«A peine la Conférence de Wannsee [20 janvier 1942] terminée, le processus va aller très vite. La preuve, presque absurde, si l’on se souvient qu’en janvier 1942, plus de 80 % du total des victimes juives de la Shoah sont encore vivantes, alors qu’à l’automne de la même année, la moitié des victimes de la Shoah sont déjà annihilées, en décembre, la proportion initiale s’est pratiquement inversée. On soulignera donc l’extrême rapidité d’un massacre paroxystique, dès son déclenchement. Un exemple frappant, celui de Belzec. Ce centre de mise à mort fonctionne de mars à novembre 1942. Le recoupement des archives permet d’avancer le chiffre (estimation la plus basse) de 500’000 morts en neuf mois d’activité, et seulement deux (!) survivants connus après la guerre ! A Treblinka, que l’on confond souvent avec un camp de concentration, alors que sa nature est entièrement vouée à l’extermination, à la mise à mort de masse – un abattoir en somme – c’est au minimum 750’000 victimes de plus, entre juillet 42 et août 43, et très probablement 800’000. Chelmno, 6 rescapés, pour un fonctionnement étalé entre 42 et 43 [minimum 150’000 morts]. Sobibor, aucun survivant [200’000 morts].

Auschwitz est quant à lui, une structure double, voire triple. Un camp de concentration et un centre de mise à mort [total d’environ 1’100’000 morts]. En ce lieu, 80 % des victimes juives sont immédiatement gazées et ne connaissent pas du tout la réalité du camp. Dès 1943, Auschwitz devient le seul lieu de mise à mort en activité car les autres centres sont démantelés. L’épicentre de la Shoah tourne dès lors autour des massacres qui y sont perpétrés, notamment au sein de la population des juifs de HongrieImre Kertész, Être sans destin, 10/18, Paris, 1998., déportée ou emmenée de force dans ce qu’on a ensuite nommé les « marches de la mort », entre fin 1944 et janvier 1945, soit environ 470’000 juifs. Seuls les internés du camp de concentration ont pu en réchapper, et ensuite témoigner, ce qui contribua à déformer la réalité de ce centre, car on se base beaucoup sur cette littérature pour comprendre le fonctionnement des centres de mise à mort, sur des témoignages de déportés qui justement n’ont pas connu cette réalité, et pour cause, il n’aurait pas pu en parler ! Mais ces sources ne représentent que 20 % des convois qui atteignent la rampe d’Auschwitz, les autres, tous les autres sont tués dans les heures qui suivent et ne rentrent jamais à l’intérieur des structures du camp. C’est donc là un prisme déformant dont il faut avoir conscience lorsqu’on aborde l’histoire d’Auschwitz, le plus connu des camps dans la conscience collective, mais le moins représentatifs des centres de la mort que nous avons passé en revue. En étant très objectif et ceci n’enlève rien à la brutalité et l’extrême violence dont ils ont fait l’expérience, Auschwitz est une exception en rapport à une norme, que Belzec ou Chelmo symbolisent pour le pire.»

Extraits tirés de «Les étapes de la « solution finale »», Conférence donnée par Alban Perrin, coordinateur de la formation au Mémorial de la Shoah, chargé de cours à Sciences PO Bordeaux, 21 janvier 2013, prise de notes de Christophe Rime.