Charles de Gaulle, le fondateur de la cinquième République, a utilisé deux fois l’article 12 de la constitution  qui accorde au président de la République le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale et permet ainsi au peuple français d’élire une nouvelle assemblée. En octobre 1962, la dissolution faisait suite au renversement du gouvernement Pompidou par une Assemblée mécontente de l’organisation du référendum sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. En mai 1968, la dissolution est la conséquence directe de la crise de mai 68 qui secoue le pays depuis le début du mois.

L’allocution du 30  mai 1968 est prononcé par un Président de la République qui apparaît  comme un homme vieilli,  usé par 10 ans au pouvoir et  dépassé par la révolte qui secoue le pays depuis 4 semaines. La veille, cette impression de vide du pouvoir s’est encore  accentuée avec la « disparition » du Président de la République parti se ressourcer à Baden Baden en Allemagne.

Rentré  dans la matinée à Paris, l’allocution radiodiffusée (la télé étant en grève) du 30 mai 1968 sonne le début de la reprise en main de la situation par le pouvoir gaulliste. L’annonce de la dissolution est évidemment le fait politique majeur. On sait maintenant que l’initiative en  revint au premier ministre Georges Pompidou qui a réussi à convaincre le Président de la République qui était réticent.

Cette décision politique  est très habile. En permettant au peuple français de s’exprimer par les urnes, le général de Gaulle se présente ainsi comme le défenseur  de la démocratie en France et le garant  de l’ordre républicain. La décision de dissoudre est ici indissociable de l’appel au « peuple », c’est à dire à cette France silencieuse qui, depuis 4 semaines, observe la crise et s’inquiète de plus en plus  des désordres provoquées par les grèves et les manifestations. Dans un monde divisé en deux blocs et dans une France à l’apogée des trente Glorieuses, le général de gaulle a beau jeu de jouer sur les peurs : peur du désordre, peur de l’inconnu, peur du « communisme totalitaire » (alors que Le PCF est pour le moins réticent face à un mouvement de contestation sociale qui lui échappe largement…).

La dissolution de mai 1968 a eu plusieurs conséquences politiques de grande importance. Elle a contribué au reflux de la crise de mai 68 puisque la nécessité de faire campagne  imposait un retour relatif de l’ordre dans le pays. Les élections du 23 et 30 juin 1968 sont un triomphe pour le parti gaulliste rebaptisé Union pour la  défense de la République (UDR) pour l’occasion. Pour la première fois depuis 1958, ces « élections de la trouille » – selon l’expression du général de Gaulle – permettent  aux gaullistes d’avoir la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Il n’en demeure pas moins que l’irruption bruyante sur la scène politique de la jeunesse issue du Baby Boom a affaibli l’autorité et le pouvoir du général de Gaulle et renforcé celle de son premier ministre Georges Pompidou.

L’homme du 18 juin peut alors  quitter définitivement la scène nationale (ce qu’il fait en avril 1969 en démissionnant), un  héritier se tient prêt à prendre la relève …


Françaises, Français,

Etant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j’ai envisagé, depuis vingt-quatre heures, toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir. J’ai pris mes résolutions.

Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J’ai un mandat du peuple, je le remplirai.

Je ne changerai pas le Premier ministre, dont la valeur, la solidité, la capacité, méritent l’hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du Gouvernement.

Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale.

J’ai proposé au pays un référendum qui donnait aux citoyens l’occasion de prescrire une réforme profonde de notre économie et de notre Université et, en même temps, de dire s’ils me gardaient leur confiance, ou non, par la seule voie acceptable, celle de la démocratie. Je constate que la situation actuelle empêche matériellement qu’il y soit procédé. C’est pourquoi j’en diffère la date. Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout entier, en l’empêchant de s’exprimer en même temps qu’on l’empêche de vivre, par les mêmes moyens qu’on empêche les étudiants d’étudier, les enseignants d’enseigner, les travailleurs de travailler. Ces moyens, ce sont l’intimidation, l’intoxication et la tyrannie exercées par des groupes organisés de longue main en conséquence et par un parti qui est une entreprise totalitaire, même s’il a déjà des rivaux à cet égard.

Si donc cette situation de force se maintient, je devrai pour maintenir la République prendre, conformément à la Constitution, d’autres voies que le scrutin immédiat du pays. En tout cas, partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civique. Cela doit se faire pour aider le Gouvernement d’abord, puis localement les préfets, devenus ou redevenus commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer autant que possible l’existence de la population et à empêcher la subversion à tout moment et en tous lieux.

La France, en effet, est menacée de dictature. On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s’imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait alors évidemment et essentiellement celui du vainqueur, c’est-à-dire celui du communisme totalitaire. Naturellement, on le colorerait, pour commencer, d’une apparence trompeuse en utilisant l’ambition et la haine de politiciens au rancart. Après quoi, ces personnages ne pèseraient pas plus que leur poids qui ne serait pas lourd.

Eh bien ! Non ! La République n’abdiquera pas. Le peuple se ressaisira. Le progrès, l’indépendance et la paix l’emporteront avec la liberté.

Vive la République !
Vive la France !

Charles de Gaulle, Allocution du 30 mai 1968