La « panthéonisation » de Pierre et Marie Curie a été décidée par le Président de la République François Mitterrand. C’est  la dernière cérémonie d’entrée au Panthéon présidée par celui qui va bientôt quitter le pouvoir, après 14 ans à la tête de l’Etat. Elle revêt donc  une importance particulière.

On se souvient que l’investiture de François Mitterrand  avait été marquée le 21 mai 1981  par la cérémonie du Panthéon, redonnant ainsi  au mausolée des « grands Hommes » un lustre républicain. Mais c’est avant tout  les destins croisés  de Pierre et Marie Curie qui font  de cette cérémonie du 20 avril 1995 un acte politique et symbolique  important. Marie Curie, première femme à obtenir un prix Nobel, est aussi la première femme à entrer au Panthéon pour ses travaux.  Il est inutile ici de présenter les deux chercheurs dont la renommée est universelle.

La cérémonie est présidée par le Président Mitterrand, en présence du président de la Pologne Lech Walesa et de la fille de Pierre et Marie Curie, Ève. Le discours d’hommage est prononcé par le Président lui même, ce qui n’est pas toujours le cas.

Les deux extraits proposés se situent à la fin de l’allocution, après que François Mitterrand a rappelé les principaux jalons de la carrière scientifique exceptionnelle de Pierre et Marie Curie. Ces deux extraits sont des professions de foi : le premier en faveur du droit des femmes, pour que « partout dans le monde progresse l’égalité des droits des femmes et des hommes tant l’exemple que nous venons de décrire à l’instant démontre cette distinction et cette sorte de préférence accordée depuis trente siècles, indigne et injuste d’une société civilisée ». Le deuxième en faveur de la science et de la recherche : « le combat de la science est celui de la raison contre les forces de l’obscurantisme, c’est le combat de la liberté de l’esprit contre l’esclavage de l’ignorance. Oui, liberté, même si parfois les découvertes de la science peuvent être dévoyées afin de ruiner la vie ».


[…] – Mais il est un autre symbole qui retient ce soir l’attention de la nation que j’ai l’honneur d’exprimer devant vous : celui du combat exemplaire d’une femme qui a décidé d’imposer ses capacités dans une société qui réserve aux hommes les fonctions intellectuelles et les responsabilités publiques, enfin, qui les réserve trop souvent.
– Parmi les photographies qui émaillent le chemin de Marie Curie, l’une marque le souvenir de son empreinte. Elle est prise à Bruxelles en 1911 lors du Congrès Solvay. S’y trouvent rassemblées les plus grandes figures de la physique : Max Plank, Rutherford, Einstein, de Broglie, Perrin, Langevin, bien d’autres encore. Marie, seule femme, est au milieu d’eux, reconnue comme leur égale.
– Au moment où le pays s’incline devant les cendres de celle qui fut, en tant que femme, la première docteur es-sciences, la première professeur en Sorbonne, la première à recevoir le Prix Nobel, je forme le vœu, au nom de la France, que partout dans le monde progresse l’égalité des droits des femmes et des hommes tant l’exemple que nous venons de décrire à l’instant démontre cette distinction et cette sorte de préférence accordée depuis trente siècles, indigne et injuste d’une société civilisée. […]

[…] – Le combat de la science est celui de la raison contre les forces de l’obscurantisme, c’est le combat de la liberté de l’esprit contre l’esclavage de l’ignorance. Oui, liberté, même si parfois les découvertes de la science peuvent être dévoyées afin de ruiner la vie. C’est accroître la liberté que d’apaiser la souffrance ; c’est accroître la liberté que de réduire les dépendances matérielles et spirituelles qui entravent la capacité de l’homme de choisir son destin. Donc, je vous remercie au nom de la Nation comme nous remercions Pierre et Marie Curie. J’attendais depuis longtemps ce jour ayant eu l’occasion d’ajouter quelques cendres illustres au Panthéon de nos gloires. Je me serais senti comme en dette à l’égard du pays si je n’avais pu avant de quitter moi-même mes responsabilités y ajouter les noms de Pierre et de Marie Curie qui symbolisent dans la mémoire des peuples la beauté de chercher jusqu’au sacrifice de soi. A travers ces deux noms qui unissent deux peuples amis, la République rende à tous les serviteurs de la science dont beaucoup sont ici, l’hommage qui leur est dû. Car ils témoignent d’une des plus hautes faculté de l’homme, la soif de connaître et le désir de créer.
– Au nom du pays tout entier qui m’entend, je remercie la mémoire de Pierre et Marie Curie et je remercie la tradition maintenue parmi les leurs, parmi leurs disciples, parmi tous ceux qui s’intéressent aux chances de l’homme.

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République en hommage à Marie et Pierre Curie à l’occasion de leur entrée au Panthéon, Paris, 20 avril 1995

Le texte complet du discours est disponible entre autres sur le site viepublique.fr ICI

Conférence de Solvay consacrée à la théorie du rayonnement et des quanta, Bruxelles, 2 novembre 1911. Photo : Benjamin Couprie