William Martin (1888-1934) est un journaliste genevois de renom du début du XXe siècle qui travailla plutôt pour le grand quotidien libéral genevois, le Journal de Genève. Les lignes qui suivent parurent toutefois dans les pages de la Gazette de Lausanne, quotidien vaudois de tendance libérale comme son double genevois.

« Nous sommes, en effet, dans un dilemme : ou bien les étrangers qui ont reçu chez nous, toute leur éducation sont complètement assimilés à nos mœurs, à nos idées et presque à notre patriotisme. Il est désirable dans ce cas qu’ils deviennent Suisses ; ils le deviendront fort souvent de leur plein gré, et même s’ils restent étrangers, même s’ils continuent à figurer sur les statistiques redoutables de notre submersion, ils ne sont pas un véritable péril, ils ne nous nuisent pas. Le remède, si ce cas est toujours vrai, n’est pas dangereux, il est inutile et inefficace.

Mais si les étrangers qui sont nés dans notre pays et y ont été élevés sont cependant restés étrangers à notre nationalité, à nos mœurs, à notre histoire et à nos traditions ; si le Brésilien a gardé, avec sa peau brune, son sang chaud des tropiques ; si le Russe à gardé son redoutable idéalisme, qui transforme les mots en faits, qui sont des bombes ; si plus simplement, le petit Français vibre encore aux trois couleurs, ou bien si, plus éloigné encore de nous, il vibre au drapeau rouge ; si l’Allemand est resté sujet fidèle de son empereur, que deviendra le cadeau que nous leur ferons ? Aurons-nous plus de Suisses parce qu’une colonne de nos statistiques se sera enflée ? Aurons-nous plus de concitoyens parce qu’il y aura plus de citoyens ? La Suisse aura-t-elle plus d’enfants parce qu’elle aura adopté des ingratitudes[1] ? Aura-t-telle plus de patriotes parce qu’elle aura plus d’électeurs ?

Ce que nous devons défendre, ce n’est pas notre nombre, c’est notre esprit. (…) C’est dans la force et l’unité du caractère national que se trouve le vrai élément d’assimilation, et c’est à rendre ce caractère plus personnel et plus fort que nous devons travailler ; pour cela, il faut que l’Etat garde son caractère suisse et traditionnel, dégagé de toutes compromissions avec des idées qui ne sont pas les nôtres. Personne ne pourrait dire qu’il ne sera pas obligé à ces compromissions lorsqu’une partie importante des électeurs ne seront Suisses que d’hier. En naturalisant d’office[2], on dénationalise l’Etat, et par là on diminue la force d’attraction de notre patrie. Ce qu’on nous demande, c’est un sacrifice très grand, et un sacrifice inutile. Nous ne le ferons pas. »

[1] Des ingratitudes : (ici) des personnes ingrates, peu reconnaissantes.

[2] Naturaliser d’office : naturaliser de manière quasiment automatique sous certaines conditions aisées à satisfaire.

William Martin, « Assimilation ou naturalisation ? », Gazette de Lausanne, 28 avril 1910. (Tiré de : Gérald et Silvia Arlettaz (2004), La Suisse et ses étrangers. Immigration et formation nationale (1848-1933), Lausanne : Antipodes & SHSR, p. 138.)

Il y a une résonance évidente avec les propos de l’UDC de la fin du XXe et du début du XXIe siècle.

Et sur la question de la fin des inégalités touchant les Juifs en Suisse en 1866, voyez ce bon article :
http://judaisme.sdv.fr/histoire/antisem/suisse/suisse.htm