Proclamation de Louis-Napoléon (14.1.1852)
« Louis-Napoléon, président de la République au Peuple français, le 14 janvier 1852
FRANÇAIS,
Lorsque, dans ma proclamation du 2 décembre, je vous exprimai loyalement quelles étaient, à mon sens, les conditions vitales du Pouvoir en France, je n’avais pas la prétention, si commune de nos jours, de substituer une théorie personnelle à l’expérience des siècles. J’ai cherché, au contraire, quels étaient dans le passé les exemples les meilleurs à suivre, quels hommes les avaient donnés, et quel bien en était résulté.
Dès lors, j’ai cru logique de préférer les préceptes du génie aux doctrines spécieuses d’hommes à idées abstraites. J’ai pris comme modèle les institutions politiques qui déjà, au commencement de ce siècle, dans des circonstances analogues, ont raffermi la société ébranlée et élevé la France à un haut degré de prospérité et de grandeur.
J’ai pris comme modèle les institutions qui, au lieu de disparaître au premier souffle des agitations populaires, n’ont été renversées que par l’Europe entière coalisée contre nous.
En un mot, je me suis dit : puisque la France ne marche depuis cinquante ans qu’en vertu de l’organisation administrative, militaire, judiciaire, religieuse, financière, du Consulat et de l’Empire, pourquoi n’adopterions-nous pas aussi les institutions politiques de cette époque ? Créées par la même pensée, elles doivent porter en elles le même caractère de nationalité et d’utilité pratique.
En effet, ainsi que je l’ai rappelé dans ma proclamation, notre société actuelle, il est essentiel de le constater, n’est pas autre chose que la France régénérée par la Révolution de 89 et organisée par l’Empereur. Il ne reste plus rien de l’Ancien Régime que de grands souvenirs et de grands bienfaits. Mais tout ce qui alors était organisé a été détruit par la Révolution, et tout ce qui a été organisé depuis la Révolution et qui résiste encore l’a été par Napoléon.
Nous n’avons plus ni provinces, ni pays d’État, ni parlements, ni intendants, ni fermiers généraux, ni coutumes diverses, ni droits féodaux, ni classes privilégiées en possession exclusive des emplois civils et militaires, ni juridictions religieuses différentes.
À tant de choses incompatibles avec elle, la Révolution avait fait subir une réforme radicale, mais elle n’avait rien fondé de définitif. Seul, le Premier Consul rétablit l’unité, la hiérarchie et les véritables principes du gouvernement. Ils sont encore en vigueur.
Ainsi, l’administration de la France confiée à des préfets, à des sous-préfets, à des maires, qui substituaient l’unité aux commissions directoriales ; la décision des affaires, au contraire, donnée à des conseils, depuis la commune jusqu’au département. Ainsi, la magistrature affermie par l’inamovibilité des juges, par la hiérarchie des tribunaux ; la justice rendue plus facile par la délimitation des attributions, depuis la justice de paix jusqu’à la Cour de cassation. Tout cela est encore debout.
De même, notre admirable système financier, la Banque de France, l’établissement des budgets, la Cour des comptes, l’organisation de la police, nos règlements militaires datent de cette époque.
Depuis cinquante ans, c’est le Code Napoléon qui règle les intérêts des citoyens entre eux ; c’est encore le Concordat qui règle les rapports de l’État avec l’Église.
Enfin la plupart des mesures qui concernent les progrès de l’industrie, du commerce, des lettres, des sciences, des arts, depuis les règlements du Théâtre-Français jusqu’à ceux de l’Institut, depuis l’institution des prud’hommes jusqu’à la création de la Légion d’Honneur, ont été fixées par les décrets de ce temps.
On peut donc l’affirmer, la charpente de notre édifice social est l’oeuvre de l’Empereur, et elle a résisté à sa chute et à trois révolutions.
Pourquoi, avec la même origine, les institutions politiques n’auraient-elles pas les mêmes chances de durée ?
Ma conviction était formée depuis longtemps, et c’est pour cela que j’ai soumis à votre jugement les bases principales d’une Constitution empruntée à celle de l’an VIII. Approuvées par vous, elles vont devenir le fondement de notre Constitution politique.
Examinons quel en est l’esprit :
Dans notre pays, monarchique depuis huit cents ans, le pouvoir central a toujours été en s’augmentant. La royauté a détruit les grands vassaux ; les révolutions elles-mêmes ont fait disparaître les obstacles qui s’opposaient à l’exercice rapide et uniforme de l’autorité. Dans ce pays de centralisation, l’opinion publique a sans cesse tout rapporté au chef du Gouvernement, le bien comme le mal. Aussi, écrire en tête d’une Charte que ce chef est irresponsable, c’est mentir au sentiment public, c’est vouloir établir une fiction qui s’est trois fois évanouie au bruit des révolutions.
La Constitution actuelle proclame, au contraire, que le chef que vous avez élu est responsable devant vous ; qu’il a toujours le droit de faire appel à votre jugement souverain, afin que, dans les circonstances solennelles, vous puissiez lui continuer ou lui retirer votre confiance.
Étant responsable, il faut que son action soit libre et sans entraves. De là l’obligation d’avoir des ministres qui soient les auxiliaires honorés et puissants de sa pensée, mais qui ne forment plus un Conseil responsable, composé de membres solidaires, obstacle journalier à l’impulsion particulière du Chef de l’État, expression d’une politique émanée des Chambres, et par là même exposée à des changements fréquents, qui empêchent tout esprit de suite, toute application d’un système régulier.
Néanmoins, plus un homme est haut placé, plus il est indépendant, plus la confiance que le Peuple a mise en lui est grande, plus il a besoin de conseils éclairés, consciencieux. De là la création d’un Conseil d’État, désormais véritable Conseil du Gouvernement, premier rouage de notre organisation nouvelle, réunion d’hommes pratiques élaborant les projets de loi dans des commissions spéciales, les discutant à huis clos, sans ostentation oratoire, en Assemblée générale, et les présentant ensuite à l’acceptation du Corps législatif.
Ainsi le pouvoir est libre dans ses mouvements, éclairé dans sa marche.
Quel sera maintenant le contrôle exercé par les Assemblées ?
Une Chambre, qui prend le titre de Corps législatif, vote les lois et l’impôt. Elle est élue par le suffrage universel, sans scrutin de liste. Le Peuple, choisissant isolément chaque candidat, peut plus facilement apprécier le mérite de chacun d’eux.
La Chambre n’est plus composée que d’environ deux cent soixante membres. C’est là une première garantie du calme des délibérations, car trop souvent on a vu dans les Assemblées la mobilité et l’ardeur des passions croître en raison du nombre.
Le compte rendu des séances qui doit instruire la Nation n’est plus livré, comme autrefois, à l’esprit de parti de chaque journal ; une publication officielle, rédigée par les soins du président de la Chambre, en est seule permise.
Le Corps législatif discute librement la loi, l’adopte ou la repousse ; mais il n’y introduit pas à l’improviste de ces amendements qui dérangent souvent toute l’économie d’un système et l’ensemble du projet primitif. A plus forte raison n’a-t-il pas cette initiative parlementaire qui était la source de si graves abus, et qui permettrait à chaque député de se substituer à tout propos au Gouvernement en présentant les projets les moins étudiés, les moins approfondis.
La Chambre n’étant plus en présence des ministres, et les projets de loi étant soutenus par les orateurs du Conseil d’État, le temps ne se perd pas en vaines interpellations, en accusations frivoles, en luttes passionnées dont l’unique but était de renverser les ministres pour les remplacer.
Ainsi donc, les délibérations du Corps législatif seront indépendantes ; mais les causes d’agitations stériles auront été supprimées, des lenteurs salutaires apportées à toute modification de la loi. Les mandataires de la Nation feront mûrement les choses sérieuses.
Une autre Assemblée prend le nom de Sénat. Elle sera composée des éléments qui, dans tout pays, créent les influences légitimes : le nom illustre, la fortune, le talent et les services rendus.
Le Sénat n’est plus, comme la Chambre des Pairs, le pâle reflet de la Chambre des Députés, répétant, à quelques jours d’intervalle, les mêmes discussions sur un autre ton. Il est le dépositaire du pacte fondamental et des libertés compatibles avec la Constitution ; et c’est uniquement sous le rapport des grands principes sur lesquels repose notre société, qu’il examine toutes les lois et qu’il en propose de nouvelles au Pouvoir exécutif. Il intervient, soit pour résoudre toute difficulté grave qui pourrait s’élever pendant l’absence du Corps législatif, soit pour expliquer le texte de la Constitution et assurer ce qui est nécessaire à sa marche. Il a le droit d’annuler toute acte arbitraire et illégal, et, jouissant ainsi de cette considération qui s’attache à un corps exclusivement occupé de l’examen de grands intérêts ou de l’application de grands principes, il remplit dans l’État le rôle indépendant, salutaire, conservateur, des anciens parlements.
Le Sénat ne sera pas, comme la Chambre des Pairs, transformé en Cour de Justice : il conservera son caractère de modérateur suprême, car la défaveur atteint toujours les corps politiques lorsque le sanctuaire des législateurs devient un Tribunal criminel. L’impartialité du juge est trop souvent mise en doute, et il perd son prestige devant l’opinion, qui va quelquefois jusqu’à l’accuser d’être l’instrument de la passion ou de la haine.
Une Haute Cour de Justice, choisie dans la haute magistrature, ayant pour jurés des membres des conseils généraux de toute la France, réprimera seule les attentats contre le Chef de l’État et la sûreté publique.
L’Empereur disait au Conseil d’État « Une Constitution est l’oeuvre du temps ; on ne saurait laisser une trop large voie aux améliorations ». Aussi la Constitution présente n’a-t-elle fixé que ce qu’il était impossible de laisser incertain. Elle n’a pas enfermé dans un cercle infranchissable les destinées d’un grand peuple, elle a laissé aux changements une assez large voie pour qu’il y ait, dans les grandes crises, d’autres moyens de salut que l’expédient désastreux des révolutions.
Le Sénat peut, de concert avec le Gouvernement, modifier tout ce qui n’est pas fondamental dans la Constitution ; mais quant aux modifications à apporter aux bases premières, sanctionnées par vos suffrages, elles ne peuvent devenir définitives qu’après avoir reçu votre ratification.
Ainsi, le Peuple reste toujours maître de sa destinée. Rien de fondamental ne se fait en dehors de sa volonté.
Telles sont les idées, tels sont les principes dont vous m’avez autorisé à faire l’application. Puisse cette Constitution donner à notre patrie des jours calmes et prospères ! Puisse-t-elle prévenir le retour de ces luttes intestines où la victoire, quelque légitime qu’elle soit, est toujours chèrement achetée ! Puisse la sanction que vous avez donnée à mes efforts être bénie du ciel ! Alors la paix sera assurée au-dedans et au-dehors, mes voeux seront comblés, ma mission sera accomplie ! »
Le même discours, extraits plus courts et remaniés.
Louis Napoléon Bonaparte, président de la République au peuple français.
« Français !
La Constitution actuelle proclame que le Chef est responsable devant vous qu’il a toujours le droit de faire appel à votre jugement souverain, afin que, dans les circonstances solennelles, vous puissiez lui continuer ou lui retirer votre confiance.*
Étant responsable, il faut que son action soit libre et sans entrave : de là l’obligation d’avoir des ministres qui soient les auxiliaires honorés et puissants de sa pensée, (et non) l’expression d’une politique émanée des Chambres, et par là-même exposée à des changements fréquents qui empêchent tout esprit de suite, toute application d’un système régulier
Néanmoins, plus un homme est haut placé, plus il est indépendant ; plus la confiance que le Peuple a mise en lui est grande, plus il a besoin de conseils éclairés, consciencieux. De là la création d’un Conseil d’Etat, désormais véritable conseil du Gouvernement, premier rouage de notre organisation nouvelle, réunion d’hommes pratiques élaborant les projets de loi dans des commissions spéciales, les discutant à huis clos, sans ostentation oratoire, en assemblée générale, et les présentant ensuite à l’acceptation du Corps législatif.
Quel sera maintenant le contrôle exercé par les assemblées ?
Une Chambre, qui prend le titre de Corps législatif, vote les lois et l’impôt. Elle est élue par le suffrage universel, sans scrutin de liste. Le Peuple, choisissant isolément chaque candidat, peut plus facilement apprécier le mérite de chacun d’eux. ( … )
Une autre assemblée prend le nom de Sénat. Elle sera composée des éléments qui, dans tout pays, créent les influences légitimes : le nom illustre, la fortune, le talent et les services rendus.
Le Sénat examine toutes les lois et il en propose de nouvelles au Pouvoir exécutif.
Le Sénat peut, de concert avec le Gouvernement, modifier tout ce qui n’est pas fondamental dans la Constitution, mais quant aux modifications à apporter aux bases premières, sanctionnées par vos suffrages, elles ne peuvent devenir définitives qu’après avoir reçu votre ratification.
Ainsi le Peuple reste toujours maître de sa destinée. Rien de fondamental ne se fait en dehors de sa volonté… »
Palais des Tuileries, le 14 janvier 1852. Louis Napoléon Bonaparte, Bulletin des lois. plébiscite.