Contre-modèle du courage militaire, transfuge de la sexualité normative, l’homosexuel semblait un lâche, sans courage puisque féminisé, à peine digne d’être Français.
Nombre de représentations firent de l’homosexualité un « vice allemand » et des homosexuels des « Eulenbougres », conformément à la tradition d’imputer la déviance au pays voisin. L’homosexuel met en péril, comme l’explique Florence Tamagne, « les fondements de la nation, sa survie démographique, son unité fantasmée. Rejeté en dehors de la communauté nationale, l’homosexuel devient alors un étrangerFlorence Tamagne, «Genre et homosexualité. De l’influence des stéréotypes homophobes sur les représentations de l’homosexualité», Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°75, juillet-septembre 2002, p. 61-73.». Après avoir été arabe au XIe siècle, vice français au XIVe et italien jusqu’au XVIe siècle, l’homosexualité devint, grâce à EulenburgAllusion à un scandale homosexuel dans l’entourage de Guillaume II avant-guerre., un mal allemand […]. Dans une lettre d’octobre 1927 adressée à Aristide Briand, le haut-commissaire interallié défendait la vertu française : « Enfin l’allégation relative aux maisons de prostitution masculine est un audacieux mensonge. Le vice contre nature est très répandu en Allemagne, maintenant comme avant la guerre. C’est un fait de notoriété publique, et ce vice est même qualifié de vice allemand. Si des établissements de ce genre existent en Allemagne, ce sont des établissements purement allemands. Non seulement les troupes d’occupation les ignorent et entendent les ignorer, mais la débauche allemande est un des faits qui répugne le plus aux Français et qui contribue à maintenir un fossé moral entre les populations des deux pays. » Les dirigeants n’étaient pas épargnés par les stéréotypes de l’ennemi.
La surveillance des homosexuels ne fut donc pas dictée par la loi, mais par l’opposition entre une transgression sociale, pourtant inoffensive du point de vue militaire, et le stéréotype de virilité du combattant vaillant et patriote, qu’il ait été au front durant la Première Guerre mondiale ou prisonnier pendant le second conflit. De l’intégrité de ses mœurs dépendaient la qualité du soldat, sa bravoure et son patriotisme. Mais à l’opprobre commun entourant la sexualité atypique s’ajoutait le soupçon d’État, organisé, qui transformait la discrète communauté des homosexuels en une autre cinquième colonne.
Luc Capdevila, François Rouquet, Fabrice Virgili, Daniel Voldman, Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945), Payot, 2003, p. 164-165.