La situation intérieure de l’Indochine en février 1945

« (…) L’engouement des Annamites pour les Japonais a maintenant disparu. La masse sait maintenant ce que valent les Nippons (brutalités, manque de paroles, etc.). La population est convaincue à présent que le plus grand malheur qui puisse lui arriver, c’est que les Japonais s’emparent définitivement de l’Indochine. (…)

Quant aux intellectuels, ils ont joué à un moment donné la carte japonaise, mais ils ont maintenant retourné leur veste. La duplicité nippone les a déçus et les défaites militaires essuyées par les Japonais en Birmanie et dans le Pacifique les ont tout à fait découragés. Ils jouent maintenant la carte américaine. (…)

On peut dire sans risque d’exagération, qu’à part ceux qui doivent leur situation à la France et qui perdraient tout si la France était obligée de quitter l’Indochine, tous les autres Annamites, et ils sont la grande majorité, souhaitent l’indépendance de leur pays.

La défaite du Japon ne faisant plus de doute, les Annamites placent tous leurs espoirs dans l’Amérique (et non pas dans les Alliés). Les intellectuels, étudiants, diplômés « retour de France » etc. prépareraient actuellement un cahier de voeux à présenter aux Américains pour l’émancipation de l’Indochine.

Les communistes ou affiliés du Viet Minh (…) préconisent toujours l’éviction des impérialistes français et japonais et l’indépendance de l’Annam ; mais s’ils comptent sans doute de nombreux affiliés, ils ne sont néanmoins pas suivis par les intellectuels, ni par la bourgeoisie. Le Viet Minh est certes un parti qui est déjà passé à l’action, mais il ne paraît pas devoir être plus dangereux qu’une bande de malfaiteurs, organisée, qui commet des pillages, et qu’une action punitive bien menée suffit à annihiler rapidement. (…) ».

Rapport d’évasion de Valentin MORAND, commissaire adjoint de la Sûreté, chargé de la section des Informations spéciales à Hanoi, transmis à Paris le 7 juin 1945 par le chef d’Escadron H. J. Sainteny, chef de la Base de Kumming, rapporté par Jacques VALETTE, Indochine 1940-1945. Français contre Japonais. Paris, SEDES, 1993, 507 p.

Déclaration d’indépendance de la République du Vietnam (2 septembre 1945)

«  »Tous les hommes sont nés égaux. Le Créateur nous a donné des droits inviolables : le droit de vivre, le droit d’être libre et le droit de réaliser notre bonheur.  »

Cette parole immortelle est tirée de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique en 1776. Prise dans un sens plus large, cette phrase signifie :  » Tous les peuples sur la terre sont nés égaux, tous les peuples ont le droit de vivre, d’être libres.  »

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de la Révolution française de 1791 proclame également :  » Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

Ce sont là des vérités indéniables.

Et pourtant, pendant plus de quatre-vingt années, les impérialistes français, abusant de leur  » liberté, égalité, fraternité « , ont violé la terre de nos ancêtres et opprimé nos compatriotes. Leurs actes vont à l’encontre des idéaux d’humanité et de justice. (…)

A l’automne de l’année 1940, quand les fascistes japonais, en vue de combattre les Alliés, ont envahi l’Indochine pour organiser de nouvelles bases de guerre, les impérialistes français se sont rendus à genoux pour leur livrer notre pays.

Dès lors, notre peuple, sous le double joug japonais et français, est saigné littéralement. Le résultat a été terrifiant. Du Quang-tri au Nord, 2 millions de nos compatriotes sont morts de faim dans les premiers mois de cette année.

Le 9 mars, les Japonais désarmèrent les troupes françaises. De nouveau, les Français se sont enfuis ou bien se sont rendus sans condition. Ainsi, ils n’ont été nullement capables de nous « protéger »; bien au contraire, dans l’espace de cinq ans, ils ont par deux fois vendu notre pays aux Japonais.

Avant le 9 mars, à plusieurs reprises, la Ligue du Viet-minh a invité les Français à se joindre à elle pour lutter contre les Japonais. Les Français, au lieu de répondre à cet appel, ont sévi de plus belle contre les partisans du Viet-minh. Ils sont allés jusqu’à assassiner un grand nombre de nos condamnés politiques incarcérés à Yen Bay et à Cao Bang lors de leur débandade.

Malgré tout cela, nos compatriotes ont continué à garder, à l’égard des Français, une attitude indulgente et humaine. Après les événements du 9 mars, la Ligue du Viet-minh a aidé de nombreux Français à traverser les frontières, en a sauvé d’autres des prisons nipponnes et a, en outre, protégé la vie et les biens de tous les Français.

En fait, depuis l’automne de 1940, notre pays a cessé d’être une colonie française pour devenir une possession nipponne.

Après la reddition des Japonais, notre peuple tout entier s’est levé pour reconquérir sa souveraineté et a fondé la République démocratique du Vietnam.

La vérité est que nous avons repris notre indépendance des mains des Japonais et non de celles des Français.

Les Français s’enfuient, les Japonais se rendent, l’empereur Bao-Dai abdique, notre peuple a brisé toutes les chaînes qui ont pesé sur nous pendant près de cent ans pour faire de notre Vietnam un pays indépendant. Notre peuple a, en même temps, renversé le régime monarchique établi depuis des dizaines de siècles pour fonder la République.

Pour ces raisons, nous, membres du gouvernement provisoire représentant la population entière du Vietnam, déclarons n’avoir plus désormais aucun rapport avec la France impérialiste, annuler tous les traités que la France a signés au sujet du Vietnam, abolir tous les privilèges que les Français se sont arrogés sur notre territoire.

Tout le peuple du Vietnam, animé d’une même volonté, est déterminé à lutter jusqu’au bout contre toute tentative d’agression de la part des impérialistes français.

Nous sommes convaincus que les Alliés, qui ont reconnu les principes de l’égalité des peuples aux Conférences de Téhéran et de San Francisco, ne peuvent pas ne pas reconnaître l’indépendance du Vietnam.

Un peuple qui s’est obstinément opposé à la domination française pendant plus de quatre-vingts ans; un peuple qui durant ces dernières années, s’est décidément rangé du côté des Alliés pour lutter contre le fascisme ; ce peuple a le droit d’être libre, ce peuple a le droit d’être indépendant.

Pour ces raisons, nous, membres du gouvernement provisoire de la République démocratique du Vietnam, proclamons solennellement au monde entier :

Le Vietnam a le droit d’être libre et indépendant et, en fait, est devenu libre et indépendant. Tout le peuple du Vietnam est décidé à mobiliser toutes ses forces spirituelles et matérielles, à sacrifier sa vie et ses biens pour garder son droit à la liberté et à l’indépendance.  »

Extrait de Jacques Dalloz, « Textes sur la décolonisation », PUF, Paris, 1989.

Le même, plus court.

DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU VIETNAM

« Tous les hommes ont été créés égaux. (…) Leur Créateur leur a conféré certains droits inaliénables. Parmi ceux-ci, il y a la vie, la liberté, et la recherche du bonheur. »

Ces paroles immortelles sont tirées de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique en 1776. Prises au sens large, ces phrases signifient : tous les peuples sur terre sont nés égaux ; tous les peuples ont le droit de vivre, d’être libres, d’être heureux.

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de la Révolution Française (1791) a également proclamé : « Les hommes sont nés et demeurent libres et égaux en droits. »

Il y a là d’indéniables vérités.

Cependant, pendant plus de 80 ans, les impérialistes français, reniant leurs principes « liberté, égalité, fraternité », ont violé la Terre de nos ancêtres et opprimé nos compatriotes. Leurs actions sont contraires à l’idéal d’humanité et de justice. (…)

La vérité est que nous avons saisi notre indépendance des mains des Japonais et non des mains des Français. Avec la fuite des Français, la capitulation des Japonais et l’abdication de l’empereur Bao-Dai, notre peuple a brisé les chaînes qui avaient pesé sur nous pendant près de cent ans et a fait de notre Vietnam un pays indépendant. Notre peuple a en même temps renversé le régime monarchique établi depuis des dizaines de siècles et il a fondé la République.

Pour ces raisons, Nous, Membres du Gouvernement Provisoire, représentant la population entière du Vietnam, déclarons que nous n’aurons désormais aucune relation avec la France impérialiste, que nous abolirons tous les traités signés par la France au sujet du Vietnam, que nous abolirons tous les privilèges que se sont arrogés les Français sur notre territoire. Tout le peuple du Vietnam, inspiré par la même volonté, est déterminé à combattre jusqu’au bout contre toute tentative d’agression de la part des impérialistes français.

Nous sommes convaincus que les Alliés, qui ont reconnu le principe de l’égalité entre les peuples aux conférences de Téhéran et de San Francisco, ne peuvent que reconnaître l’indépendance du Vietnam. »

Hanoi, le 2 septembre 1945.

Cité dans « Histoire Terminale », collection Quétel, éditions Bordas, 1989, p. 73

UNE DÉNONCIATION DE LA POLITIQUE FRANÇAISE EN INDOCHINE

Déclaration de Pierre Mendès France à l’Assemblée Nationale après le revers militaire de Cao Bang (1950).

« Il faut en finir avec des méthodes qui ne relèvent ni de la puissance, ni de l’habileté, ni de la force, ni de la politique, avec une action constamment velléitaire, équivoque, hésitante, et dont la faillite était éclatante, longtemps avant les difficultés militaires de ces derniers jours.

En vérité, il faut choisir entre deux solutions également difficiles mais qui sont les seules vraiment qu’on puisse défendre à cette tribune sans mentir…

La première consiste à réaliser nos objectifs en Indochine par le moyen de la force militaire. Si nous la choisissons, évitons enfin les illusions et les mensonges pieux. Il nous faut pour obtenir rapidement des succès militaires décisifs, trois fois plus d’effectifs et trois fois plus de crédits ; et il nous les faut très vite…

L’autre solution consiste à rechercher un accord politique, un accord évidemment avec ceux qui nous combattent. Sans doute, ne sera-ce pas facile… Un accord, cela signifie des concessions, de larges concessions, sans aucun doute plus importantes que celles qui auraient été suffisantes naguère. Et l’écart qui séparera les pertes maintenant inéluctables et celles qui auraient suffi voici trois ou quatre ans mesurera le prix que nous payerons pour nos erreurs impardonnables… »

in Journal Officiel, 1950

Pierre Mendès-France présente à la Chambre les accords de Genève

« Des dispositions militaires comportent principalement la « désimbrication » des unités des deux camps, en vue de leur regroupement dans les secteurs de stationnement provisoires.

Le repli des forces franco-vietnamiennes du Tonkin vers le sud se fera en trois cents jours, par échelons successifs : Hanoi, quatre-vingts jours ; Haï-Duong, cent jours ; Haïphong, trois cents jours, à partir de la date de mise en vigueur de l’accord.

Le repli des forces du Viet-minh qui se trouvent à l’heure actuelle en Annam ou en Cochinchine – repli symétrique de celui que nous opérons – le repli de ces forces du Sud vers le Nord se fera par échelons successifs, également dans un délai de trois cents jours.

La zone de regroupement placée sous le contrôle franco-vietnamien a pour limite Nord la rivière de Cuatung, à une vingtaine de kilomètres au nord de la route no 9, c’est-à-dire le 170e parallèle… C’est dans un délai de trente jours après le cessez-le-feu que tous les prisonniers seront libérés…

La déclaration finale stipule que les libertés fondamentales devront être garanties dans les deux zones, qu’aucune représailles ne sera exercée et qu’une large amnistie sera prononcée afin d’éviter les vengeances ou les mauvais traitements, dont la population risquerait d’être victime.

Enfin, le droit d’opinion a été proclamé et organisé, afin que tous les Vietnamiens, quels que soient leur domicile et leur résidence actuels, aient la possibilité, librement, de rejoindre la zone de leur choix.

Il avait été prévu, dès le début de la conférence, par une décision unanime des neuf participants, que le règlement dont je viens de parler n’aurait qu’un caractère provisoire et que l’unité du pays serait rétablie le plus rapidement possible dans le cadre d’élections générales sous contrôle international.

… Après de longs débats, il a été décidé par la conférence que les élections auraient lieu en juillet 1956, c’est-à-dire dans deux ans ; elles se dérouleront sous un contrôle international, je le répète, c’est-à-dire sous le contrôle d’une commission composée de représentants de l’Inde, du Canada et de la Pologne… »

Discours prononcé devant l’Assemblée nationale, le 22 juillet 1954.

in Pierre MENDES-FRANCE, Gouverner, c’est choisir, t. 2, Sept mois et dix-sept jours (juin 1954-février 1955). Paris, Ed. Julliard. 1955.

Lettre du Président Eisenhower à Ngo Dinh Diem, président du Conseil des ministres du Viêt-Nam

« Cher monsieur le Président,
C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai suivi l’évolution de la situation du Viêt-Nam, en particulier depuis la fin de la conférence de Genève. (…)

Ces derniers temps, vous nous avez demandé à plusieurs reprises de vous apporter notre aide pour un grand projet visant à faire sortir des centaines de milliers de vos concitoyens des zones qui viennent de passer sous la domination d’une idéologie politique qu’ils abhorrent. J’ai le plaisir de vous informer que les États-Unis sont en mesure d’apporter leur aide à cet effort humanitaire.
Nous avons recherché toutes les possibilités pour rendre notre aide au Viêt-Nam plus efficace et apporter ainsi une plus grande contribution au bien-être et à la stabilité du gouvernement du Viêt-Nam. En conséquence, j’ai ordonné à l’ambassadeur américain au Viêt-Nam d’examiner avec vous (…) comment un projet intelligent d’aide américaine attribuée directement à votre gouvernement pourrait, dans ces moments cruciaux, aider le Viêt-Nam (…).

Cette offre vise à aider le gouvernement du Viêt-Nam à développer et à maintenir un État solide et viable, capable de résister à la fois aux tentatives de subversion et d’agression militaire. (…) Le gouvernement des États-Unis (…) espère qu’une telle aide, combinée à vos propres efforts, contribuera efficacement à favoriser l’émergence d’un Viêt-Nam indépendant fondé sur un gouvernement solide. Seul un tel gouvernement serait capable (…) de répondre aux aspirations nationales de son peuple (…), d’être respecté à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières et de décourager ainsi n’importe qui souhaitant imposer une idéologie étrangère à un peuple libre.

Cordialement,

Dwight D. Eisenhower ».

Lettre du Président Eisenhower à Ngo Dinh Diem, président du Conseil des ministres du Viêt-Nam, 23 octobre 1954
(traduction : B. Littardi)
Source : http://www.fordham.edu/halsall/mod/1954-eisenhower-vietnam1.html (3 novembre 2008)

le combat du régime sud-vietnamien

« Sur le plan politique et surtout psychologique, le Vietnam symbolise la volonté de résistance du Monde libre contre la volonté de conquête du communisme international. C’est ce qui explique l’acharnement des attaques communistes, militaires comme politiques, dirigées contre le gouvernement actuel du Vietnam, car ce gouvernement est un gouvenement de combat. (…)

Notre plus grand problème pour vaincre le communisme est aussi le plus grand problème pour tous les partisans de la liberté dans le monde, à savoir, comment faire comprendre aux dirigeants de l’opinion internationale libre que le communisme est communiste, que la guerre communiste est une guerre révolutionnaire, et qu’on ne peut la gagner par des méthodes traditionnelles et purement démocratiques, des méthodes de temps de paix, des méthodes de pays avancés dans une situation de guerre chaude. »

Interview accordée par le président Ngo Dinh Diem, au service culturel de l’ambassade américaine, Ed. de la République du Vietnam, 1963.

Opposition étudiante aux USA (1965)

Tract du SDS [Mouvement des étudiants pour une société démocratique] distribué le 27 novembre 1965

« Au nom de la liberté, l’Amérique est en train de mutiler le Vietnam. Au nom de la paix, l’Amérique est en train de transformer un pays fertile en une terre dévastée. Au nom de la démocratie, l’Amérique est en train d’enterrer ses propres rêves et d’étouffer son propre potentiel. (…)

Cette guerre doit être arrêtée. Le cessez-le-feu et la démobilisation au Sud-Vietnam doivent être immédiats ; les troupes américaines doivent être retirées, l’amnistie politique garantie. Tous les accords devront être évidement acceptés par ceux de l’« autre côté » — le Front national de libération et le Vietnam du Nord.

Soyons lucides : un accord négocié ne peut garantir la démocratie. Seuls les Vietnamiens ont le droit, en tant que nation, de bâtir un gouvernement qui soit démocratique ou non, qui soit libre ou non, qui soit neutre ou non. Ce n’est pas à l’Amérique de leur dénier la chance de devenir ce qu’ils feront d’eux-mêmes. (…)

Mais nos espoirs ne se limitent pas au seul Vietnam. (…) Nous sommes convaincus que le seul moyen d’arrêter cette guerre et celles qui surviendront consiste à organiser un mouvement social intérieur qui devra contester la légitimité même de notre politique étrangère. Ce mouvement doit aussi combattre pour mettre fin au racisme, pour faire cesser le paternalisme de notre système de protection sociale, pour garantir à tous des revenus décents et pour en finir avec l’encadrement autoritaire de nos universités (…).

Le SDS appelle instamment tous ceux qui croient que cette guerre doit prendre fin et que la construction de notre démocratie doit enfin commencer à participer à une manifestation à Washington, devant la Maison Blanche, le 27 novembre [1965] à 11h du matin. »

rapporté par Claude-Jean BERTRAND, Les années soixante 1961-1974. Vol. 9 de l’Histoire documentaire des États-Unis dirigée par Jean-Marie BONNET et Bernard VINCENT. Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1989
(traduction B. Littardi)

deux, trois, plusieurs Vietnam

« Il faut détruire l’impérialisme par l’élimination de son bastion le plus fort : la domination des Etats Unis. Il faut pour cela créer deux, trois, plusieurs Vietnam, pour obliger l’impérialisme à disperser ses forces. Peu importe le lieu où me surprendra la mort. Qu’elle soit la bienvenue, pourvu que notre appel soit entendu, qu’une autre main se tende pour empoigner nos armes et que, dans le crépitement des mitrailleuses, d’autres hommes se lévent pour entonner les chants funèbres, et pour pousser les nouveaux cris de guerre et de victoire. »

paroles de Che Guevara (1967)
tiré de Histoire Terminal Bertrand-Lacoste

Khe Sanh, la guerre des collines en 1968

« Maintenant la tranchée faisait presque tout le tour du camp. Au nord, l’enceinte était surtout défendue par le 2e bataillon du 26e régiment de Marines, et la compagnie Hotel était dans le secteur. Dans sa partie Ouest, elle était en face des tranchées nord-viêtnamiennes qui venaient jusqu’à 300 mètres de l’enceinte. (…)

Les abris et les tunnels qui les reliaient étaient creusés le long de la pente qui montait du torrent. A 200 mètres, face aux tranchées des Marines se trouvait un tireur viet avec une mitrailleuse de 50 dans un trou minuscule, qui leur tirait dessus. Le jour, il tirait sur tout ce qui dépassait des sacs de sable ; il tirait sur toutes les lumières qu’il voyait. On le voyait très bien de la tranchée et avec la lunette d’un fusil à longue portée on voyait même son visage. Les Marines le bombardaient à coups de mortiers et de canon sans recul, il se mettait au fond de son trou comme une araignée et il attendait. Les hélicos lui envoyaient des roquettes, il remontait et recommençait à tirer.

Finalement on a envoyé du napalm, l’air au-dessus de son trou a été cautérisé, plus rien ne vivait. Quand ça s’est dissipé, le tireur a jailli de son trou, il a tiré une seule rafale, et les Marines dans les tranchées l’ont acclamé. Ils l’appelaient Lucky Nyaq, et plus personne ne voulait qu’il lui arrivât quelque chose. »

extrait de Michael HERR, « Putain de mort », 1968

Allocution de Lyndon B. Johnson, 31 mars 1968

« (…) Ce soir, je renouvelle l’offre que j’ai faite en août dernier, d’arrêter les bombardements sur le Nord-Vietnam. Nous demandons que des pourparlers commencent rapidement et qu’il s’agisse de négociations sérieuses au sujet de la nature de la paix. (…)

Notre but au Sud-Vietnam n’a jamais été d’anéantir l’ennemi. Mais de faire reconnaître par Hanoï que son objectif, s’emparer par la force du Sud, ne pourra être atteint. (…)

Cela n’a pas été facile, loin de là. Durant les dernières quatre années et demie, mon destin et ma responsabilité ont été ceux de commandant en chef. Tous les jours, j’ai vécu avec le poids de la guerre. Je suis conscient des peines que j’ai infligées et des inquiétudes qu’elles ont suscitées.

Durant toute cette période, j’ai été soutenu par un seul principe : ce que nous faisons au Vietnam est vital, non seulement pour la sécurité de l’Asie, mais également pour notre sécurité. (…)

[Les paragraphes qui suivent ne figurent pas dans le texte qui a été diffusé à la presse avant l’allocution]

Depuis trente-sept ans au service de notre pays (…), j’ai voulu, en premier, l’unité de notre peuple. Je l’ai voulue en dehors de toute division partisane. Aujourd’hui, comme hier, il est vrai qu’une maison divisée par l’esprit de faction, de parti, de religion ou de race est une maison qui ne peut rester debout. (…)

Avec de jeunes Américains aussi loin sur le terrain, avec l’avenir de l’Amérique en question, ici-même, avec nos espoirs de paix dans le monde mis en cause chaque jour, je ne crois pas pouvoir consacrer une heure de mes journées et de mon temps à des causes personnelles et partisanes, ou à des tâches autres que celles, impressionnantes, de la présidence de votre pays.
Aussi, je ne rechercherai, ni n’accepterai la nomination de mon parti pour un autre mandat de Président. »

Lyndon B. Johnson, président des États-Unis d’Amérique, allocution radio-télévisée du 31 mars 1968, rapportée par Claude-Jean BERTRAND, Les années soixante 1961-1974. Vol. 9 de l’Histoire documentaire des États-Unis dirigée par Jean-Marie BONNET et Bernard VINCENT. Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1989
traduite et citée par Jacques PORTES, Les Américains et la guerre du Vietnam. Bruxelles, Complexe, coll. « Questions au XXe siècle », 1993.

Lettres de soldats américains

« Je me sens maintenant rempli à la fois de respect et de haine envers les Viet Cong et les Vietnamiens. De respect, parce que l’ennemi sait qu’il ne peut nous résister dans un engagement armé en raison de notre entraînement supérieur et de la diversité de nos armes. Mais il est capable, par ses mines et ses pièges, de réduire petit à petit nos capacités jusqu’à ce que nous ne soyons plus en mesure de réunir une force combattante suffisante. Depuis que j’ai été affecté à ma compagnie il y a un mois, nous avons eu quatre tués et trente blessés ; durant ce laps de temps, nous n’avons pas vu un seul Viet Cong mis effectivement hors de combat. »

Lieutenant Robert C. Ransom Jr., décédé d’une péritonite et d’une pneumonie après avoir été blessé par une mine.

« Mon chef de section est mort pour un peuple qui ne se sentait absolument pas concerné par la guerre, un peuple qu’il ne comprenait pas, un peuple qui savait où était l’ennemi, où les pièges étaient cachés, mais qui n’a apporté aucune aide ; un peuple à qui il aurait donné une partie de sa nourriture alors que celui-ci aurait essayé de lui vendre un Coca à un dollar ; un peuple qui se fichait de savoir qui était le vainqueur (…). Ce que je peux voir, Papa, c’est que ce pays ne nous rapporte rien. Nous combattons pour des gens, nous mourrons pour des gens qui aimeraient que nous soyons ailleurs qu’ici. La seule bonne raison que j’ai pu trouver [à notre présence au Vietnam], c’est que nous payons les vies communistes en vie américaines. »

Sergent Philip L. Woodall.

« Vraiment, les dégâts physiques et humains que nous avons subis au cours de ces dernières années sont beaucoup plus élevés que je ne l’aurais cru — en particulier les dégâts humains… Je ne parle pas seulement des morts, mais aussi de ces G.I’s qui ne sont plus capables d’articuler des phrases cohérentes, de ceux qui ont découvert qu’ils adoraient tuer, et des Vietnamiens, qui devaient former un peuple rempli de grâce et de douceur, et que la guerre a transformés en voleurs, en trafiquants et en prostituées… J’ai l’impression d’être au fond d’un gigantesque égout. »

Caporal Thomas P. Pellaton.

« Je suis malade, à la fois physiquement en mentalement. Je fume trop, je tousse constamment, je ne mange jamais et je suis perpétuellement hébété. Nous en sommes tous là. Nous avons peur de mourir, et tout ce que nous pouvons faire, c’est compter les jours qui restent avant de rentrer à la maison. Nous avons tous désespérément besoin d’amour. Quand on va à Saigon, on dépense tout notre argent en femmes et en bières. Certaines nuits, je ne dors pas ; je ne supporte pas de rester seul dans la nuit. Les armes à feu ne me dérangent pas — je ne les entends même plus. Je voudrais tenir ma tête entre mes mains et fuir au loin en hurlant. (…). Je suis vidé, madame Perko. Je suis une coquille, et quand je suis effrayé, je tremble. Je ne suis pas la bonne personne pour vous parler de votre fils. Je ne peux pas, et j’en suis désolé. »

Lettre du caporal des Marines John Houghton, matelot sur un remorqueur, à la mère de l’un de ses camarades tombé au champ d’honneur.

Lettres de soldats américains au Vietnam, citées par Time, 15 avril 1985, et rapportées par Claude-Jean BERTRAND, Les années soixante 1961-1974. Vol. 9 de l’Histoire documentaire des États-Unis dirigée par Jean-Marie BONNET et Bernard VINCENT. Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1989
(traduction B. Littardi)

Discours de Richard Nixon le 30 avril 1970 justifiant l’entrée au Cambodge de l’armée américaine

« Mes chers compatriotes, bonsoir, (…)

Ce soir, des unités américaines et sud-vietnamiennes vont attaquer le quartier général en charge de l’ensemble des opérations militaires communistes au Vietnam du Sud. Ce centre clé est occupé par les Nord Vietnamiens et les Viet Cong depuis cinq années en violation flagrante de la neutralité cambodgienne.

Ceci n’est pas une invasion du Cambodge. Les zones en direction desquelles ces attaques vont être lancées sont intégralement occupées et contrôlées par les forces du Vietnam du Nord. Notre but n’est pas d’occuper ces zones. Une fois que nous en aurons chassé les forces ennemies et détruit leurs équipements militaires, nous nous retirerons. (…)

Mes chers compatriotes, nous vivons dans une époque d’anarchie, à la fois en dehors de nos frontières et chez nous. (…) Même ici, aux États-Unis, de grandes universités sont systématiquement détruites. Partout dans le monde, de petits pays doivent faire face à des attaques menées de l’intérieur et de l’extérieur.

Si, dans ces moments cruciaux, la nation la plus puissante du monde, les États-Unis d’Amérique, agit comme un géant pitoyable et impuissant, les forces du totalitarisme et de l’anarchie deviendront une menace pour les nations et les institutions libres du monde entier.

Ce n’est pas notre puissance, mais bien notre volonté et notre détermination qui ce soir sont mises à l’épreuve. La question que doivent se poser ce soir tous les Américains et à laquelle ils doivent répondre est bien celle-ci : la nation la plus riche et la plus puissante que la monde n’ait jamais connu a-t-elle le courage de répondre à un défi direct lancé par un groupe qui rejette chaque effort pour gagner une paix juste, qui ignore nos avertissements, qui piétine des accords solennels, qui viole la neutralité d’un peuple sans armes et qui se sert de ses prisonniers comme otages ? (…)

Il est d’usage pour le président des États-Unis de conclure un discours tenu depuis la Maison Blanche par un appel au soutien de son peuple. Ce soir, je dérogerai à cette habitude. Ce que je vous demande est en effet beaucoup plus important. Je vous demande votre soutien pour nos hommes courageux qui combattent en ce moment à des milliers de kilomètres d’ici, pas pour un territoire, pas pour la gloire, mais bien pour que leurs frères cadets, leurs fils et les vôtres puissent avoir la chance de grandir dans un monde de paix, de liberté et de justice.

Merci et bonne nuit. »

Richard M. Nixon, discours à la nation à propos de la situation en Asie du Sud-Est, 30 avril 1970
(traduction B. Littardi)
Source : http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=2490 (3 novembre 2008)

LES ACCORDS DE PARIS (27 JANVIER 1973)

« (…) Article 1. – Les États-Unis et tous les autres pays respectent l’indépendance, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Viêt-Nam telles qu’elles sont reconnues par les Accords de Genève de 1954. (…)

Article 2. – Un cessez-le-feu sera observé sur l’ensemble du territoire du Viêt-Nam du Sud à partir du 27 janvier 1973, minuit G.M.T.
À la même heure, les États-Unis mettront fin à toutes leurs activités militaires contre le territoire de la République démocratique du Viêt-Nam. (…)

Article 4. – Les États-Unis cesseront leur engagement militaire et mettront fin à leurs interventions dans les affaires intérieures du Viêt-Nam du Sud. (…)

Article 9. – Le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement de la République démocratique du Viêt-Nam s’engagent à respecter (…) le droit du peuple sud-vietnamien à l’autodétermination. (…)
Aucun pays étranger ne devra imposer au peuple sud-vietnamien une tendance politique ou une personnalité. (…)

Article 11. – Immédiatement après le cessez-le-feu, les deux parties sud-vietnamiennes devront :
– réaliser la réconciliation nationale et la concorde (…) ;
– assurer les libertés démocratiques. (…)

Article 15. – La réunion du Viêt-Nam aura lieu étape par étape, suivant des moyens pacifiques, sur la base des discussions et des accords conclus entre le Nord et le Sud Viêt-Nam, sans coercition ou annexion de la part de l’une des deux parties et sans ingérence étrangère. Le calendrier de la réunification sera arrêté conjointement par le Nord et le Sud Viêt-Nam. (…)

Article 21. – Les États-Unis prévoient que ces Accords marqueront le début d’une ère de réconciliation avec la République démocratique du Viêt-Nam, comme avec tous les peuples d’Indochine. En application de leur politique traditionnelle, les États-Unis contribueront à panser les blessures de la guerre et de la reconstruction d’après-guerre de la République démocratique du Viêt-Nam et de toute l’Indochine. (…) »

Source : http://www.aiipowmia.com/sea/ppa1973.html (3 novembre 2008)
(traduction: B. Littardi)

le « Mea culpa » de Robert Mac Namara

« Nous, membres des administrations Kennedy et Johnson parties prenantes aux décisions sur le Vietnam, avons agi selon ce que nous pensions être les principes et les traditions de notre pays. Nous avons pris nos décisions à la lumière de ces valeurs.

Pourtant, nous avons eu tort. Terriblement tort. Nous devons aux générations futures d’expliquer pourquoi. »

Robert McNAMARA, « Avec le recul. La tragédie du Vietnam et ses leçons » , Paris, Seuil, Coll. L’épreuve des faits, 1996. p.16.

« Vers la même époque [9 juin 1964], nous avons reçu un autre texte de la Commission des synthèses nationales de la CIA. Il répondait à une question que le président avait posée quelques jours plus tôt sur les probabilités d’un effet « domino » en Asie orientale en cas de chute du Sud-Vietnam et du Laos. L’instance d’analyse la plus élevée et la plus expérimentée du renseignement américain, qui n’avait aucune responsabilité dans la prise de position politique et aucune décision antérieure à défendre concluait :

« La perte du Sud-Vietnam et du Laos au profit des communistes détériorerait gravement la position américaine en Extrême-Orient, tout spécialement parce que les Etats-Unis se sont engagés depuis longtemps, énergiquement et publiquement, à empêcher une prise de pouvoir communiste dans ces deux pays. L’échec ici serait dommageable au prestige américain et saperait sérieusement la crédibilité de la volonté et de la capacité des Etats-Unis à contenir l’expansion du communisme ailleurs dans la région. Nos ennemis seraient encouragés, et on verrait croître dans d’autres Etats la tendance à s’orienter vers un accommodement plus marqué avec les communistes. »

Les analystes de la CIA poursuivaient ainsi :

« Outre la joie immédiate du Nord-Vietnam d’avoir accompli ses objectifs nationaux, l’effet principal concernerait la Chine communiste, à la fois en stimulant sa confiance en soi déjà remarquable et en augmentant son prestige en tant que leader du communisme mondial. Pékin a déjà commencé à présenter dans sa propagande le Sud-Vietnam comme une preuve de ses thèses – le monde sous-développé est mûr pour la révolution, les Etats-Unis sont un tigre de de papier et une insurrection locale peut être menée jusqu’à la victoire sans trop de risques de précipiter une guerre internationale majeure. L’issue au Sud-Vietnam et au Laos soutiendrait de façon tout à fait manifeste les conseils tactiques agressifs de Pékin en ce qu’ils s’opposent aux positions plus prudentes de l’URSS. Jusqu’à un certain point, ce phénomène tendra à encourager et à renforcer les mouvements révolutionnaires plus militants dans diverses régions du monde sous-développé. »

L’analyse de ces experts semblait confirmer la peur – déplacée avec le recul, mais non moins réelle à l’époque – que je ressentais, avec d’autres : la politique occidentale de containment courait un grave danger au Vietnam. Et c’est ainsi que nous avons continué à glisser le long de la pente savonneuse. »

Robert McNAMARA, « Avec le recul. La tragédie du Vietnam et ses leçons », Paris, Seuil, Coll. L’épreuve des faits, 1996. pp. 128-129.