Encyclique Rerum Novarum sur la condition des ouvriers publiée par le pape Léon XIII le 15 mai 1891.
Déplorant la disparition des corporations et la misère ouvrière, le pape condamnait le socialisme, car la question sociale ne devait être résolue par la lutte des classes. A la patience des ouvriers devait répondre l’humanité du patron (juste salaire, horaire décent, respect des femmes et enfants, respect du dimanche). Le pape envisageait l’intervention de l’Etat, mais tenait surtout au rôle des associations professionnelles (corporations ou syndicats). Cette encyclique fut jugée audacieuse à l’époque et devint la première charte du christianisme social.
(informations trouvées dans Michel Mourre, « Dictionnaire encyclopédique d’Histoire », éd. Larousse-Bordas, 1996, art. « Rerum Novarum », p. 4686)
» À tous nos vénérables Frères, les patriarches, primats, archevêques, évêques du monde catholique en grâce et communion avec le Siège apostolique. […]
L’erreur capitale dans la question présente, c’est de croire que les deux classes sont ennemies-nées l’une de l’autre, comme si la nature avait armé les riches et les pauvres pour qu’ils se combattent mutuellement dans un duel obstiné. C’est là une aberration telle qu’il faut placer la vérité dans une doctrine complètement opposée.
Car, […] dans la société, les deux classes sont destinées par la nature à s’unir harmonieusement et à se tenir mutuellement dans un parfait équilibre. Elles ont un impérieux besoin l’une de l’autre : il ne peut y avoir de capital sans travail, ni de travail sans capital. La concorde engendre l’ordre et la beauté ; au contraire, d’un conflit perpétuel il ne peut résulter que la confusion et les luttes sauvages. Or, pour dirimer ce conflit et couper le mal dans sa racine, les institutions chrétiennes possèdent une vertu admirable et multiple.
Et d’abord toute l’économie des vérités religieuses, dont l’Église est la gardienne et l’interprète, est de nature à rapprocher et à réconcilier les riches et les pauvres, en rappelant aux deux classes leurs devoirs mutuels, et avant tous les autres ceux qui dérivent de la justice.
Parmi ces devoirs, voici ceux qui regardent le pauvre et l’ouvrier : il doit fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s’est engagé par contrat libre et conforme à l’équité : il ne doit point léser son patron ni dans ses biens ni dans sa personne ; ses revendications mêmes doivent être exemptes de violences et ne jamais revêtir la forme de séditions ; il doit fuir les hommes pervers qui, dans des discours artificieux, lui suggèrent des espérances exagérées et lui font de grandes promesses, lesquelles n’aboutissent qu’à de stériles regrets et à la ruine des fortunes.
Quant aux riches et aux patrons, ils doivent ne point traiter l’ouvrier en esclave, respecter en lui la dignité de l’homme, relevée encore par celle du chrétien. […] Ce qui est honteux et inhumain, c’est d’user des hommes comme de vils instruments de lucre et de ne les estimer qu’en proportion de la vigueur de leurs bras. […] Que le riche et le patron se souviennent qu’exploiter la pauvreté et la misère et spéculer sur l’indigence sont des choses que réprouvent également les lois divines et humaines. Ce qui serait un crime à crier vengeance au ciel serait de frustrer quelqu’un du prix de ses labeurs. Voici que le salaire que vous avez dérobé par fraude à vos ouvriers crie contre vous, et la clameur est montée jusqu’aux oreilles du Dieu des armées (Jac. V, 4).
[…] L’obéissance à ses lois, Nous le demandons, ne suffirait-elle pas à elle seule pour faire cesser tout antagonisme et en supprimer les causes ? L’Église, toutefois, instruite et dirigée par Jésus-Christ, porte ses vues encore plus haut ; elle propose un corps de préceptes plus complet, parce qu’elle ambitionne de resserrer l’union des deux classes jusqu’à les unir l’une à l’autre par les liens d’une véritable amitié. […]
Mais, dès qu’on a suffisamment donné à la nécessité et au décorum, c’est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres (Luc, XI, 41). C’est un devoir non de stricte justice, sauf les cas d’extrême nécessité, mais de charité chrétienne ; un devoir, par conséquent, dont on ne peut poursuivre l’accomplissement par les voies de la justice humaine. […]
Que chacun se mette à la tâche qui lui incombe, et cela sans délai, de peur qu’en différant le remède, on ne rende incurable un mal déjà grave. Que les gouvernants fassent usage de l’autorité protectrice des lois et des institutions ; que les riches et les maîtres se rappellent leurs devoirs ; que les ouvriers dont le sort est en jeu poursuivent leurs intérêts par des voies légitimes, et puisque la religion seule […] est capable de détruire le mal, que tous se rappellent que la première condition à réaliser, c’est la restauration des moeurs chrétiennes sans lesquelles mêmes les moyens suggérés par la prudence humaine comme les plus efficaces seront peu aptes à produire des salutaires résultats. – Quant à l’Église, son action ne fera jamais défaut en aucune manière et sera d’autant plus féconde qu’elle aura pu se développer avec plus de liberté, et ceci, Nous désirons que ceux-là surtout le comprennent dont la mission est de veiller au bien public.
[…] Comme gage des faveurs divines et en témoignage de Notre bienveillance, Nous vous accordons de tout coeur, à chacun de vous, Vénérables Frères, à votre clergé et à vos fidèles, la Bénédiction apostolique dans le Seigneur.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 mai de l’année 1891, de notre Pontificat la quatorzième.
LÉON XIII, PAPE «
clio-texte/syllabus 1864 Pie IX