En mai 1981, l’élection de François Mitterrand fait entrer la cinquième République dans l’ère de l’alternance démocratique. Cinq ans plus tard, le président socialiste inaugure une nouvelle pratique institutionnelle, celle de la cohabitation. En effet, le 16 mars 1986, la droite remporte les élections législatives et redevient majoritaire à l’Assemblée nationale ; le président Mitterrand, ayant choisi d’assumer son mandat jusqu’à son terme, n’a pas d’autre choix que de laisser la droite gouverner et conduire la politique de la nation : c’est la cohabitation.
Si la cohabitation inaugurée en mars 1986 est une nouveauté sous la cinquième République, elle n’est, à vrai dire, pas une surprise. Le texte de la constitution de 1958 et la non-concordance des élections législatives et de l’élection présidentielle la rendaient tout à fait envisageable. Le sujet était d’ailleurs redevenu d’actualité à partir de 1983, du fait de l’impopularité croissante des socialistes et de leur défaite probable aux élections législatives de 1986. F. Mitterrand lui même avait plusieurs fois exprimé son intention d’aller au bout de son septennat.
Pour en savoir plus sur la cohabitation…
Le document ci-dessous est le texte de l’allocution prononcée par François Mitterrand par laquelle il annonce aux Français la mise en place de la cohabitation. Le lendemain des élections législatives, le 17 mars 1986, dans une courte déclaration de moins de 5 minutes et dont chaque mot a été pesé, le Président de la République dessine les contours du nouveau cours politique.
Alors que la défaite électorale des socialistes aux législatives est aussi la sienne, le Président de la République choisit le mouvement et impose son agenda, en mettant au cœur de l’actualité la nomination du nouveau chef du gouvernement, dès « demain ». Il rappelle ainsi qu’en tant que chef de l’Etat, même sans majorité à l’Assemblée nationale, il demeure la clé de voûte des institutions républicaines et qu’il faudra compter sur lui et avec lui. L’emploi de la première personne est ici tout à fait significatif de sa volonté de rester au centre du jeu politique.
Celui qui avait été jadis l’un des plus farouches adversaires de la République gaullienne (cf : Le coup d’état permanent publié en 1964) se convertit en mars 1986 en garant du « respect scrupuleux de nos institutions », et du domaine reservé du Président de la République dont dépend « notre indépendance, notre engagement dans l’Europe, notre rang dans le monde ».
Le futur premier ministre Jacques Chirac de cette première cohabitation est prévenu : il devra compter avec un président de la République qui n’ a pas l’intention de rester inerte…
Allocution du président de la République François Mitterrand prononcée le 17 mars 1986
Mes chers compatriotes, vous avez élu dimanche une majorité nouvelle de députés à l’Assemblée Nationale. Cette majorité est faible numériquement mais elle existe. C’est donc dans ses rangs que j’appellerai demain la personnalité que j’aurai choisie pour former le Gouvernement, selon l’article 8 de la constitution. Monsieur Laurent Fabius m’a informé ce matin qu’il était prêt dès maintenant à cesser ses fonctions. J’ai pris acte de sa démarche et lui ai demandé de rester à son poste avec les autres membres du Gouvernement jusqu’à la nomination de son successeur, ainsi, restera assurée l’indispensable continuité des pouvoirs publics. Vous m’en avez donné mandat en 1981 et vous m’en avez fait par-là même un devoir, je m’y conformerai. Les circonstances exigent que tout soit en place d’ici peu. Je remercie la majorité sortante pour le travail qu’elle a accompli avec courage et détermination, elle laisse la France en bon état et peut être fière de son œuvre. Je forme des vœux pour que la majorité nouvelle réussisse dans l’action qu’elle est maintenant en mesure d’entreprendre selon les vues qui sont les siennes. Je mesure l’importance du changement qu’implique dans notre démocratie l’arrivée aux responsabilités d’une majorité politique dont les choix diffèrent sur des points essentiels de ceux du Président de la République. Il n’y a de réponse à cette question que dans le respect scrupuleux de nos institutions et dans la volonté commune de placer au-dessus de tout l’intérêt national. Quant à moi, dans la charge que vous m’avez confiée, et que j’exerce, je m’attacherai à défendre partout, à l’intérieur comme à l’extérieur, nos libertés et notre indépendance, notre engagement dans l’Europe, notre rang dans le monde.
Mes chers compatriotes, ayons confiance. Au-delà des divergences bien naturelles qui s’expriment à chaque consultation électorale, ce qui nous rassemble est plus puissant encore, c’est l’amour de notre patrie.
Vive la République, vive la France.
François Mitterrand, 17 mars 1986