L’annonce du décès du président de la République Georges Pompidou dans la soirée du 2 avril 1974 stupéfia le peuple français et prit au dépourvu  la classe politique. Même si les rumeurs sur le mauvais état de santé  du Président allaient bon train, les états-majors des partis n’imaginaient pas que les choses iraient si vite. La campagne pour l’élection présidentielle du printemps 1974 fut donc brève et en partie improvisée.

Si la gauche se présentait unie, avec François Mitterrand comme candidat de l‘Union de la gauche, la droite partait  en ordre dispersé. Valéry Giscard d’Estaing, représentant la droite libérale classique et non-gaulliste, avait face à lui l’un des « barons » du gaullisme, le maire de Bordeaux et ancien premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Giscard d’Estaing  emporta facilement cette sorte de primaire à droite avec 32,6% des suffrages exprimés, alors que Chaban-Delmas peinait à  dépasser  les 15%.

En 1974, V. Giscard d’Estaing est un  homme jeune mais expérimenté. Né en 1926, il a 48 ans quand il se présente devant les Français et fait de sa jeunesse un argument électoral qu’il sait mettre en scène. (voir l’affiche avec sa fille). Brillant énarque, il a acquis, depuis 1962, une longue expérience gouvernementale comme ministre des finances.

Si son succès au premier tour a été relativement facile grâce à une campagne électorale moderne et innovante, le résultat du second tour s’avère beaucoup plus incertain. Les instituts de sondage, qui ne s’étaient pas beaucoup trompé pour le premier tour, prédisent tous un résultat très serré entre les deux candidats. D’où l’importance vitale pour l’emporter de convaincre les indécis ou les abstentionnistes du premier tour, car ce sont eux qui feront la différence le soir du 19 mai 1974.

Giscard vers la présidence de la républiqueC’est dans ce contexte qu’il faut replacer et analyser le document proposé ici. Il s’agit de la profession de foi du candidat Giscard d’Estaing pour le second tour. Elle se présente comme une lettre adressée par le candidat à chaque électeur et électrice. Le texte est court et composé de phrases simples contenant chacune un engagement de l’éventuel futur président de la République. Elle est signée du 10 mai 1981, le jour même du fameux débat télévisé entre les deux candidats restés en lice.

Propagande typique du second tour, il s’agit bien de convaincre les jeunes,  les indécis et les déçus du premier tour !

Ainsi, en évoquant « la dignité et l’indépendance de la France, que lui ont donné ses deux derniers présidents », cherche-t-il à convaincre les éventuels électeurs gaullistes qui,  dépités par l’élimination de leur candidat au premier tour, pourraient être tentés de s’abstenir au second.

En se présentant comme le candidat du « changement, sans le risque », il cherche surtout   à rallier les indécis du centre-gauche, ceux  qui pourraient craindre l’élection d’un candidat porté au pouvoir par une coalition socialo-communiste. Dans une époque marquée par la guerre froide et la division idéologique, la peur du communisme est un argument suffisamment efficace et facile pour qu’on puisse se dispenser de l’utiliser.

Comme pour le fameux débat télévisé, on ne sait au juste quelle fut l’efficacité de cette propagande écrite traditionnelle sur le corps électoral. Le fait est qu’au soir du dimanche 19 mai 1974, Valery Giscard d’Estaing était élu président de la République avec seulement 424.000 voix d’avance sur son concurrent et … 87,33% de participation ! C’était un autre temps…


V. Giscard d’Estaing                                                                                                                                       Paris, le 10 mai 1974

 

Madame, mademoiselle, monsieur,

Les électrices et les  électeurs m’ont désigné pour participer au second tour de l’élection présidentielle. Je remercie chacune et chacun d’entre vous de sa confiance et de son soutien personnel.

Dimanche soir, la France aura un nouveau Président, Le monde scrutera son visage pour savoir ce qu’il est, ce qu’il veut, où il va.

Au moment de choisir,  il faut penser à ceci :

Si  je suis élu, je maintiendrai  la dignité et l’indépendance de la France, que lui ont donné ses deux derniers présidents. J’en ferai un pays respecté et considéré. Je serai fier  de parler en votre nom dans le monde.

J’organiserai le changement, sans le risque. Je vous garantis le  changement :  vous m’avez vu, depuis trois semaines, organiser la percée du changement dans la vie politique française. Ce mouvement s’amplifiera après le 20 mai pour faire de la France. sous une présidence moderne,  un pays jeune, ouvert, démocratique et juste.

Je vous protègerai contre les risques, il ne faut pas jouer avec la  sécurité des Français, ni avec économie difficile à conduire. Derrière les imprudences, n’oubliez pas que se cachent la récession et le chômage.

Nous conduirons progrès social, dans un pays  qui retrouvera le souffle de la fraternité.
Je souhaite une majorité nouvelle, pour conduire le changement sans le risque.
Si vous m’élisez président le 19 mai, dès le  20 mai la France sera gouvernée.

Pour cela, j’ai besoin de votre appui et de votre voix.

Je vous les demande tous les deux. Votre voix pour le 19 mai, et  votre appui pour m’aider.

 

Je compte sur vous. Vous pouvez compter sur moi.

V. Giscard d’Estaing