Le monde marche vers la guerre
1912: renouvellement de la Triplice; accord militaire franco-russe; la France signe aussi un accord de coopération militaire et navale avec la Grande-Bretagne.
Parallèlement les grandes puissances européennes renforcent les effectifs de leurs armées et augmentent leur armement.
La course aux armements
« La rivalité économique avec l’Allemagne n’inquiète pas beaucoup nos gens, et ils admirent son industrie puissante et son génie de l’organisation. Mais ils n’aiment pas les trouble-fête. Ils soupçonnent l’empereur de « Weltpolitik » et ils voient que l’Allemagne accélère le rythme de ses armements pour dominer l’Europe, et impose ainsi une charge horrible de dépenses inutiles à toutes les autres puissances. En deux mots comme en cent, pour garantir la paix, nous devons maintenir notre entente avec la France. »
Lettre de Sir E. Grey à Th. Roosevelt
«à restreindre la force destructive de la guerre, tout en reconnaissant ses inexorables nécessités»
Manuel des lois de la guerre sur terre, Oxford, 9 septembre 1880
« Avant Propos
La guerre tient une grande place dans l’histoire, et il n’est pas présumable que les hommes parviennent de sitôt à s’y soustraire – malgré les protestations qu’elle soulève et l’horreur qu’elle inspire -, car elle apparaît comme la seule issue possible des conflits qui mettent en péril l’existence des Etats, leur liberté, leurs intérêts vitaux. Mais l’adoucissement graduel des moeurs doit se refléter dans la manière de la conduire. Il est digne des nations civilisées de chercher, comme on l’a fort bien dit, «à restreindre la force destructive de la guerre, tout en reconnaissant ses inexorables nécessités». Ce problème n’est pas facile à résoudre; cependant on y est déjà parvenu sur quelques points, et, en dernier lieu, le projet de Déclaration de Bruxelles a été comme une attestation solennelle du bon vouloir de tous les gouvernements à cet égard. On peut dire qu’indépendamment des lois internationales existantes en cette matière, il y a aujourd’hui un certain nombre de principes de justice qui dirigent la conscience publique, qui se manifestent même par des coutumes générales, mais qu’il serait bon de fixer et de rendre obligatoires. C’est ce que la Conférence de Bruxelles a tenté, à l’instigation de S.M. l’Empereur de Russie, et c’est à quoi l’Institut de Droit international, à son tour, essaie aujourd’hui de contribuer. Il le fait, quoique les gouvernements n’aient pas ratifié le projet issu de la Conférence de Bruxelles, attendu que depuis 1874 les idées ont eu le temps de mûrir, par la réflexion et par l’expérience, et qu’il semble moins difficile qu’alors de tracer des règles acceptables par tous les peuples. (…)
Article 3. Toute force armée belligérante est tenue de se conformer aux lois de la guerre.
Article 4. Le seul but légitime que les États doivent se proposer pendant la guerre étant l’affaiblissement des forces militaires de l’ennemi (Déclaration de Saint-Pétersbourg du 4/16 novembre 1868)… (…)
Article 16. ‘ Moyens barbares ‘. – Outre les prohibitions établies par des conventions spéciales, il est interdit :
1° d’employer du poison ou des armes empoisonnées, ainsi que des projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères;
2° d’employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus. Rentrent spécialement dans cette catégorie les projectiles explosibles ou chargés de matières fulminantes ou inflammables, d’un poids inférieur à 400 grammes, et les balles qui s’épanouissent ou s’aplatissent facilement dans le corps humain, telles que les balles à enveloppe dure dont l’enveloppe ne couvrirait pas complètement le noyau ou serait pourvue d’incisions. (…)
Article 21. Les individus qui font partie des forces armées belligérantes, s’ils tombent au pouvoir de l’ennemi, doivent être traités comme prisonniers de guerre, conformément aux articles 61 et suivants.
Il en est de même des messagers porteurs de dépêches officielles, accomplissant ouvertement leur mission, et des aéronautes civils chargés d’observer l’ennemi, ou d’entretenir les communications entre les diverses parties de l’armée ou du territoire. »
La guerre d’aujourd’hui
« Au point de vue purement militaire, il y a dans l’accroissement des armées modernes, si même on ne considère que le nombre, une cause d’énormes difficultés pour toute action militaire. (…)
D’abord, on trouvera d’énormes difficultés à actionner par une même pensée toutes les armées particulières qui composent ensemble une arme moderne, et à l’amener à agir de telle sorte que chacune des parties concoure au succès général, sans que leurs forces se perdent dans des directions secondaires. Puis les difficultés croissent au point de vue technique avec la quantité des troupes. Les transports en chemin de fer et le mouvement méthodiquement réglé de très grandes masses, leur ravitaillement, la nécessité de les tenir toujours prêtes au combat, et par suite de veiller à l’apport des munitions pour les hommes en marche, d’évacuer des blessés et des malades, pousser en avant les réserves en hommes, en chevaux et en matériel, assurer toutes les routes et les communications avec l’arrière de l’armée, toutes ces conditions nécessaires présentent autant de problèmes difficiles à résoudre pour la technique de la guerre.
La masse des troupes équipées oblige à choisir de vastes zones de concentration, et à utiliser le plus complètement possible le réseau routier, dans ces zones, afin de porter en ligne le plus grand nombre de troupes possible. Pour la même raison, on sera souvent obligé d’entasser le plus de troupes possible sur chaque route. Mais le rendement de chaque route sera limité par la possibilité du ravitaillement et par la nécessité d’amener au combat les troupes placées le plus en arrière – même à des jours différents – avant que l’énergie combative des troupes plus avancées soit épuisée. La nécessité du ravitaillement en vivres et en munitions a pour conséquence immédiate que, sur les routes de marche, les munitions et les vivres à distribuer devront être apportés, envoyés en avant et distribués aux troupes, sans que l’opération dure plus d’un jour. La difficulté devient plus grande quand la masse des troupes empêche de vivre sur le pays et que le nécessaire est amené de l’arrière.
Dans ces circonstances, l’aptitude manœuvrière des grandes armées modernes est évidemment beaucoup plus faible que celle d’armées plus petites, qui, sur un terrain riche ou du moins fournissant facilement la subsistance voulue, peut se mouvoir avec une grande liberté. Il est clair également qu’une grande armée, dans laquelle de nombreuses colonnes de marche se meuvent à faibles intervalles, prend plus de temps qu’une petite pour les changements de direction, les concentrations et les déploiements, et qu’elle a aussi plus de difficultés à vaincre pour le ravitaillement. Les difficultés du terrain sont évidemment aussi plus difficiles à surmonter. Les décisions du commandement doivent être préparées de longue date, à cause de la lourdeur de tous les mouvements et du temps qu’ils exigent; les renseignements sur l’ennemi ne peuvent pas toujours être transmis à temps. Par suite, il faut envoyer des éclaireurs dans un rayon éloigné, afin d’être renseigné le plus vite possible sur les dispositions de l’ennemi. La profondeur de l’armée en marche augmente, et avec elle s’accroissent les difficultés des opérations. Toutes ces circonstances devront être soigneusement examinées, si l’on veut se faire une idée claire de la guerre moderne. Encore leur disparition n’entraîne-t-elle pas celle des difficultés stratégiques, qui tiennent seulement à la masse des troupes.
Dans la plupart des cas, surtout lorsqu’il faut lutter contre un ennemi supérieur en nombre, on sera obligé d’adjoindre tout au moins des troupes de seconde ligne – ce qu’on appelle en Allemagne des troupes de réserve – à l’armée de campagne proprement dite. Ces soldats, aussi bien pour la discipline que pour l’aptitude à la marche et au combat, ne valent pas les troupes actives.
Ces hommes, âgés de vingt-quatre à trente ans, sont encore en pleine vigueur physique, mais ils sont souvent déshabitués depuis longtemps des efforts particuliers qu’exige la vie militaire. En outre, ces régiments rassemblés à la hâte ne peuvent jamais avoir l’instruction tactique approfondie, la solidité des troupes fortement organisées en temps de paix. Une infanterie de réserve peut encore, dans les conditions actuelles, ne se former qu’à la guerre même et devant l’ennemi. Mais il est absolument impossible d’amener les troupes de réserve de cavalerie au même point que des régiments actifs. De même, les nouvelles formations d’artillerie ne parviendront que lentement au même rendement qu’une troupe instruite à fond en temps de paix pour le tir et les manœuvres. Ainsi le commandement supérieur se trouve déjà contraint, pour les premières batailles décisives, de tenir compte des différences de valeur tactique qui caractérisent ces troupes. Ce serait une faute extrêmement grave de n’y pas songer en prenant ses dispositions, bien que cette circonstance influe sensiblement sur l’emploi stratégique des troupes.
Au point de vue tactique aussi, l’emploi des troupes en masses fait naître des difficultés très graves qui n’eussent peu ou pas existé pour des corps de troupe plus petits. L’utilisation du terrain pour des fins tactiques est devenue pour les puissantes armées modernes bien plus difficile que jadis, surtout pour la défensive. Trouver des positions de défense favorables partout au point de vue tactique, pour une armée de neuf à douze corps d’armée, est extraordinairement difficile. Dans la plupart des cas, il faudra comprendre dans la position des parties du terrain qui ne présentent aucun avantage pour la défense ou qui même sont favorables à l’attaque. Sans doute on peut, avec les masses armées dont on dispose, fortifier avec une solidité particulière les portions de terrain moins favorables, et, par là, chercher à compenser les désavantages dont on doit prendre son parti; cependant, il faut songer que l’avantage de la défensive, qui est de profiter de l’avantage du terrain et de l’occupation pour réserver ses forces, se trouve perdu en partie, car on est obligé alors d’employer à la défensive passive des troupes qu’on aurait pu employer en meilleure place. Il se manifeste un inconvénient analogue pour l’offensive tactique. Il ne sera pas toujours facile de trouver des espaces favorables à une attaque par des masses armées. Souvent, on sera plutôt forcé de déployer et d’engager des forces importantes sur des terrains défavorables. Toutefois, cet inconvénient ne sera pas aussi grave pour l’offensive que l’insuffisance du terrain pour la défensive, car l’attaque, par sa nature même, doit toujours compter qu’elle laissera à la défensive le choix de la position qui lui est le plus favorable.
Ainsi la masse des armées modernes accroît les difficultés de la guerre dans les sens les plus différents. En outre, elles sont pour elles-mêmes une cause de danger qui n’est pas négligeable. Le mécanisme d’une pareille armée est si puissant et si compliqué qu’il ne peut se prêter aux opérations et aux mouvements que si tout le système fonctionne bien, du moins dans l’ensemble, et si l’on évite les fortes commotions morales de grande amplitude. On ne peut, naturellement, pas plus compter sur l’absence totale de pareils accidents parmi les fluctuations de la guerre qu’on ne peut compter sur des victoires ininterrompues. On peut d’ailleurs en triompher lorsqu’ils se produisent dans une sphère restreinte. Mais, lorsque de grandes masses pressées les unes contre les autres échappent à la direction, lorsqu’elles tombent en proie à une panique, lorsqu’elles manquent de subsistance; et que l’esprit d’insubordination s’empare des foules, alors elles deviennent non seulement incapables de résister à l’ennemi, mais dangereuses pour elles-mêmes et pour leur propre commandement, car elles rompent les liens de la discipline, troublent le cours des opérations et enfin mettent ce commandement en présence des tâches qui sont au-dessus de ses forces.
La guerre avec les armées modernes est donc, dans tous les cas, un jeu hasardeux qui met à une épreuve extrême les forces humaines et financières de la nation. Dans ces conditions, il est naturel qu’on prenne partout des mesures pour terminer rapidement la guerre quand elle éclate et pour faire disparaître rapidement la tension monstrueuse produite par la levée de nations entières.
Général von Bernhardi, La guerre d’aujourd’hui, chap. I et II, trad. de M. Etard s. dir. Lt-col. J. Colin, éd. Chapelot, Paris, 1913
[première édition en allemand en 1911]
Cité dans CHALIAND Gérard, Anthologie mondiale de la stratégie : des origines au nucléaire, Paris, Laffont (coll. Bouquins), 2001, p. 1083-7
Tensions coloniales + système d’alliances
En 1882, l’Italie, inquiète de la pénétration française en Tunisie s’allie à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie. C’est la Triplice, faisant suite à la Duplice de 1879 entre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.
» Les hautes parties contractantes se promettent mutuellement paix et amitié, et n’entreront dans aucune alliance ou engagement dirigé contre un de leurs États.
Elles s’engagent à procéder à un échange de vue sur les questions économiques et politiques de nature générale qui pourraient se poser et elles promettent, en autre, de s’aider mutuellement à l’intérieur des limites de leurs propre intérêt.
Au cas où l’Italie, sans provocation directe de sa part, serait attaquée par la France pour une raison quelconque, les deux parties contractantes s’engagent à porter assistance de toutes leurs forces à la partie attaquée…
Si l’une ou l’autre des parties contractantes était attaquée sans provocation directe de sa part , ou engagée dans une guerre avec deux ou plusieurs grandes puissances non signataires du présent traité, le cas d’assistance surviendrait simultanément pour toutes les hautes parties contractantes.
Les hautes parties contractantes promettent mutuellement de conserver secret le contenu et l’existence de ce traité… »
extraits de la Triplice, 1882