Située sur l’île de la Cité, siège de l’archidiocèse de Paris, dédié à la Vierge Marie (d’où son nom), la cathédrale Notre-Dame de Paris, plus communément appelée Notre-Dame, est l’un des monuments emblématiques de Paris si ce n’est LE monument de la capitale depuis l’incendie de 2019, le drame l’ayant remise au centre de l’attention politique et médiatique après une période de flottement.

Commencée sous l’impulsion de l’évêque Maurice de Sully, sa construction débute au milieu du XIIème siècle, en 1163, pour s’achever deux siècles plus tard. Dans l’histoire de France, la cathédrale reste, sous la Monarchie, un bâtiment secondaire dont les usages ne sont pas aussi symboliques de celle de Reims (où sont sacrés les Rois de France) et la Basilique de Saint Denis, où ils sont enterrés. Vandalisée durant la Révolution, la période napoléonienne lui donne une autre envergure avec le sacre de l’Empereur ,en décembre 1804. La période de l’Empire passée, la cathédrale tombe en désuétude, peu aidée par son esthétique jugée passéiste et les saccages se multiplient. Elle passe de mode et elle est menacée de destruction.

Notre-Dame doit sa redécouverte et sa survie à l’écrivain du XIXème siècle par excellente pourtant très peu voire pas du tout religieux : Victor Hugo. En 1831, ce dernier publie son roman Notre-Dame-de-Paris. Le succès et sa redécouverte sont telles que, à la demande de Prosper Mérimée, la cathédrale bénéficie entre 1845 et 1867 de moyens (modestes) pour entreprendre sa restauration.

Le chantier est alors confié  à deux architectes : Jean-Baptiste Antoine Lassus et à Eugène Viollet-le-Duc. Ce dernier y incorpore des éléments et des motifs inédits, comme les fameuses gargouilles, mais aussi une nouvelle flèche. Cette dernière suscite d’entrée la polémique : la flèche existait-elle avant ? Dans l’article qui suit, Viollet-le-Duc tranche la question et expose par là-même sa méthode de restauration d’un bâtiment hérité du passé. Pour lui elle existait, les sources le prouvent. L’Etat suit ses vues et son projet de (re)construction d’une flèche est approuvé par le ministre de l’Instruction publique et des Cultes en mars 1858. Sa conception est inspirée par la flèche de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans, elle-même inspirée par celle de la cathédrale Notre-Dame d’Amiens.


 

Extrait n° 1 : y avait-il une flèche avant ?

Il y a toujours lieu de s’émerveiller de la facilité avec laquelle on oublie, à Paris, les choses de la veille. C’est un grand bonheur, mais c’est aussi un grand embarras lorsqu’on a négligé de consigner d’une manière authentique ce qu’on voyait et ce qu’on disait hier.
Un Parisien me soutenait dernièrement que la tour Saint-Jacques était entourée d’une place depuis la révolution de 1792. Un autre, relatant un fait qui s’est passé en 1848, me disait « Je suis certain de ce que je rappelle ici, et la preuve, c’est que le fait a eu lieu (il me semble que j’y suis) sur le boulevard de Sébastopol, au coin du boulevard Saint-Denis.) Tout le monde connaît ce mot de Fouché, ministre de la police sous l’Empire il racontait une conversation qu’il avait eue avec Robespierre, et comme quoi, dans une circonstance particulière, il avait cru devoir lui tenir tête: «Duc d’Otrante! me répondit, Robespierre, vous jouez gros jeu! »

Depuis le jour où l’autorisation de rétablir la flèche sur la croisée de Notre-Dame de Paris fut accordée, où S. Exc. M. le ministre de l’instruction publique et des cultes approuva le projet (mars 1858), de tous côtés on m’adressa cette question « Est-ce qu’il y avait une flèche sur la cathédrale?–Certes Ne le saviez-vous point? Je ne crus pas d’abord nécessaire de donner des preuves, parce que je pensais que bon nombre de Parisiens vivants avaient vu ce clocher debout. Cependant, les questions devinrent plus pressantes. Quelques-uns me faisaient l’honneur de croire que ce complément de l’église mère n’avait jamais existé que dans mon cerveau.Cela devenait embarrassant, car ce que je pensais être une plaisanterie menaçait de se formuler en une accusation de surprise de la bonne foi publique, ou tout au moins d’excès d’imagination. Les choses arrivèrent à ce point que je dus bien décidément fournir des pièces authentiques. L’architecte respectable qui démolit la flèche de Notre-Dame, à son grand regret, parce qu’elle menaçait ruine et qu’on ne lui donnait pas les moyens de la conserver, M. Godde, se porte à merveille. On prétend du moins, que ce fut lui qui présida à cette exécution.

Prenons nos preuves de plus haut. J. Du Breul, dans son Théatre des Antiquitez de Paris, édition de 1612, dit, page 11, livre Ier « Dans le petit clocher, sur la croisée de l’église (Notre-Dame), sont six petites cloches, non compris la cloche de bois. La charpenterie qui soutient la couverture de plomb de cette cathédrale-église, ne porte que sur les quatre gros murs, non plus que celle du petit clocher, qui est au-dessus du milieu de la croisée, basty sur un gros tronc de bois, soutenu seulement par quatre grosses poultres, qui posent sur les quatre principaux pilliers d’icelle croisée »[…]

Sans compter le plan de Turgot cité déjà, et qui date du dernier siècle, voici Félibien. Dans son Histoire de la ville de Paris, il nous donné une vue de Notre-Dame avec la flèche. Voici Béguillet qui, dans sa Description historique de Paris (1789), nous montre la flèche debout sur la cathédrale ; nous la retrouvons encore dans quelques mauvaises gravures (1792,1797). A partir de ce moment, c’est-à-dire sur les estampes faites pendant l’Empire et la Restauration, il n’est plus question de la flèche. Mais la souche de cet ouvrage de charpenterie existait entière sous la toiture de la cathédrale, il y a deux ans seulement, cette souche était en fort mauvais état. Le poinçon de la flèche portait encore un chapiteau en bois sculpté du commencement du XIIIème siècle, chapiteau conservé dans les magasins du chantier. […]

Extraits pages 35-36

Extrait n° 2 : description de la nouvelle flèche

La nouvelle flèche de Notre-Dame de Paris repose entièrement sur les quatre piliers du transept, au moyen d’un système de quatre fermes inclinées et de deux grandes fermes diagonales. Sa hauteur, sous comble, est de quatorze mètres, compris les jambes de force qui descendent jusqu’au niveau des reins de la grande voûte. Du sommet du faîtage au-dessous du coq, on compte quarante-quatre mètres cinquante centimètres. Elle est entièrement construite en bois de chêne de Champagne, dont quelques brins n’ont pas moins de quinze mètres de longueur. Toutes les parties de ces bois qui pouvaient être altérées par l’humidité avant l’exécution du revêtement de plomb, ont été peintes au minium. Cette couleur rouge a fait croire à bon nombre de personnes que la flèche de Notre-Dame était en fer, par suite de l’habitude que l’on a de voir peindre ainsi les ouvrages de grosse serrurerie. Mais (ceci soit dit pour mes confrères) le minium préserve aussi bien le bois de la pourriture que le fer de l’oxydation, et, dans les assemblages particulièrement, pour les tenons et les mortaises, le minium est un excellent moyen d’éviter l’échauffement du bois.

Les quatre grandes contre-fiches basses des noues, ainsi que l’indique notre gravure, sont décorées d’ajours, des quatre symboles des évangélistes et des douze apôtres, d’une hauteur de trois mètres. Ces figures sont faites en cuivre repoussé, autant pour offrir une plus grande résistance que pour éviter un poids trop considérable. […]

Extrait page 38

 

Source : Eugène Viollet-le-Duc « la flèche de Notre Dame de Paris« , Gazette des beaux-arts : courrier européen de l’art et de la curiosité, tome sixième, 1er avril 1860, 388 pages, extraits