non gagnés, mais incalculable est son fardeau inutile de souffrance.
En outre, le but de l’industrie n’est qu’en partie de créer des objets, des articles et des services qui satisfassent des besoins physiques. C’est là une fonction essentielle, mais le but supérieur de l’industrie est de procurer aux êtres humains les satisfactions de la vie, non seulement dans ses produits, mais dans le travail de production lui-même. À moins que l’industrie ne rende les hommes, les femmes et les enfants vivants plus heureux dans leur travail, à moins qu’elle ne leur donne des opportunités et des satisfactions créatives dans le travail lui-même, elle ne peut excuser son échec en alléguant qu’au moins elle les a maintenus en vie. L’homme a appris l’art de rester en vie bien avant d’apprendre l’art de la mécanique. La machine doit lui construire une vie meilleure, non seulement en temps de loisirs mais aussi en joie au travail, plus qu’il ne connaissait auparavant. Je suis convaincu que, dans l’ensemble, elle le fait, non seulement par ses productions et par l’allégement de la corvée, mais aussi car elle élargit toujours plus les satisfactions de l’homme dans son labeur.
Je vous félicite tous très chaleureusement pour le rôle que vous avez joué dans la tâche de subordonner le mécanisme de l’industrie au bien-être des hommes et des femmes qui le font fonctionner. Cette expérience n’est peut-être pas universelle. Si elle l’était, le monde serait plus riche en esprit par les enrichissements incalculables du bonheur humain.
Message du président des Etats-Unis Herbert Hoover radiodiffusé de la Maison Blanche, le 8 novembre 1930, adressé aux employés de la Heinz Company.
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Texte original en anglais
IT IS A PLEASURE to participate for a few moments in this tribute to Mr. Heinz from his employees throughout the world. His association with me in service during the war and many times since, when I have summoned him from his business to undertake public service, gives me a right to be in spirit amongst those who join in this occasion.
It is also a satisfaction to engage for a moment in the anniversary of the establishment which has a record of over 60 years of continuous industrial peace. This long history is proof that there is common ground of mutual interest and humane relations between employer and employee, for this concern could not have weathered all these years of shifting currents in good times and bad times had it been otherwise.
And year by year do we realize more of our responsibilities in the human relations within industry. Mechanization is so distinctive of our modern civilization that even as a mechanical conception we often tend to forget that the most wonderful and powerful machine in the world is the men and women themselves. It is the human being from which achievement is won far more than the tool.
However astonishing may be the increase in usefulness of machines as they grow in size and ingenuity, their improvement is little as compared with the enlarged effectiveness of organized intelligence and cooperation when men pool their efforts to achieve a common end. Man’s conquest of machines is less spectacular than his conquest of his own will.
To build up and preserve unbroken a cooperative spirit between a great group of employers and employees for two long generations is a cheering proof of the possibilities of human nature. The secret of it is more important to mankind than any secret of trade or any new invention.
Fortunately, there is nothing mysterious about it, nothing patentable or exclusive, nothing that is not free to be used by all. The key to it is as old as the religions we profess. Its origins and its power lie in generations of education and scientific research, in the benignant forces of mutual good will, the spirit of mutual helpfulness, the virtues of patience and toleration and understanding. This spirit of accommodation has won all of the ultimate victories in history. Wars between nations, wars between groups within nations, industrial conflicts, all end in what appears to be victory for one of the contenders, but the real victory arrives only after the battle has been forgotten and when the human nature of both sides meets in cheerful agreement upon a common solution.
Industrial conflict is the greatest waste in industry. It not only delays production and diminishes it, but its most hurtful results are inflicted upon the lives and spirits of men and women. We can measure its productive losses in unmade goods and unearned dollars, but incalculable is its needless toll of suffering.
Moreover, the purpose of industry is only in part to create objects, articles, and services which satisfy physical needs. This is an essential function, but the higher purpose of industry is to provide satisfactions of life to human beings not alone in its products but in the work of production itself. Unless industry makes living men and women and children happier in their work, unless it gives opportunity and creative satisfactions in the job itself, it cannot excuse its failure by pleading that at least it has kept them alive. Man learned the art of staying alive long before he learned the art of mechanics. The machine must build him a better life, not alone in time of leisure but in joy of work, than he knew before. I have every faith that in the broad view it is doing so, not only in its products and relief from sweat, but that it increasingly enlarges man’s satisfactions in his toil.
I congratulate you most heartily upon the part that you have all played in the task of subordinating the mechanism of industry to the well-being of the men and women who operate it. This experience may not be universal. If it were, the world would be wealthier in spirit by the incalculable enrichments of human happiness.
In his opening remarks, the President referred to Howard Heinz, president of the H. J. Heinz Company. 8 november 1930.