Versailles, signature de la Paix avec la Hongrie, M. Millerand [passant devant un piquet d'honneur] : [photographie de presse] / [Agence Rol] le 4 juin 1920

L’Allemagne sera châtiée

« Au cours d’un discours qu’il a prononcé à Dundee, et répondant à une question qui lui était posée relativement aux conditions de paix, M. Winston Churchill, ministre de l’Armement, a dit : « Nous sommes absolument libres de tout engagement concernant la liberté des mers. La nation allemande, tout entière, est collectivement coupable de cette guerre d’agression et devra, tout entière, en acquitter les frais. Toute personne, en Allemagne, reconnue coupable, avec preuve à l’appui, de toute violation bien établie des lois de la guerre sur terre et sur mer ou reconnue coupable d’avoir traité des prisonniers d’une façon cruelle, devra être punie comme criminelle, quelle que soit sa situation. De hautes personnalités officielles britanniques examinent ces questions afin que nous puissions rassembler les preuves de culpabilité. » »

in Gazette de Liège, dimanche 1er décembre 1918.

A retenir de la conférence de la paix :

Elle s’ouvre à Paris le 18 janvier 1919. Les vaincus ne sont pas invités à discuter. Le négociations essentielles sont réservées à 5 grandes puissances: U.S.A., France, Royaume-Uni, Japon et Italie. A partir du 23 mars, pour hâter les débats, un conseil est formé par le Président américain Woodrow Wilson, le Premier ministre britannique Lloyd George, le Président du conseil français Georges Clémenceau et, dans une certaine mesure, l’Italien d’Orlando. L’Allemagne subit des sanctions militaires, économiques, financières, politiques et morales.


Le traité de Versailles (1919),

extraits et résumés de quelques articles essentiels

« Article 10 : (Pacte de la Société des Nations). Les Membres de la Société s’engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure l’intégrité territoriale et l’indépendance politique présente de tous les Membres de la Société.

Article 42 : Il est interdit à l’Allemagne de maintenir ou de construire des fortifications soit sur la rive gauche du Rhin, soit sur la rive droite, à l’ouest d’une ligne tracée à 50 kilomètres à l’est de ce fleuve.

Article 43 : Sont également interdits, dans la zone définie à l’article 2, l’entretien ou le rassemblement de forces armées (…).

Article 51 : Les territoires cédés à l’Allemagne, en vertu des Préliminaires de Paix signés à Versailles le 26 février 1871 et du Traité de Francfort du 10 mai 1871, sont réintégrés dans la souveraineté française à dater de l’armistice du 11 novembre 1918.

Articles 80, 81, 87 : L’Allemagne reconnaît l’indépendance et les frontières de l’Autriche, de la Tchécoslovaquie et de la Pologne.

Article 119 : L’Allemagne renonce à ses droits sur ses possessions d’outre-mer.

Article 160 : L’armée allemande ne pourra dépasser 100 000 hommes.

Article 171 : La fabrication de tanks est interdite.

Article 173 : Tout service militaire est aboli.

Article 198 : Les forces militaires ne pourront comprendre aucune aviation.

Article 231 : Les Gouvernements alliés et associés déclarent et l’Allemagne reconnaît que l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre qui leur a été imposée par l’agression de l’Allemagne et de ses alliés.

Article 232 : Les gouvernements alliés exigent (…) et l’Allemagne en prend l’engagement, que soient réparés tous les dommages causés à la population civile des alliés et à ses biens.

Article 428 : À titre de garantie (…) les territoires allemands situés à l’ouest du Rhin seront occupés par les troupes des puissances alliées pendant une période de quinze années. »

In Histoire-Géographie 3e, Paris, Magnard, coll. planétaires, 1999, p. 31 et LAMBIN (s. d.), Histoire-Géographie, initiation économique, Paris, Hachette, 1995, p. 30

 

Autre extrait

« Art. 227 – Les puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d’Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités.
Un tribunal spécial sera constitué pour juger l’accusé en lui assurant les garanties essentielles du droit de défense. Il sera composé de cinq juges, nommés par chacune des cinq puissances suivantes, savoir les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et le Japon.
Le tribunal jugera sur motifs inspirés des principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci d’assurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi que de la morale Internationale. Il lui appartiendra de déterminer la peine qu’il estimera devoir être appliquée. Les puissances alliées et associées adresseront au Gouvernement des Pays-Bas une requête le priant de livrer l’ancien empereur entre leurs mains pour qu’il soit jugé.
Art. 228 – Le Gouvernement allemand reconnaît aux puissances alliées et associées la liberté de traduire devant leurs tribunaux militaires les personnes accusées d’avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. Les peines prévues par les lois seront appliquées aux personnes reconnues coupables. Cette disposition s’appliquera nonobstant toutes procédures ou poursuites devant une juridiction de l’Allemagne ou de ses alliés.
Le Gouvernement allemand devra livrer aux puissances alliées et associées, ou à celle d’entre elles qui lui en adressera la requête, toutes personnes qui, étant accusées d’avoir commis un acte contraire aux lois et coutumes de la guerre, lui seraient désignées soit nominativement, soit par le grade, la fonction ou l’emploi auxquels les personnes auraient été affectées par les autorités allemandes.
Art. 229 – Les auteurs d’actes contre les ressortissants d’une des puissances alliées et associées seront traduits devant les tribunaux militaires de cette puissance.
Les auteurs d’actes commis contre des ressortissants de plusieurs puissances alliées et associées seront traduits devant des tribunaux militaires composés de membres appartenant aux tribunaux militaires des puissances intéressées.
Dans tous les cas, l’accusé aura droit à désigner lui-même son avocat.
Art. 230 – Le Gouvernement allemand s’engage à fournir tous documents et renseignements, de quelque nature que ce soit, dont la production serait jugée nécessaire pour la connaissance complète des faits incriminés, la recherche des coupables et l’appréciation exacte des responsabilités. »

sur http://mjp.univ-perp.fr/traites/1919versailles7.htm
Digithèque de matériaux juridiques et politiques, université de Perpignan, copié en mars 2013


Georges Clemenceau, Mémoires

Georges Clemenceau (1841-1929), homme politique français, fut chef du gouvernement (1917-1920).

« Si notre récente victoire n’avait été que des conquêtes territoriales qui devaient nous appeler à nouveau sur les champs de bataille pour des revanches de revanches, notre succès du jour eût été tout aussi stérile que les précédents. Ce qu’on pourrait souhaiter de meilleur en Europe en effort de civilisation, c’est un vainqueur capable de se maîtriser lui-même pour remplacer la force armée par le droit, dans l’équilibre mouvant d’une paix susceptible de durer. »

Cette lettre datée de 1919, écrite par Charles de Gaulle, officier français pendant la Première guerre mondiale, révèle bien certaines caractéristiques de l’attitude de la France vis à vis de l’Allemagne que nous retrouvons aussi dans les termes du traité de Versailles.

« Ma chère Maman,
Voici donc la paix signée. Il reste à la faire exécuter par l’ennemi, car tel que nous le connaissons, il ne fera rien, il ne cédera rien, il ne paiera rien, qu’on ne le contraigne à faire, à céder, à payer, et non pas seulement au moyen de la force, mais bien par la dernière brutalité. C’est le seul procédé à employer à son égard. Ses engagements sont une fumée, sa signature une mauvaise plaisanterie. Heureusement nous tenons, et il nous faut absolument garder, la rive gauche du Rhin. Les motifs d’y demeurer ne manqueront certes pas, car je ne crois pas une seconde à des paiements sérieux d’indemnités de la part de l’Allemagne. Non pas certes qu’elle ne puisse payer, mais parce qu’elle ne le veut pas. Nous allons donc nous heurter de suite à toute cette science de chicanes gémissantes, de délais prolongés, d’entêtements sournois, qui est la plus claire aptitude de cette race. Nous avons éprouvé cette science à mainte occasion, et notamment à propos de chacun des articles du traité d’armistice qu’il fallut plusieurs interventions impatientées du maréchal Foch [un des chefs de l’armée française] pour faire exécuter à peu près. Seulement nous n’allons plus avoir à brandir d’épée flamboyante, avec nos troupes démobilisées, et celles de nos alliés rentrées chez elle. Au fur et à mesure des années, l’Allemagne se redressant deviendra plus arrogante, et finalement ne nous paiera pas à beaucoup près ce qu’elle nous doit. Il faut craindre du reste que nos alliés ne soient d’ici à très peu de temps nos rivaux et ne se désintéressent de notre sort. La rive gauche du Rhin devra donc nous rester. »

Extrait de Charles de Gaulle, « Lettres, notes et carnets (1919-1940) », publié en 1980

Un ambassadeur français

« Voici la paix signée. Elle me fait l’effet d’un dépôt d’explosifs qui éclateront sur tous le points du monde un jour ou l’autre. Si nous avions été sûrs d’être suivis, il aurait été préférable de voir les Allemands refuser leurs signatures. Alors, on aurait pénétré chez eux et on les aurait contraints de signer à Berlin. Mais jamais Wilson ni Lloyd George n’auraient consenti à reprendre les hostilités. Je ne suis pas même sur que Clemenceau s’y fût résigné Donc, il vaut mieux que la paix soit signée.
(…) Aujourd’hui, il faut traiter avec l’Autriche, la Turquie, la Bulgarie, et je crains qu’on n’ait d’idées sur aucune des questions qui se posent. On ne sait même pas ce qu’on fera de Constantinople. Quant à la Pologne, on multiplie les insanités. Au fond, Lloyd George déteste les Polonais parce qu’ils sont catholiques et que son méthodisme le domine. »

PAUL CAMBON, Correspondance, t. 3, Grasset

Une œuvre durable fondée sur le droit

« A tous points de vue, il me semble que nous devons nous efforcer d’établir le règlement de la paix comme si nous étions des arbitres impartiaux, oublieux des passions de la guerre. Ce règlement devra avoir trois buts: avant tout, il doit rendre justice aux Alliés, en tenant compte de la responsabilité de l’Allemagne dans les origines de la guerre et dans les méthodes de guerre; ensuite, il doit être tel qu’un gouvernement allemand conscient de ses responsabilités puisse le signer en estimant qu’il pourra remplir les obligations auxquelles il souscrit; enfin, ce règlement ne devra renfermer aucune clause qui soit de nature à provoquer de nouvelles guerres, et il devra offrir une alternative au bolchevisme, parce qu’il se recommandera à l’opinion des gens raisonnables comme une solution équitable du problème européen. »

Mémorandum de Lloyd George, 25 mars 1919.

Une œuvre inspirée par un principe d’équité

Le PRESIDENT WILSON. « J’espère que vous êtes d’accord, en principe, avec M. Lloyd George sur la modération qu’il est nécessaire de montrer vis-à-vis de l’Allemagne. Nous ne voulons pas et nous ne pourrions pas la détruire: notre plus grande erreur serait de lui donner des raisons puissantes de vouloir un jour prendre sa revanche. Des stipulations excessives jetteraient un germe certain de guerre. Partout, nous avons à modifier les frontières et à changer les souverainetés nationales. Il n’y a rien qui comporte plus de dangers, car ces changements sont contraires à de longues habitudes, changent la vie même des populations. (…) Il faut éviter de donner à nos ennemis même l’impression de l’injustice. Je ne crains pas dans l’avenir les guerres préparées par des complots secrets des gouvernements, mais plutôt les conflits créés par le mécontentement des populations, Si nous nous rendons nous-mêmes coupables d’injustice, ce mécontentement est inévitable. »

P. MANTOUX, Les Délibérations du conseil des Quatre, C.N.R.S., 1955.

Buts de Lloyd George

« Si nous sommes sages, nous offrirons à l’Allemagne une paix qui, en même temps qu’elle sera juste, sera, pour tout homme sensé, préférable à l’alternative du bolchevisme. Je voudrais donc placer en frontispice de la paix l’idée suivante : dès que l’Allemagne aura accepté nos conditions, particulièrement les réparations, nous lui ouvrirons l’accès aux matières premières et aux marchés du monde, à égalité avec nous, et nous ferons tout notre possible pour rendre le peuple allemand capable de se remettre sur ses jambes. Nous ne pouvons à la fois l’estropier et nous attendre à être payés (…).
A tous points de vue, par conséquent, il me semble que nous devons nous efforcer d’établir le règlement de la paix comme si nous étions des arbitres impartiaux, oublieux des passions de la guerre. Ce règlement devra avoir trois buts : avant tout, il doit rendre justice aux Alliés, en tenant compte de la responsabilité et des méthodes de guerre ; ensuite, il doit être tel qu’un gouvernement allemand conscient de ses responsabilités puisse le signer en estimant qu’il pourra remplir les obligations auxquelles il souscrit ; enfin, ce règlement, ne devra renfermer aucune clause qui soit de nature à provoquer de nouvelles guerres, et il devra offrir une alternative au bolchevisme, parce qu’il se recommandera à l’opinion des gens raisonnables comme une solution équitable du problème européen.
Je crois enfin que, jusqu’à ce que l’autorité et l’efficacité de la Société des Nations aient été démontrées, l’Empire britannique et les Etats-Unis devraient donner à la France une garantie contre la possibilité d’une nouvelle agression allemande. La France a des raisons particulières de demander une telle garantie : en un demi-siècle, elle a été deux fois attaquée et deux fois envahie par l’Allemagne. Elle a été attaquée ainsi parce que, sur le continent européen, elle était le principal défenseur de la civilisation libérale et démocratique contre l’Europe centrale autocratique. Il est juste que les autres grandes démocraties occidentales s’entendent pour lui donner l’assurance qu’elles seront à son côté, en temps voulu, pour la protéger contre l’invasion, dans le cas où l’Allemagne la menacerait de nouveau, jusqu’à ce que la Société des Nations ait prouvé qu’elle était capable de préserver la paix et la liberté dans le monde. »

Source : Extrait d’un mémorandum de Lloyd George, 25 mars 1919. Cité par RENOUVIN Pierre, Le Traité de Versailles, Paris, Flammarion, 1969, p.121.


Conseil des quatre de la Conférence de la Paix, séance du 28 mars 1919

Débat sur les prétentions territoriales françaises

– Le président Wilson : (1)
 » Il n’y a pas de nation plus intelligente que la nation française. Si vous me laissez lui exposer franchement ma manière de voir, je n’ai pas peur de son jugement. Sans doute, s’ils voyaient que nous n’appliquons pas partout le même principe, les Français n’accepteraient pas une solution qui leur paraîtrait défavorable ; mais si nous leur montrons que nous faisons de notre mieux pour agir justement partout où se posent des problèmes analogues, le sentiment de justice qui est dans le coeur du peuple français se lèvera pour me répondre : « Vous avez raison ». J’ai une si haute idée de l’esprit de la nation française que je crois qu’elle acceptera toujours un principe fondé sur la justice et appliqué avec égalité. L’annexion à la France de ces régions n’a pas de base historique suffisante. Une partie de ces territoires n’a été française que pendant vingt-deux ans ; le reste a été séparé de la France pendant plus de cent ans. La carte de l’Europe est couverte, je le sais, d’injustices anciennes que l’on ne peut pas toutes réparer. Ce qui est juste, c’est d’assurer à la France la compensation qui lui est due pour la perte de ses mines de houille, et de donner à l’ensemble de la région de la Sarre les garanties dont elle a besoin pour l’usage de son propre charbon. Si nous faisons cela, nous ferons tout ce que l’on peut nous demander raisonnablement. »

– Georges Clemenceau, chef du gouvernement français : (2)
« Je prends acte des paroles et des excellentes intentions du Président Wilson. Il élimine le sentiment et le souvenir : c’est là que j’ai une réserve à faire sur ce qui vient d’être dit. Le Président des Etats-Unis méconnaît le fond de la nature humaine. Le fait de la guerre ne peut être oublié. L’Amérique n’a pas vu cette guerre de près pendant les trois premières années ; nous, pendant ce temps, nous avons perdu un million et demi d’hommes. Nous n’avons plus de main-d’oeuvre. Nos amis anglais, qui ont perdu moins que nous, mais assez pour avoir aussi beaucoup souffert, me comprendront.
Nos épreuves ont créé dans ce pays un sentiment profond des réparations qui nous sont dues ; et il ne s’agit pas seulement de réparations matérielles : le besoin de réparations morales n’est pas moins grand. Les doctrines qui viennent d’être invoquées permettraient si elles étaient interprétées dans toute leur rigueur, de nous refuser aussi bien l’Alsace-Lorraine. En réalité, la Sarre et Landau (3) font partie de la Lorraine et de l’Alsace. Nos grands ennemis de 1815 contre qui nous nous étions battus pendant tant de siècles, les Anglais, ont insisté, après la chute de Napoléon, pour que la Prusse ne prenne pas le bassin de la Sarre. Un geste de générosité vis-à-vis d’un peuple qui a tant souffert ne serait pas perdu. C’est une erreur de croire que le monde est mené par des principes abstraits. Ceux-ci sont acceptés par certains partis, rejetés par d’autres je ne parle pas des doctrines surnaturelles, sur lesquelles je n’ai rien à dire ; mais j’estime qu’il n’existe pas de dogmes humains, il n’y a que des règles de justice et de bon sens.
Vous cherchez à faire justice aux Allemands. Ne croyez pas qu’ils nous pardonneront jamais ; ils ne chercheront que l’occasion d’une revanche, rien ne détruira la rage de ceux qui ont voulu établir sur le monde leur domination et qui se sont crus si près de réussir. »

(1) texte cité par Pierre Milza, De Versailles à Berlin (1919-1945), Paris, Masson, 1981, 4e éd., p. 21.
(2) textes cités par Pierre Renouvin, Le traité de Versailles, Paris, Flammarion, 1969, pp. 118 à 123 passim.
(3) Il exista un département français de la Sarre de 1795 à 1814.

Landau est une ville de Rhénanie qui appartint à la France de 1680 à 1815.


Dès sa signature, le traité de Versailles est loin de faire l’unanimité.

Voici un extrait du jugement de l’historien français Bainville qui trouve le traité en partie trop clément envers l’Allemagne.

« Une Allemagne diminuée d’environ 100.000 kilomètres carrés, mais, sur ce territoire réduit, réunissant encore soixante millions d’habitants, un tiers de plus que la France, subsistait au centre de l’Europe. L’oeuvre de Bismarck et des Hohenzollern était respectée dans ce qu’elle avait d’essentiel. L’unité allemande n’était pas seulement maintenue, mais renforcée. les Alliés avaient affirmé leur volonté de ne pas intervenir dans les affaires intérieures allemandes. Ils y étaient intervenus pourtant. Toutes les mesures qu’ils avaient prises avaient eu pour résultat de centraliser l’Etat fédéral allemand et de consolider les anciennes victoires de la Prusse. S’il y avait des aspirations à l’autonomie ou au fédéralisme parmi les populations allemandes, elles étaient étouffées. Le traité poussait, enfermait, parquait 60 millions d’hommes entre des frontières rétrécies. C’est « Allemagne d’autre part » au nom de laquelle deux ministres sont venus signer à Versailles le 28 juin 1919.

Du fond de la Galerie des Glaces, Müller et Bell, de noir habillés, avaient comparu devant les représentants de vingt-sept peuples réunis. Dans le même lieu, sous les mêmes peintures, quarante-huit ans plus tôt, l’Empire allemand avait été proclamé. Il y revenait pour s’entendre déclarer à la fois coupable et légitime, intangible et criminel. A sa condamnation, il gagnait d’être reconnu. Müller et Bell, obscurs délégués d’une Allemagne vaincue, pensaient-ils à ce que la défaite laissait survivre d’essentiel ? Peut-être, pour beaucoup des assistants et des juges, était-ce une jouissance de voir le redoutable Empire de Guillaume II humilié dans la personne d’un intellectuel socialiste et d’un avoué de province. La voix brève de M. Clemencau ajoutait à l’humiliation : « Il est bien entendu, Messieurs les délégués allemands, que tous les engagements que vous allez signer devront être tenus intégraleemnt et loyalement. » Nous entendrons toujours ce verbe tranchant, et les deux Ja, indifférents et mous, qui sortirent de la bouche de Müller et de Bell, conduits comme des automates par le chef du protocole. Faible voix. Débile garantie. Qu’est-ce que Müller et Bell pouvaient engager ? Le traité de Versailles mettait en mouvement des forces qui échappaient déjà à la volonté de ses auteurs.

Une paix trop douce pour ce qu’elle a de dur : dès qu’elle avait été connue, nous en avions donné cette définition . On verra qu’elle reste juste et qu’elle a résisté à l’expérience. Le traité enlève tout à l’Allemagne, sauf le principal, sauf la puissance politique, génératrice de toutes les autres. Il croit supprimer les moyens de nuire que l’Allemagne possédait en 1914. Il lui accorde le premier de ces moyens, celui qui doit lui permettre de reconstituer les autres, l’Etat, un Etat central, qui dispose des ressources et des forces de 60 millions d’êtres humains et qui sera au service de leurs passions. »

L’Allemagne, seul état puissant restant.

« Sur le frontière méridionale de l’Allemagne, se constitue ou se reconstitue un Etat tchécoslovaque, première maille de la ceinture de force que la conférence [de la paix] a eu l’idée (…) de passer au Reich allemand. Malheureusement pour sa solidité, la ceinture est percée et rompue vers sa boucle par le fatal quadrilatère de Glatz où (…) l’Allemagne peut mobiliser à l’aise, et d’où elle peut s’élancer à son gré, en plusieurs directions, qui toutes la mènent droit au coeur de l’Europe centrale. Une faute ou une négligence, dont il faut craindre que l’avenir ne connaisse le poids, a été commise là (…).

La Pologne ressuscitée (…) est comme un corps privé de ses deux poumons (…). Il n’y a et il n’y aura de Pologne que si elle a un accès libre, sûr et commode à la mer. Or, elle ne touche la Baltique, en territoire polonais, que sur un lambeau de côte où il est impossible de construire un bon port. De là, la solution de Dantzig, ville de caractère allemand, érigée en ville libre afin de donner ou de prêter à la Pologne un port libre. Et de là, un chemin polonais du Sud au Nord. Mais comme ce qui restera de la Prusse orientale se trouverait séparé de l’Allemagne, et comme il faut que la province communique pourtant avec l’Etat, de là un chemin allemand de l’Est à l’Ouest, et les deux routes s’entrecroisent sur le territoire libre de Dantzig, dont la tutrice et la garante, la Société des Nations, fera bien dès maintenant d’organiser sérieusement la police. (…)

Telle est l’Europe du traité de Versailles. Si nous regardons de haut, à l’est de sa ligne médiane, nous ne voyons plus qu’un grand Etat actuel, le Reich allemand. Dans les vastes contrées de l’Europe centrale et orientale où, avant la guerre, il y en avait deux autres, l’Autriche-Hongrie et la Russie, l’Allemagne se redressera vite et bientôt se dressera seule comme grand Etat actuel.

A la place de la moitié autrichienne de la monarchie austro-hongroise, une Autriche allemande, hésitante entre le Reich allemand et une confédération danubienne, mais subissant d’autant plus fortement l’attraction du Reich qu’il subsiste et se concentre, tandis que la confédération danubienne n’existe pas et que les éléments s’en dispersent et tourbillonnent sans s’accrocher. A la place de la moitié hongroise, des comitats magyars [hongrois] ou magyarisés qui s’écartèlent entre la Tchécoslovaquie ou la Pologne, l’Autriche allemande, la Yougoslavie ou la Roumanie. Dans l’Europe centrale, un gouffre creusé par la dissolution de l’Autriche-Hongrie, mais dans l’Europe orientale, un abîme béant par la décomposition de la Russie. Se refera-t-il ou ne se refera-t-il pas une grande Russie, et de quelle grandeur ? (…) Comment seront réglées les questions de Finlande, d’Estonie, de Lituanie, d’Ukraine, etc. ? »

discours : intervention parlementaire du 27 août 1919 par Charles BENOIST, député de la Seine.

Les mérites de Versailles selon Clémenceau

« Le principal mérite de cet essai d’une pacification durable est d’avoir cherché, pour la première foi dans l’histoire, les points fermes d’un établissement de justice entre des peuples qui, jusque-là, n’avaient vécu que de violences. Napoléon faisait son Europe à coups de hache. Ses traités, hâtifs, ne duraient guère, mais il prenait soin que, pour un temps, ils ne fussent pas discutés. Soumis à toute critique d’improvisation, le Traité de Versailles ne réussit certainement pas à réaliser les espérances diverses que chacun en avait pu concevoir, ce qui n’est pas pour surprendre. Du moins, dans une Europe disloquée, osa-t-il aborder l’entreprise d’une reconstitution générale (…).
En rencontrant les Allemands à Versailles, nous en étions au lendemain de la Paix de Francfort qui nous avait donné une Europe menacée d’un bouleversement total par la violence germanique […]. Et si notre récente victoire n’avait été que de conquêtes territoriales, qui devaient nous appeler à nouveau sur des champs de bataille pour des guerres de revanche, notre succès eût été tout aussi stérile que les précédents. Ce qu’on pouvait souhaiter de mieux à l’Europe, c’était un vainqueur capable de maîtriser lui-même pour remplacer la force armée par le droit, dans l’équilibre mouvant d’une paix susceptible de durer. »

Source : Georges Clémenceau, Grandeurs et misères d’une victoire, Paris, Plon, édition 1930, p.140, p.165.

L’économiste anglais Keynes trouve, lui, le traité trop dur.

« La campagne accomplie pour faire payer par l’Allemagne les dépenses de guerre nous semble avoir été un des actes les plus graves de folie politique dont nos hommes d’Etat aient jamais été responsables. C’est vers un avenir bien différent que l’Europe aurait pu se tourner si M. Lloyd George [premier ministre britannique] et M. Wilson [président des USA] avaient compris que les plus importants problèmes qui devaient les occuper n’étaient ni politiques ni territoriaux, mais financiers et économiques, et que les dangers qui menaçaient n’étaient pas dans des questions de frontières et de souveraineté mais de ravitaillement, de charbon et de transports. (…)

L’examen scientifique des capacités de paiement de l’Allemagne fut écarté dès le début (…). La position financière de la France et de l’Italie était si mauvaise qu’il était impossible de faire entendre raison à ces pays au sujet de l’indemnité allemande, à moins de leur indiquer un même temps quelque autre moyen d’échapper à leur embarras (1). A notre avis, les représentants des Etats-Unis eurent le grand tort de n’avoir nulle proposition constructive à offrir à une Europe souffrante et bouleversée.

Il faut noter en passant un autre élément de la situation, l’opposition qui existait entre la politique « d’écrasement » de M. Clemenceau et les nécessités financières de M. Klotz [ministre français des finances, auteur de la phrase : « L’Allemagne paiera. »]. Le but de Clemenceau était d’affaiblir et de détruire l’Allemagne par tous les moyens disponibles, et nous imaginons qu’il a toujours été quelque peu dédaigneux au sujet de l’indemnité, car il n’était pas dans ses intentions de laisser à l’Allemagne le moyen de manifester une grande activité commerciale. Mais il ne se donnait pas le souci de comprendre quelque chose, soit à l’indemnité, soit aux difficultés financières écrasantes de ce pauvre M. Klotz. Si cela amusait les financiers d’introduire dans le traité de très vastes réclamations, (…) il n’y avait pas de mal à cela, mais la satisfaction de ces demandes ne devait pas pouvoir faire obstacle aux exigences essentielles d’une « paix carthaginoise ».  »

John Maynar Keynes, Les Conséquences économiques de la paix, éd. N.R.F., trad. P. Frank, 1920, p. 122

(1) Note de Keynes : « Lorsqu’on causait avec des Français qui n’étaient nullement touchés par des considérations politiques (…) on pouvait les persuader que certaines évaluations courantes de ce que l’on obtiendrait de l’Allemagne étaient extravagantes ; et cependant, à la fin ils revenaient toujours au point d’où ils étaient partis : « L’Allemagne doit payer, car sans cela, que deviendra la France. »

Un ancien chancelier de Guillaume II

« Jamais n’a été infligée à un peuple, avec plus de brutalité une paix aussi accablante et aussi ignominieuse qu’au peuple allemand la paix honteuse de Versailles. Dans toutes les guerres des derniers siècles, des négociations entre vainqueur et vaincu avaient précédé la conclusion de la paix. (…)
Mais une paix sans négociations préalables, une paix dictée comme celle de Versailles, est aussi peu une vraie paix qu’il n’y a transfert de propriété quand un brigand renverse à terre un malheureux et le contraint ensuite à la lui remettre son porte-monnaie.
La paix de Versailles nous a ravi plus de soixante-dix mille kilomètres carrés et plus de sept millions d’habitants.
(…) Pour garder le géant enchaîné, on a mis deux sbires à ses flancs, la Pologne et la Tchécoslovaquie, qui ont reçu le droit, conservé aussi par les Etats vainqueurs, d’augmenter librement leurs forces militaires, tandis que notre armée, autrefois la plus forte et la plus brave du monde, était réduite à n’être qu’une force de police à peine suffisante; pour maintenir l’ordre intérieur. »

BÜLOW, Mémoires, t. 3. Plon, 1931.

Le jugement d’un chef nazi sur le traité de Versailles, nouveau bouc émissaire…

Il émane de Konstantin von Neurath, ancien membre du gouvernement de Hitler au ministère des Affaires Étrangères, interrogé au procès de Nuremberg (1945) :

« Il faut chercher dans les stipulations insensées et impossibles du traité de Versailles qui ont eu pour effet d’amener le désordre dans l’économie du monde entier, les racines du national-socialisme et également les origines de la Deuxième Guerre mondiale. Du fait qu’on avait lié ce traité de Versailles à la Société des Nations et chargé celle-ci du maintien des prescriptions du traité, le but fondamental de la Société des Nations, c’est-à-dire la fraternité des peuples et le maintien de la paix, devenait illusoire. Certes, le Statut prévoyait la possibilité d’une révision, mais l’Assemblée de la Société des Nations ne l’a pas utilisée. Après que les Etats-Unis eurent retiré leur participation, que la Russie et, plus tard, le Japon, furent demeurés hors de son activité, cette prétendue Société des Nations se composait seulement dans son écrasante majorité d’une assemblée intéressée au maintien du statu-quo, tel qu’il avait été créé par le traité de Versailles. Au lieu d’essayer d’éliminer petit à petit les tensions qui croissaient sans cesse, l’Assemblée des Nations ne tendit à rien d’autre qu’à ne rien vouloir changer à l’état existant. Or, un grand peuple qui avait le sens de l’honneur se trouvait mis en état d’infériorité par le traité de Versailles : il ne pouvait le tolérer plus longtemps. Tout homme d’Etat avisé devait le reconnaître. Non seulement en Allemagne, mais même à l’étranger, bien des gens disaient que tout cela finirait mal, mais à Genève – le rendez-vous des politiciens éloquents et vaniteux -, on ne tenait aucun compte de ces discours. »


Trois visions du traité de Versailles

a) « Jamais n’a été infligée à un peuple, avec plus de brutalité, une paix aussi accablante et aussi ignominieuse (…). Une paix sans négociations préalables, une paix dictée comme celle de Versailles, c’est comme quand un brigand renverse à terre un malheureux et le contraint ensuite à lui remettre son porte-monnaie. »

B. VON BULOW, ancien diplomate allemand, in Mémoires, 1931

b) « Le traité ne comprend nulle disposition en vue de la restauration économique de l’Europe (…), rien pour organiser les nouveaux États ou sauver la Russie. La paix mènera l’Europe souffrante jusqu’au bord de la ruine et de la famine. Le but de Clemenceau [le président français] était d’affaiblir l’Allemagne par tous les moyens possibles. »

J. M. KEYNES, économiste anglais, in Les Conséquences économiques de la paix, 1919

c) « Le traité n’est pas fameux ; je suis tout prêt à le reconnaître. Mais, et la guerre, a-t-elle été fameuse ? Il a fallu quatre ans et je ne sais combien de nations pour venir à bout de l’Allemagne. (…) Vingt fois pendant la guerre, on a cru que tout était fini. (…) Or la France sort de là vivante, son territoire reconstitué, son empire colonial agrandi, l’Allemagne brisée, désarmée… »

Interview de G. CLEMENCEAU, président français pendant la Première Guerre, 1928