Tommaso Campanella est né en 1568 en Calabre dans une famille modeste. Brillant, il entre chez les dominicains. Il va passer plus du tiers de sa vie en prison, en raison de ses prises de positions philosophiques et il n’échappe à la peine capitale, en 1601, qu’en simulant la folie. En dépit de son long enfermement, Campanella s’est avéré être un auteur particulièrement prolifique, puisqu’il a rédigé plus de trente volumes traitant de philosophie, de médecine, de rhétorique ou encore de magie. Campanella a rencontré, durant son existence, Galilée et Giordano Bruno.
En 1628, il recouvre définitivement la liberté et, en 1634, il part pour Paris et devient conseiller de Richelieu. Il meurt en 1639.
La Cité du Soleil paraît en 1623 à Francfort. Il s’agit d’un dialogue, largement inspiré par les lectures platoniciennes de son auteur, dans lequel Campanella expose ce que sont les mœurs et le gouvernement d’une cité utopique, celle des Solariens.
Dans le court extrait retenu ci-dessous, Campanella expose ce qu’est le mode de vie quotidien de sa « cité solaire », avec une journée de travail n’excédant pas les quatre heures.
« L’on ne fait aucun cas des biens matériels, car chacun a ce qu’il faut. Mais lorsqu’ils (les Solariens) ont un signe honorifique, ils y tiennent. C’est ainsi que l’État, à table ou lors des fêtes publiques, décerne aux héros et héroïnes des guirlandes ou des vêtements bellement ornés. En ville durant la journée ils sont tous habillés de blanc, mais la nuit et en dehors, ils portent des soies ou des laines rouges. Ils détestent le noir, comme la lie de toutes choses. C’est pourquoi ils ne peuvent pas souffrir les Japonais qui s’en délectent tant. L’on tient l’orgueil comme un grand péché que l’on punit d’une peine identique au délit. Personne, par exemple, ne considère comme humiliant de servir à table, de travailler à la cuisine ou ailleurs, car ils appellent cela apprendre. Ils disent que pour le pied il est honorable de marcher, pour l’œil, de regarder, et qui est employé dans quelque travail, le fait comme une chose digne d’honneur. Ils n’ont pas d’esclaves car ils suffisent, et au-delà, à l’ouvrage. Il n’en va pas ainsi chez nous, puisque Naples compte à peu près trois cents mille âmes et que moins de cinquante mille personnes y travaillent, lesquelles s’exténuent à la tâche. Pendant ce temps les oisifs se dégradent dans la paresse, l’avarice, la luxure et l’usure, et ils corrompent beaucoup de monde en le tenant en servitude et pauvreté ou en s’entraînant dans leurs vices.
Pas non plus de travail au service de la communauté; et tout ce qui est utile (agriculture, milice, métiers), se fait mal et avec peine. Mais à la Cité du soleil où l’on distribue à toute la population les charges, les métiers et les efforts, chacun n’a même pas quatre heures de travail par jour. Le reste du temps, ils le passent à apprendre en jouant, discutant, lisant, enseignant, marchant et toujours avec joie. L’on exclut les jeux auxquels on joue assis comme les échecs, dés, cartes ou autres, pour se consacrer aux jeux de balle, de ballon, de disque roulant, à la lutte, au lancer du javelot et de la flèche et au tir à l’arquebuse.
Ils disent aussi qu’une grande pauvreté avilit l’homme, le rend rusé, voleur, trompeur, hors-la-loi, en fait un menteur et un faux témoin; que les richesses rendent insolent, hautain, ignorant, traître, apathique, tout gonflé de science illusoire. Mais la communauté fait de chacun un riche et un pauvre : riche parce qu’il possède tout, pauvre parce qu’il utilise les choses sans se soumettre à elles. À cet égard, ils rendent hommage aux ordres monastiques chrétiens et au train de vie des Apôtres ».
D’après Tommaso Campanella, La Cité du Soleil, éditions Mille-et-une-nuits, pages 34-36.