Lettre de l’empereur Rodolphe de Habsbourg

« Rodolphe, par la grâce de Dieu empereur des Romains, à tous ses fidèles, tous les hommes de condition libre de la vallée de Schwyz grâce et tout bien. Il répugne à notre bienveillance que des hommes de condition servile vous soient donnés comme juges. C’est pourquoi en vertu de notre pouvoir royal nous déclarons qu’aucun homme de condition servile ne doit à l’avenir en aucune façon être votre juge. En foi de quoi, nous avons ordonné ce document muni du sceau de notre Majesté. Donné à Baden, le 19 février 1291, la 18e année de notre règne. »

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Le Pacte de 1291

Traité d’alliance entre Uri, Schwytz et Nidwald (la vallée inférieure d’Unterwald), au début d’août 1291 (en 1891, le 1er août devint la date de la fête nationale suisse). Texte en latin qui renouvelle une alliance antérieure, « antiquam confederationis formam », entre des communautés paysannes bénéficiant de libertés, mais craignant les désordres d’un interrègne. Justement, l’empereur Rodolphe (un Habsbourg plutôt conciliant) vient de mourir le 15 juillet 1291. De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Par précaution, on confirme l’alliance en précisant que l’on n’acceptera jamais de juges étrangers aux trois vallées des « Waldstätten » (pays de la fôret, ainsi se désignaient-ils par ailleurs). Notez que le terme « Confédérés » présent dans la traduction n’existe pas dans l’original latin où on dit simplement « si l’un d’entre nous…., les autres devront…. », ainsi que les termes latins « conspirati » et « coniurati ».

« Au nom du Seigneur, amen. C’est accomplir une action honorable et profitable au bien public que de confirmer, selon les formes consacrées, les conventions ayant pour objet la sécurité et la paix. Que chacun sache donc que, considérant la malice des temps et pour mieux défendre et maintenir dans leur intégrité leurs personnes et leurs biens, les hommes de la vallée d’Uri, la communauté de Schwytz et celle des hommes de la vallée inférieure d’Unterwald, se sont engagés, en toute bonne foi, de leur personne et de leurs biens, à s’assister mutuellement, s’aider, se conseiller, se rendre service de tout leur pouvoir et de tous leurs efforts, dans leurs vallées et au dehors, contre quiconque, nourrissant de mauvaises intentions à l’égard de leur personne ou de leurs biens, commettrait envers eux ou l’un quelconque d’entre eux un acte de violence, une vexation ou une injustice, et chacune des communautés a promis à l’autre d’accourir à son aide en toute occasion où il en serait besoin, ainsi que de s’opposer, à ses propre frais, s’il est nécessaire, aux attaques de gens malveillants et de tirer vengeance de leurs méfaits, prêtant serment, renouvelant par les présentes la teneur de l’acte de l’ancienne alliance corroborée par un serment, et cela sous réserve que chacun, selon la condition de sa personne, soit tenu , comme il sied, d’être soumis à son seigneur et de le servir. Après délibérations en commun et accord unanime, nous avons promis, statué et décidé de n’accueillir et de n’accepter en aucune façon dans les dites vallées un juge qui aurait acheté sa charge, à prix d’argent ou par quelque autre moyen, ou qui ne serait pas habitant de nos vallées ou membre de nos communautés. Si une dissension surgit entre quelques-uns des Confédérés, ceux dont le conseil a le plus de poids doivent intervenir pour apaiser le différent selon le mode qui leur paraîtra efficace ; et les autres Confédérés devront se tourner contre la partie qui rejetterait leur sentence. En outre, il a été convenu entre eux ce qui suit : si un meurtre est commis avec préméditation et sans provocation, le meurtrier, s’il est pris, doit, comme son crime infâme l’exige, être mis à mort, à moins qu’il ne puisse prouver son innocence; et s’il s’enfuit, il ne pourra jamais revenir au pays. Ceux qui accorderaient abri et appui à ce malfaiteur, seront expulsés des vallées jusqu’à ce que les Confédérés jugent bon de les rappeler. Si quelqu’un met volontairement le feu aux biens d’un Confédérés, de jour ou dans le silence de la nuit, il ne sera plus jamais considéré comme membre d’une de nos communautés. Et si quelqu’un, dans nos vallées, favorise le dit malfaiteur et le protège, il sera tenu de donner satisfaction à la personne lésée. De plus, si l’un des Confédérés commet un vol au détriment d’un autre ou lui cause un dommage quelconque, les biens du coupable qui pourraient être saisis dans les vallées doivent être mis sous séquestre pour servir, selon la justice, à indemniser le lésé. Au surplus, nul n’a le droit de saisir comme gage le bien d’autrui, sinon d’un débiteur ou d’une caution manifeste, et même dans ce cas, il ne peut le faire qu’avec l’autorisation spéciale de son juge. De plus, chacun doit obéir à son juge et, si besoin est, doit indiquer quel est dans la vallée le juge dont il relève juridiquement. Et au cas où quelqu’un refuserait de soumettre au jugement rendu et où l’un des Confédérés subirait quelque dommage, du fait de cette résistance, tous les Confédérés seraient tenus de contraindre le dit contumace à donner satisfaction. Surgisse une guerre ou un conflit entre quelques-uns des Confédérés, si l’une des parties se refuse à rendre pleine et entière justice, les Confédérés sont tenus de prendre fait et cause pour l’autre partie. Les décisions ci-dessus consignées, prises dans l’intérêt et au profit de tous, devront, si Dieu le permet, durer à perpétuité; en témoignage de quoi le présent acte, dressé à la requête des prénommés, a été validé par l’apposition des sceaux des trois communautés et vallées. Fait en l’an du Seigneur 1291 au début du mois d’août. »

Antoine Castell, Les chartes fédérales de Schwyz, Einsiedeln, 1938, pp. 37-40.

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Spécificités du fédéralisme suisse

« (…) au risque de décevoir une historiographie traditionnelle, je doute que la construction, digne d’estime, du fédéralisme suisse, ait été, dans son long et difficile cheminement, portée d’emblée par le noble idéal de la fédération de peuples frères, mais divers et tenant à leur liberté. Les trois Suisses du Grütli, et ceux qui leur ont succédé dans la signature des pactes ultérieurs et à la Diète du Corps helvétique, n’étaient pas des professeurs de droit public imaginant un édifice constitutionnel parfait ni des patriotes avant la lettre portés par l’idéal de la fraternité confédérale. C’étaient des paysans de fortune inégale, généralement modeste, des commerçants, des entrepreneurs de transport, quelques petits nobles et quelques notaires moins généreusement idéalistes que pragmatiques, comptant leurs intérêts, âpres à défendre leurs droits, leurs biens, leurs libertés au pluriel plus que la Liberté avec un grand L ou la fraternité universelle.

Apres à défendre : on ne s’unit pas pour se fondre dans une communauté harmonieuse, mais pour défendre ses droits, pour résister en groupant ses forces. Résister : la Suisse est d’abord une coalition de résistances. Les nations qui nous entourent se sont construites autour d’une dynastie monarchique, autour d’une capitale, autour d’une langue, souvent autour d’une unité confessionnelle. La Confédération, elle, à contre-courant souvent de l’histoire européenne, s’est construite contre. Au-dedans, dans les communautés, elle s’est affirmée contre la famille dominatrice ou contre le chef trop puissant, contre les redevances dues au seigneur ou au couvent, contre le juge qui vient du dehors ou qui a acheté sa charge. Au-dehors, la Confédération s’est forgée contre le prince, contre le Habsbourg, ou contre l’empereur, contre le pays conquérant et, souvent, contre le canton voisin qui étend ses pâturages au-delà de la ligne de partage des eaux, qui conteste un droit de passage, qui ferme ses marchés, contre Zurich, orgueilleuse et riche.

Une coalition de résistances, et de résistances fondamentalement républicaines, résistances républicaines à vrai dire plus que démocratiques. Sans doute on ne contestera pas le caractère démocratique, à la base de la landsgemeinde, pas plus que, à l’origine, le gouvernement relativement populaire des villes. Mais la démocratie subira bien des entorses et bien des éclipses.

(…) Mais on reste, en dépit de la déviation oligarchique des institutions, fondamentalement républicain, répartissant d’une manière assez égalitaire les charges, les prébendes et les privilèges entre les familles régnantes, prenant garde, par l’alternance à court terme aux charges suprêmes d’avoyer ou de bourgmestre, qu’aucun pouvoir personnel et dynastique ne s’instaure. Le gouvernement est essentiellement collégial, comme l’est aussi, généralement le commandement militaire. »

Georges-André Chevallaz , « L’histoire de la Confédération suisse : une démarche en contrepoint », in Les défis des années 1990 : position et stratégie internationale de la Suisse, Annales d’études internationales, Volume 17, 1989-1990.