Au moment où paraît cet article du Monde, le président Chirac est installé depuis 1997 dans une cohabitation avec Lionel Jospin, premier ministre appuyé sur la « Majorité plurielle », alliance des socialistes, des écologistes, des communistesPCF dont Jospin défend la présence en affirmant un jour devant l’Assemblée, et fort imprudemment, que cette alliance existait déjà du temps du Cartel des gauches, ce qui est inexact aussi bien pour le premier cartel soutenu sans participation par la SFIO en 1924-1926 que pour le second, en 1932-1933. et des chevènementistes.
Le Front national, fondé en 1972 en vue des législatives de 1973, est installé depuis seize ans dans la vie politique française. Son ascension a débuté avec les municipales partielles de Dreux (1983), les européennes de 1984 et les législatives de 1986 qui lui ont permis de siéger à l’Assemblée nationale durant la législature 1986-1988. Ce succès se trouve favorisé par le scrutin proportionnel installé sous Mitterrand, à qui cette extrême droite a quand même permis de limiter l’influence de ses adversaires à droite. La mort de Maurice Bardèche rappelle évidemment les liens familiaux existant entre un Front national agrégeant différentes strates géologiques de l’extrême droite française (intégrisme, pétainisme, admirateurs du fascisme, Algérie française, poujadisme).
« C’est une nef aux deux tiers remplie qui a accueilli, samedi 12 septembre, dans l’église Saint-Nicolas du Chardonnet, le fief parisien des intégristes, une messe solennelle dite en latin pour l’écrivain Maurice Bardèche, mort un mois et demi plus tôt (Le Monde daté, 2-3 août). L’événement avait rameuté toutes les générations de l’extrême droite la plus « dure » autour du cercueil du beau-frère de Robert Brasillach, fusillé à la Libération pour collaboration avec les nazis et toujours considéré comme un martyr par une partie de l’extrême droite. Certains arboraient, en badge, la photo du rédacteur de Je suis partout. L’assistance était dominée par les nostalgiques de Vichy, par les admirateurs déclarés du fascisme ou de l’Allemagne nazie, comme Bardèche lui-même l’était demeuré toute son existence, plutôt que par le monde de l’édition, qui continua à publier l’œuvre du Bardèche critique littéraire et qui conserva pour l’ancien normalien une certaine indulgence. Les figures marquantes du Front national se sont globalement abstenues de paraître, même si l’on pouvait remarquer, çà ou là, dans les travées, un visage connu de responsable de ce parti. Jean-Pierre Reveau, le trésorier, Jacques Robichez, président du « conseil scientifique » du mouvement, ou Jean-Pierre Cohen, membre du comité central, faisaient ainsi partie du public, à côté du directeur du cabinet de Jean-Marie Le Pen, Bruno Racouchot. On pouvait surprendre, dans le cercle des proches, certaines figures appartenant à la mémoire la plus blafarde de l’extrême droite. Celle d’Henry Coston, par exemple, né en 1910, agitateur antisémite professionnel et agent de propagande nazi depuis 1935, auteur de pamphlets et de brochures aux titres évocateurs comme La France colonie juive (1937) ou Je vous hais (1944).
Un « prophète »
M. Coston continue à être très lu à l’extrême droite, y compris à l’intérieur du Front national. Il était inévitable que les ténors du négationnisme français se joignent aussi à Maurice Bardèche dans son dernier voyage, puisqu’il fut l’un de leurs précurseurs et de leurs soutiens. Ainsi fit Henri Roques, auteur d’une thèse, soutenue en 1985 à l’université de Nantes, contestant la réalité des chambres à gaz ; Pierre Guillaume, dirigeant de La Vieille Taupe et éditeur de Roger Garaudy ; ou l’avocat des négationnistes Eric Delcroix, conseiller régional (Front national) de Picardie.
De même, l’ancien milicien François Brigneau, chroniqueur à National Hebdo, Jean Madiran, directeur du quotidien Présent – qui vient de consacrer au défunt une série d’articles intitulée « Bardèche : un ami, notre premier voisin » – côtoyaient Pierre Sidos, de l’œuvre française, Roland Gaucher, ancien directeur de National Hebdo, Jean-Claude Jacquard, responsable national du Groupement de recherches et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), Pierre Pujo, de l’Action française. Quant à M. Le Pen, absent à Saint-Nicolas du Chardonnet, il s’est associé à l’hommage sous la forme d’un « in memoriam » de sa main, publié par l’ensemble de la presse d’extrême droite, en particulier par Français d’abord, l’organe du FN. Le président du Front national y saluait en Bardèche le « prophète d’une renaissance européenne qu’il espéra longtemps », ainsi qu’« un (sic) grand écrivain et un historien d’avant- garde ».
Cet « historien », en relation suivie avec Paul Rassinier – l’inventeur, à proprement parler, du négationnisme -, n’hésitait pas à écrire, dans son Nuremberg ou la terre promise de 1948 (ouvrage en principe interdit à la vente depuis 1952), la profession de foi suivante : « Quant à moi, le nègre américain qui abaisse tranquillement au-dessus des maisons d’une ville le levier de son magasin de bombes me paraît encore plus inhumain, encore plus monstrueux que le gardien de prison qui, dans notre imagerie, accompagne vers la douche mortelle les sinistres convois de Treblinka. »
Christiane Chombeau et Nicolas Weill, Jean-Marie Le Pen rend hommage à l’écrivain antisémite Maurice Bardèche, Le Monde, mardi 15 septembre 1998.
Deux mois après cet événement, la dispute éclate entre le Pen et son numéro deux Bruno Maigret à qui le premier dénie ce dernier titre, moquant dédaigneusement le puputsch (sic). Durant toute la période qui va de novembre 1998 au 21 avril 2002, le Front national est divisé entre deux entités rivales. Au point que, très imprudemment, les médias martèlent et accréditent dans une partie de l’opinion que le parti d’extrême droite est mort. En 1999, le discours tenu par le nouveau président de SOS Racisme – fondé après la Marche pour l’égalité dans un contexte de lutte contre le Front national – n’est-il pas celui d’un antiracisme post-Front national ? En 2002, sur le divertissement des Guignols de l’info, visibles en clair sur Canal plus – une chaîne de TV alors estampillée jeune et décalée – la marionnette de Le Pen ne s’exprime plus guère. Elle apparaît de temps à autre de face pour simplement dire « J’attends ».