Luis Felipe de ALENCASTRO, cdrom Encyclopædia Universalis, 2.0


Parmi de nombreux textes contemporains, un mémoire rédigé au milieu du XVIIIe siècle par les « Messieurs du commerce nantais » illustre l’importance que les contemporains attachaient à la traite : « Les richesses de nos colonies sont aujourd’hui le principal objet de notre commerce et le commerce de Guinée en est tellement la base que, si les négociants français abandonnaient cette branche du commerce, nos colonies seraient nécessairement approvisionnées, par les étrangers, de Noirs, et, par une suite infaillible, de toutes les denrées de l’Europe qui s’y consomment, en sorte que, non seulement l’État serait privé de l’avantage des exportations, mais aussi des denrées des colonies nécessaires à sa propre consommation ; en un mot, l’abandon du commerce de Guinée entraînerait infailliblement la perte du commerce des colonies ; de là, le fait que nous n’avons point de branches de commerce aussi précieux en l’État que le commerce de Guinée et qu’on ne saurait trop le protéger. »

Tout paraît dit dans ce texte. Pourtant, à partir de présupposés qui auraient étonné la majorité des négociants, des hommes d’État et des économistes du XVIIIe siècle, des historiens s’interrogent actuellement sur l’importance de la traite des Noirs, et même du commerce colonial tout entier, dans la croissance économique de l’Europe moderne (R. Floud et D. McCloskey). Suscité par l’ouvrage d’Eric Williams, Capitalism and Slavery, publié en 1944, le débat sur le montant et le rôle des profits du négoce négrier a connu plusieurs développements récents. Williams présentait son livre comme « une étude économique du rôle de l’esclavage et de la traite des Noirs dans la formation du capital qui finança la révolution industrielle en Angleterre ». Pourtant, des recherches ultérieures ont démontré que le profit des négriers britanniques se situait autour de 10 p. 100 du capital investi, ce qui ne paraît pas excessif par rapport aux bénéfices procurés par d’autres secteurs économiques de l’époque (R. Anstey, S. Drescher). De plus, on n’a pas relevé de transferts directs des profits négriers vers le secteur industriel en Angleterre. Celui-ci fut plutôt financé par des capitaux en provenance de l’agriculture et du commerce régional anglais. Il paraît néanmoins évident que les milliers de navires, des différentes puissances maritimes, engagés dans la traite des Noirs pendant presque quatre siècles (pour la seule année 1780 le nombre de ces bateaux s’élève à 263) drainèrent des ressources considérables vers l’économie européenne. En outre, d’autres études soulignent l’importance des marchés africains – stimulés par la traite des esclaves – comme débouchés pour la production industrielle européenne. Les importations africaines d’armes, pendant les périodes de paix en Europe, de marchandises de mauvaise qualité ou obsolètes semblent avoir soutenu la croissance de plusieurs industries essentielles du Vieux Monde.