« A la fin de 1943, alors que, en règle générale, les ghettos avaient été nettoyés, que les déportations avaient été menées à bien dans la plupart des pays sous contrôle allemand et que les camps d’extermination de l’action Reinhardt avaient été démantelés et détruits – et les restes des victimes méticuleusement éliminés -, un bref communiqué parut dans le Völkischer Beobachter, indiquant au lecteur moyen toute l’étendue de l’application de la « solution » de la question juive :
« Selon les estimations de la presse juive de Palestine, le nombre total des Juifs est de 13,5 millions. Dont 4,6 millions aux Etats-Unis, 425 000 en Angleterre, 200 000 au Canada, 100 000 en Afrique du Sud, 350 000 en Australie, 300 000 en Argentine et 300 000 dans tous les autres Etats des deux Amériques. D’après les Etats-Unis, la Palestine abriterait 550 000 Juifs, hébreux pour la plupart. Ces estimations ne tiennent évidemment pas compte des Juifs religieux. La moitié des Juifs soviétiques se trouveraient désormais à l’est de l’Oural. »
Il suffisait alors de consulter le Grand Brockhaus pour constater que le nombre des Juifs à la fin des années 20 (…) oscillait entre 15 et 16 millions. La différence sautait donc immédiatement aux yeux, d’autant que le Brockhaus ne comptabilisait que 3,6 millions de Juifs pour les Etats-Unis (et non 4,8 millions). Mais un lecteur consciencieux aurait dû être frappé par le fait que dans ce bref communiqué, la Palestine était indiquée comme la deuxième région comptant le plus grand nombre de Juifs. Cela signifiait que les communautés présentes dans le Brockhaus, les 3,5 millions de Juifs polonais, les 2,75 millions de Juifs soviétiques, les 834 000 Juifs roumains, ainsi que les 564 000 Juifs allemands (auxquels il fallait ajouter théoriquement les 300 000 Juifs autrichiens depuis l’Anschluss) n’existaient plus, du moins dans cet ordre de grandeur. »
Peter Longerich. « Nous ne savions pas. » Les Allemands et la Solution finale. 1933 – 1945. Paris, Editions Héloïse d’Ormesson, 2008, pp. 381-282.