Séparation de Bâle-Ville et Bâle-Campagne

En 1833, le canton de Bâle se divise en 2 demi-cantons suite à la lutte entre les paysans qui réclament plus d’égalité et les citadins. 


La révision impossible du Pacte fédéral de 1815

La Suisse des années 1830 entre dans la période dite de la « Régénération », où de nombreux cantons connaissent des troubles, des luttes contre les inégalités persistantes (exemple de la séparation de Bâle ci-dessus).

Le Pacte fédéral ne donne pas satisfaction à ceux qui souhaitent plus d’unité nationale. On tente à la Diète de le modifier.

Edouard Pfyffer, président de la Commission de révision du Pacte fédéral de 1815, à Lucerne, s’exprime à ce propos le 2 juin 1832 :

« L’expérience de près de vingt ans a révélé dans le Pacte [fédéral] de 1815 bien des lacunes et bien des insuffisances. Plusieurs dispositions devraient en être précisées et développées, et à beaucoup d’égards il est indispensable d’augmenter l’autorité et les compétences des pouvoirs fédéraux. Mais il ne pourra jamais s’agir d’unité absolue [= centralisation forte]. Une telle unité serait incompatible avec notre situation, avec nos habitudes et même avec les voeux de la très grande majorité de notre peuple. La souveraineté des cantons devra toujours demeurer le principe dominant. Les seuls buts que doivent se proposer les amis d’une réforme constitutionnelle sont les suivants : union plus étroite de toutes les forces nationales pour la défense de la liberté et de notre patrie ; l’institution d’autorités fédérales plus actives, moins intermittentes [réunions plus fréquentes] et moins entravées [= plus libres et plus capables d’agir] dans l’exercice des compétences limitées qui leur sont reconnues ; la suppression de certains obstacles contraires au bien commun de tous les Confédérés et à toute nationalité véritable. Mais à l’avenir comme par le passé, chaque canton sera seul maître d’organiser sa vie intérieure à sa guise. (…) »

Texte publié dans William E. Rappard, « L’individu et l’Etat dans l’évolution constitutionnelle de la Suisse« , Zurich, 1936.


Le 17 juillet 1832, une courte majorité de la Diète se prononce en faveur du principe de révision du Pacte fédéral. Un projet de nouveau pacte fédéral est élaboré par M. Rossi, citoyen genevois.

Au début du mois de janvier 1833, le Conseil d’Etat [= gouvernement] du Valais prend connaissance de ce projet et réagit ainsi :

« Sur les représentations [les remarques] du clergé, on avoue que ni l’indépendance de l’Eglise, ni la liberté du culte catholique, ni les propriétés de nos établissements religieux en cantons protestants n’y ont aucune garantie, à supposer même que cette révision du pacte de 1815, en procurant à la Suisse un gouvernement central, donnerait à la Confédération helvétique plus d’unité et par conséquent plus de force. Cependant chacun des petits Etats qui la composent ont une répugnance presque invincible à se laisser entraver le moins du monde dans le plein exercice de la souveraineté cantonale. On ne nous y admet [sous-entendu « dans la Confédération suisse » selon la révision proposée du pacte fédéral] qu’à la condition que notre constitution sera soumise à la censure [approbation ou refus] de la diète fédérale, et on ne nous dit point s’il nous sera libre dans ces constitutions cantonales de proscrire [interdire] par exemple en Valais, pays tout catholique, l’exercice public de tout autre culte ; s’il nous sera libre d’empêcher chez nous la liberté de la presse, les mariages mixtes [mariage entre époux de différentes religions], une instruction primaire dont la religion catholique ne serait pas l’objet le plus essentiel et dont l’inspection [surveillance] des maîtres et des écoles ne serait pas confiées à l’évêque et aux curés. On observe de plus que ce nouveau pacte projeté change du tout au tout notre système financier, prive le Valais de plusieurs avantages que lui procure sa position topographique sur l’extrême frontière méridionale de la Suisse ; en un mot, qu’il nous opte [ôte] beaucoup et ne nous donne presque rien. (…) »

Anne-Joseph de Rivaz (1751-1836) dans « Mémoires historiques sur le Valais (1798-1834)« , publiés par André Donnet, Lausanne, 1961.

Le projet de nouveau pacte fédéral fait par M. Rossi sera rejeté par une majorité de cantons conservateurs. Ce blocage conduira après plusieurs péripéties à la crise du Sonderbund (cf. ci-dessous).


Sonderbund : texte de l’alliance

L’alliance séparée (Sonderbund), fut ratifiée par les chefs des cantons catholiques en décembre 1845. Les articles proposés par le Lucernois Siegwart-Müller, furent libellés ainsi :

« 1° Les cantons de Lucerne, Uri, Schwytz, Unterwald, Zoug, Fribourg et le Valais, pour protéger leurs droits souverains et territoriaux, s’engagent, au cas où l’un ou l’autre serait l’objet d’une agression, à repousser en commun cette agression par tous les moyens à leur disposition, en se conformant au Pacte fédéral de 1815 ainsi qu’aux anciens traités.

2° Les cantons s’entendront sur les moyens les mieux appropriés pour s’informer les uns les autres de tout incident. Dès qu’un canton sera informé de façon certaine d’une agression menaçante ou en cours, il se considérera comme averti au sens du Pacte, et obligé, sans attendre l’avertissement du canton intéressé, de lever les effectifs armés qu’exigeront les circonstances.

3° Un conseil de guerre, composé d’un délégué de chacun des cantons ci-dessus désignés, sera chargé de la direction supérieure de la guerre. Ces délégués seront munis par leurs gouvernements de pleins pouvoirs généraux aussi étendus que possible. Ce conseil se réunira lors de toute agression menaçante ou en cours.

4° En cas de nécessité, le conseil de guerre prendra, en vertu de ses pleins pouvoirs, toutes les mesures requises pour la défense des cantons intéressés. En cas de danger moins urgent, il se mettra en rapport avec les gouvernements de ces cantons.

5° En principe, les dépenses qu’aura entraînées une telle mobilisation seront mises à la charge du canton qui l’aura sollicitée. Restent cependant réservés les cas dans lesquels des considérations particulières pourraient motiver une répartition particulière de ces dépenses. D’autres dépenses effectuées dans l’intérêt commun, dans l’un ou l’autre canton, seront supportées par tous les sept cantons dans la proportion établie par le barème fédéral des contingents en argent. »

Cité par W.E. Rappard, « L’Individu et l’Etat« , éditions Polygraphiques S.A., Zurich et repris dans l’ouvrage « Histoire de la Confédération« , A. Mojonnier, éditions Stauffacher SA, 1973, page 420.


Dossier sur le Télétext de la Télévision suisse romande (02.11.97) par Nicolas Roulin

1847: LA GUERRE DU SONDERBUND

1- 1847: LA PAROLE AUX ARMES

Il y a exactement 150 ans, la Suisse plongeait dans la guerre civile. Libéraux-radicaux contre conservateurs, protestants contre catholiques, centralisateurs contre fédéralistes: le conflit traduisait toutes les divisions minant le pays depuis des décennies.

Cet épisode de notre histoire reste relativement peu connu du public, sans doute parce que le conflit ne déboucha pas sur le bain de sang redouté.

Pourtant, la guerre du Sonderbund marque l’avênement de la Suisse moderne.

Le camp conservateur réduit au silence, les forces nouvelles pourront agir à leur guise et bâtir l’Etat que nous connaissons aujourd’hui.

2 – DEUX MONDES FACE-A-FACE

La Suisse des années 1840 est instable politiquement. Deux visions du monde s’y affrontent sans merci.

D’un côté, il y a les conservateurs, ardents défenseurs de la souveraineté des cantons et des prérogatives des Eglises.

De l’autre, les libéraux et les radicaux, partisans d’un pouvoir central fort, d’une économie ouverte, de l’égalité des droits, du suffrage universel (pour les radicaux surtout) et de la liberté de la presse.

La Suisse catholique penche majoritairement vers le conservatisme, alors que la Suisse protestante s’identifie nettement à l’idée d’une réforme du pays.

Cet antagonisme religieux va encore exacerber les passions.

3 – PACTE FEDERAL DE 1815 COMME ENJEU

Très tôt, la rivalité politique entre les 2 mouvements va se cristalliser sur la révision du Pacte fédéral de 1815.

Ce dernier avait été adopté à la chute de Napoléon après 17 ans de turbulences marqués notamment par l’éphémère République helvétique (1798-1803).

Le Pacte représente une alliance entre Etats souverains. La Diète, qui se compose des députés des 22 cantons de l’époque, constitue l’autorité suprême.

C’est elle qui déclare la guerre, conclut les alliances avec l’étranger, établit les traités de commerce. Pour les décisions importantes, 3 quarts des voix sont nécessaires, pour les autres la majorité absolue suffit.

4 – LA MONTEE DES DANGERS

La Révolution de juillet 1830 en France va accélérer l’emprise libérale dans notre pays. En un an, douze cantons modifient leur constitution, entraînant la Diète sur la voie d’une réforme du Pacte fédéral de 1815.

Mais par 2 fois (1831-1832), des projets de révision échouent. Ces blocages rendent la situation politique difficile. D’autant que les libéraux sont débordés sur leur gauche par les idées radicales, empreintes d’un anticléricalisme marqué. La tension devient vive en 1841 lorsque le gouvernement radical d’Argovie décide de fermer 8 couvents, les catholiques du canton s’étant révoltés contre une révision constitutionnelle leur étant défavorable.

5 – LA CREATION DU SONDERBUND

Le gouvernement lucernois répond à la provocation argovienne en rappelant en 1844 les Jésuites afin de leur confier l’enseignement de la jeunesse. Cette décision provoque un tollé chez les radicaux, qui n’hésitent pas à sortir leurs fusils pour régler la question.

Par deux fois (1844 et 1845), des volontaires lancent une expédition armée destinée à renverser le gouvernement lucernois. Ils sont repoussés, le 2e assaut se soldant par une sanglante déroute (100 tués et 1800 prisonniers).

Les cantons catholiques décident alors de s’unir pour assurer leur défense. Le 11 décembre 1845, ils signent secrètement une alliance séparée (Sonderbund).

6 – LA CRISE DEVIENT INCONTROLABLE

Lucerne, Uri, Schwyz, Unterwald, Zoug, Fribourg et le Valais se donnent des garanties mutuelles d’assistance. Des contacts sont pris avec les puissancesé trangères, dont l’Autriche, ce qui est contraire au Pacte de 1815.

Dès 1846, l’existence du Sonderbund est connue. Aussitôt, radicaux et libéraux exigent à la Diète sa dissolution. Mais ils restent encore minoritaires.

Il faudra les victoires radicales dans les cantons de Vaud, de Genève et de Saint-Gall pour faire pencher la balance. Le 20 juillet 1847, la Diète déclare le Sonderbund contraire au Pacte et en septembre, elle vote l’expulsion des Jésuites. La guerre semble inévitable.

7 – LA GUERRE EST DECLAREE

Jusqu’au bout, des émissaires cherchent une issue non violente au conflit. Mais les cantons catholiques, qui se sont préparés à la guerre, refusent de céder. Ils auraient pourtant pu éviter le pire en lâchant un peu de lest afin d’exploiter les divergences entre radicaux et libéraux. Le changement d’avis d’un seul canton aurait en effet bloqué la majorité à la Diète.

Les députés du Sonderbund provoquent néanmoins la rupture définitive le 29 octobre en se retirant de l’assemblée.

Celle-ci décide alors de dissoudre militairement l’alliance séparée. Cette délicate mission est confiée au général genevois Henri Dufour.

8 – UNE CAMPAGNE BREVE ET PEU MEURTRIERE

L’armée fédérale, forte de 100’000 soldats, doit faire face à 47’000 hommes. Très vite, le général Dufour attaque séparément les forces du Sonderbund. Il s’empare de Fribourg, après un bref combat qui fera une dizaine de morts.

Les fédéraux marchent ensuite sur Zoug, qui capitule, et sur Lucerne. Un à un, tous les partenaires de l’alliance sont réduits au silence. La rapidité de la campagne (26 jours) empêchent les puissances étrangères d’intervenir.

L’habilité de Dufour, soucieux d’éviter un massacre, explique en partie la défaite des catholiques. Les combats ont fait officiellement 98 morts, dont 74 soldats fédéraux, et 493 blessés.

9 – NAISSANCE DE LA SUISSE MODERNE

La défaite sans appel du Sonderbund entraîne de multiples conséquences pour la Suisse. Les cantons catholiques sont occupés par les troupes fédérales. Lucerne, Fribourg et le Valais se voient imposer des régimes à tendance radicale.

Mais, surtout, les forces progressistes ont les coudées franches. Elles entament aussitôt la révision du Pacte de 1815.

Ce processus aboutira à la Constitution du 12 septembre 1848, qui jette les bases de notre Etat fédéral.

Pour la première fois (excepté la République helvétique de 1798-1803), la Suisse se dote d’un pouvoir central fort, avec des compétences accrues en matière de diplomatie, de défense nationale, de monnaie, de douanes, de poste…

10 – LA SUISSE A L’AVANT-GARDE DE L’EUROPE

Ces transformations font de la Suisse, bloquée dans son évolution par des structures d’un autre âge, un Etat moderne. Mais il faudra des décennies pour que les plaies du Sonderbund se cicatrisent. Ce n’est qu’en 1891 qu’un conservateur, le Lucernois Joseph Zemp, accède au Conseil fédéral, jusque-là totalement en mains radicales.

La victoire des forces progressistes en Suisse aura un important retentissement en Europe. Les tenants du libéralisme y verront le prélude à un bouleversement de l’ordre politique. Bouleversement qui interviendra d’ailleurs quelques mois plus tard avec les révolutions de 1848. La Suisse aura vraiment joué un röle de précurseur en Europe.

11 – LES SOURCES

« Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses », tome 2, Editions Payot, Lausanne, 1983

« Documents d’Histoire suisse, 1798-1847 », par Michel Salamin

« Documents d’Histoire suisse, 1848-1968 », par Michel Salamin

« Histoire du Canton de Fribourg », Imprimerie Fragnière SA, Fribourg, 1981


Carte de la Suisse au temps du Sonderbund


 

Extraits du rapport du 8 avril 1848 de la Commission qui a élaboré le projet de Constitution fédéral

publié à Lausanne, 1848, p.6-9, cité dans « Histoire nationale 1789-1848, Lectures et documents », éd. Cycle d’orientation de l’enseignement secondaire, Genève, 1969, pp. 243-244

« Tel est, en effet, le caractère et le but des institutions : satisfaire aux idées et aux besoins de l’époque, en acceptant le passé et en ouvrant une voie à l’avenir, car il est tout aussi contraire à la loi du développement de chercher à devancer l’âge où se trouve la société qu’à s’efforcer de rester en arrière ; il ne faut pas plus s’exposer à rétrograder qu’à faire des marches forcées. S’il est un état de choses où la Suisse ne se trouve plus, il en est un autre où elle ne se trouve pas encore. La Suisse ne forme plus, comme avant la révolution de 1798, une simple alliance d’Etats souverains. (…)

Mais si la Suisse ne se trouve plus à l’état de choses pour lequel le Pacte de 1815 a été fait, elle n’est pas encore à celui que supposerait le régime unitaire, une nouvelle République helvétique. C’est que, pour remplir son but et n’être pas un fédéralisme bâtard, une république une et indivisible devrait rayer les cantons avec leurs institutions politiques, civiles et militaires, pour faire place à un gouvernement unique embrassant toutes les sphères de la vie sociale. En un mot, l’élément cantonal disparaît sous le régime unitaire, comme l’élément national est sinon détruit, car il est impérissable, du moins caché, étouffé sous le régime de l’alliance et sous celui de la Confédération d’Etats. Or, autant l’esprit national a fait de progrès, autant l’esprit cantonal est-il encore profondément empreint de notre caractère. Ce qui se passe en France et dans d’autres pays unitaires, où l’esprit provincial reparaît périodiquement en quelque sorte, malgré tout ce qui a été fait depuis des siècles pour le comprimer et même l’anéantir, prouve assez qu’on ne réussirait pas à le détruire en Suisse où les cantons sont encore à la base des institutions et en possession du pouvoir fédéral. (…)

Un régime fédératif respectant les deux éléments qui, avec les communes, constituent la Suisse, savoir l’élément national ou général, et l’élément cantonal ou spécial, un régime qui accorde à chacun de ces éléments ce qui lui appartient pour le bien de l’ensemble et de ses parties, qui les concilie, les harmonise, en subordonnant les membres au corps, l’élément cantonal à l’élément national qui est le bien sans lequel il n’y aurait point de Confédération possible, sans lequel les cantons périraient dans l’isolement : voilà ce qui convient à la Suisse actuelle et ce que la commission a cherché à réaliser dans le projet de constitution fédérale qu’elle a l’honneur de soumettre à la Diète. C’est là la pensée dominante de tout l’ouvrage, la clef de tous les articles. »