Lettre de Bonaparte aux délégués de la République helvétique
« St Cloud le 19 frimaire an 11 [10 décembre 1802] de la République française
Bonaparte premier Consul et Président ;
Aux députés des dix huit Cantons de la République helvétique.
Citoyens députés des dix-huit Cantons de la République helvétique, la situation de votre patrie et critique : la modération, la prudence et le sacrifice de vos passions sont nécessaires pour la sauver. J’ai pris, à la face de l’Europe, l’engagement de rendre ma médiation efficace : je remplirai tous les devoirs que cette auguste fonction m’impose ; mais ce qui est difficile sans votre concours devient simple avec votre assistance et votre influence.
La Suisse ne ressemble à aucun autre Etat, soit par les événements qui s’y sont succédés depuis plusieurs siècles, soit par la situation géographique et topographique, soit par les différentes langues, les différentes religions et cette extrême différence de moeurs qui existe entre ses différentes parties.
La nature a fait votre Etat fédératif. Vouloir la vaincre ne peut être d’un homme sage.
Les circonstances, l’esprit des siècles passés, avaient établi chez vous des peuples souverains et des peuples sujets. De nouvelles circonstances et l’esprit différent d’un nouveau siècle, plus d’accord avec la raison, ont établi l’égalité des droits entre toutes les portions de votre territoire.
(…)
Ce qui est en même temps désir, l’intérêt de votre nation et des vastes Etats qui vous environnent, est donc :
1. L’égalité des droits entre vos dix-huit Cantons ;
2. Une renonciation sincère et volontaire aux privilèges, de la part des familles patriciennes [bourgeoise riche des villes] ;
3. Une organisation fédérative ; où chaque Canton se trouve organisé suivant sa langue, sa religion, ses moeurs, son intérêt et son opinion.
(…)
La neutralité de votre pays, la prospérité de votre commerce et une administration de famille, sont les seules choses qui puissent agréer à votre peuple et vous maintenir.
(…)
Le premier devoir, le devoir le plus essentiel du Gouvernement français sera toujours de veiller à ce qu’un système hostile ne prévale point parmi vous, et que des hommes dévoués à ses ennemis ne parviennent pas à se mettre à la tête de vos affaires. (…) »
Cité par Victor Monnier dans Bonaparte et la Suisse, Genève, 2002, pages 28-30.
Extraits plus courts
« « La Suisse ne ressemble à aucun autre État, soit par les événements qui s’y sont succédé depuis plusieurs siècles, soit par la situation géographique, soit par les différentes langues, les différentes religions, et cette extrême différence de moeurs qui existe entre ses différentes parties. La nature a fait votre État fédératif, vouloir la vaincre n’est pas d’un homme sage »
Après avoir rappelé la situation politique de la Confédération avant la révolution (domination de certains cantons sur certains territoires, gouvernement aristocratique de certains canton), Bonaparte conclut :
« Ce qui est en même temps le désir, l’intérêt de votre nation et des vastes États qui vous entourent est donc : 1° l’égalité des droits entre vos dix-huit cantons ; 2° une renonciation sincère et volontaire aux privilèges de la part des classes patriciennes ; 3° une organisation fédérative, où chaque canton se trouve organisé suivant sa langue, sa religion, ses moeurs, son intérêt, son opinion » »
Sources et commentaires extraits de Claude Bourgeois, Histoire générale – L’époque contemporaine 1770-1914, LEP, Lausanne, 1999, p. 664.
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L’Acte de Médiation
« L’intervention de Bonaparte dans les affaires de la Suisse, le 30 septembre 1802, met fin à l’existence de la République helvétique. Les députés à la Consulta helvétique se rendent à Paris à la fin du mois de novembre. Le 10 décembre a lieu la première séance de travail avec les commisasaires-négociateurs français. Ce n’est que le 19 février 1803 que Bonaparte remet l’Acte de Médiation. Les extraits suivants sont publiés selon Jean Biedermann, Chartes, pactes et traités de la Suisse, Lausanne, 1915, pp. 87-101″
(cité par Michel Salamin, Documents d’Histoire suisse 1798-1847, collection Recueils de textes d’Histoire suisse, Sierre, 1969, pp. 39-40)
« Bonaparte, premier Consul de la République, Président de la République italienne, aux Suisses.
L’Helvétie, en proie aux dissensions, était menacée de dissolution : elle ne pouvait trouver en elle-même les moyens de se reconstituer. L’ancienne affection de la nation française pour ce peuple recommandable, qu’elle a récemment défendu par ses armes et fait reconnaître comme puissance par ses traités; l’intérêt de la France et de la République italienne, dont la Suisse couvre les frontières; la demande du sénat, celle des cantons démocratiques, le voeu du peuple helvétique tout entier, nous ont fait un devoir d’interposer notre médiation entre les partis qui le divisent. Les sénateurs Barthélemy, Roederer, Fouché et Desmeunier ont été par nous chargés de conférer avec cinquante-six députés du sénat helvétique, et des villes et cantons, réunis à Paris. Déterminer si la Suisse, constituée fédérale par la nature, pouvait être retenue sous un gouvernement central autrement que par la force ; reconnaître le genre de constitution qui était le plus conforme au voeu de chaque canton ; distinguer ce qui répond le mieux aux idées que les cantons nouveaux se sont faites de la liberté et du bonheur ; concilier dans les cantons anciens les institutions consacrées par le temps avec les droits restitués à la masse des citoyens : tels étaient les objets qu’il fallait soumettre à l’examen et à la discussion. (…) Ayant ainsi employé tous les moyens de connaître les intérêts et la volonté des Suisses, nous, en qualité de médiateur, sans autre vue que celle du bonheur des peuples sur les intérêts desquels nous avions à prononcer, et sans entendre nuire à l’indépendance de la Suisse, statuons ce qui suit :
Art. 1.- Les dix-neuf cantons de la Suisse, savoir : Appenzell, Argovie, Bâle, Berne, Fribourg, Glaris, Grisons, Lucerne, St-Gall, Schaffhouse, Schwytz, Soleure, Tessin, Thurgovie, Unterwald, Uri, Vaud, Zoug et Zurich, sont confédérés entre eux, conformément aux principes établis dans leurs constitutions respectives. Ils se garantissent réciproquement leur constitution, leur territoire, leur liberté et leur indépendance, soit contre les puissances étrangères, soit contre l’usurpation d’un canton ou d’une faction particulière. (…)
Art. 25.- Chaque canton envoie à la Diète un député, auquel on peut adjoindre un ou deux conseils, qui le remplacent en cas d’absence ou de maladie.
Art.26.- Les députés à la Diète ont des instructions et des pouvoirs limités, et ils ne votent pas contre leurs instructions. (…)
Art.40.- Le présent acte ainsi que les constitutions des dix-neuf cantons abrogent toutes les dispositions antérieures qui y seraient contraires ; aucun droit, en ce qui concerne le régime intérieur des cantons et leur rapport entre eux, ne peut être fondé sur l’ancien état politique de la Suisse.
Le repos de la Suisse, le succès des nouvelles institutions qu’il s’agit de former, demandent que les opérations nécessaires pour les faire succéder à l’ordre de choses qui finit, et pour transmettre à de nouvelles magistratures le soin du bonheur du peuple soient garanties de l’influence des passions, exemptes de tout ce qui pourrait les animer et les mettre aux prises, exécutées avec modération, impartialité, sagesse. On ne peut espérer une marche convenable que de commissaires nommés par l’Acte de médiation même et animés de l’esprit qui l’a dicté.
Par ces considérations, nous, en notre dite qualité, et avec la réserve précédemment exprimée, statuons ce qui suit :
Art. 1.- Pour l’an 1803, le canton directeur est Fribourg. (…)
Art.10.- Le 15 avril, la constitution sera en activité : pour le 1er juin, chaque canton aura nommé ses députés à la Diète et rédigé leurs instructions ; et le premier lundi de juillet de la présente année, la Diète se réunira. (…)
Le présent Acte, résultat de longues conférences entre les esprits sages et amis du bien, nous a paru contenir les dispositions les plus propres à assurer la pacification et le bonheur des Suisses.
Aussitôt qu’elles seront exécutées, les troupes françaises seront retirées.
Nous reconnaissons l’Helvétie, constituée conformément au présent Acte, comme puissance indépendante.
Nous garantissons la constitution fédérale et celle de chaque canton contre les ennemis de la tranquillité de l’Helvétie, quels qu’ils puissent être; et nous promettons de continuer les relations de bienveillance qui, depuis plusieurs siècles, ont uni les deux nations. »