Le 23 [février] départ à 10h1/2. Il parait que les Boches ont attaqué sur Verdun et l’on pense que c’est ici que nous sommes dirigés.
Passé à Courouvre, Benoitevaux remarquable par son hôpital et son pèlerinage, Récourt où le général nous fait défiler. On passe la Meuse à Villers-sur-Meuse où l’on reçoit quelques gros obus, les passerelles étant bombardées. Génicourt, Dieue et Sommedieue, on va passer le reste de la nuit dans les baraquements. Cette longue marche nous a tous bien fatigués, environ 25 km sans manger dans la neige avec le sac. Chacun s’endort aussitôt. Le 24 à 8h1/2 après la soupe départ, repassé à Sommedieue et Dieue. Le canon tonne sur Verdun dont on prend la direction. [On] passe à Haudainville et près de Verdun dont on contourne la ville. On fait encore 30 km et on arrive à Fleury[-devant-Douaumont] sur la route où on a la soupe et un peu de repos pas beaucoup confortable car il fait froid, et l’on est forcés de marcher pour se réchauffer. La lueur des canons ne cesse pas, des troupes passent en débandade disant que l’ennemi avance. Les artilleurs reviennent sans pièce ni rien, c’est un commencement de retraite. On nous distribue des cartouches supplémentaires et vers 1h du matin nous repartons. [On] passe à Douaumont qui est en ruines et violemment bombardé. Attaque à 4h sans savoir au juste où se trouve l’ennemi, à 8h le 1er bataillon nous remplace. Je reste avec ma demi-section comme soutien des mitrailleuses.
A 11h on rejoint la compagnie qui est en position de soutien en face Louvemont. C’est la guerre en rase campagne. Devant nous la plaine, où zouaves et tirailleurs font des prodiges. Le 85[e R.I.] est avec eux. Les obus dégringolent comme je n’ai jamais vu chose pareille. Nous organisons une tranchée en utilisant les trous des gros obus. Le soir les uhlans sont signalés mais on ne voit que de lointaines silhouettes qui ne viennent pas à nous. La nuit se passe un peu plus calme. Dans la neige tout le monde grelotte, nous avons faim, nous avons soif. Certains mangent de la neige pour se désaltérer. Aucun renfort, rien, nous sommes seuls. Le 26 au matin, les attaques d’infanterie recommencent. La 1ère ligne se repliant, nous prenons leur place et des renforts parvenus de la nuit nous relèvent. La journée se passe en réserve dans un bois près de la ferme de Thiaumont où nous sommes crapouillotés d’importance, ce qui achève de nous démoraliser. Dans la nuit, après de nombreux détours, on parvient à passer sous les feux des barrages et le 28 [février] au matin on rejoint la route derrière Fleury[-devant-Douaumont], qui est maintenant en ruinesEntièrement détruit durant la bataille, ce village agricole où vivaient 422 habitants lors du recensement de 1911 n’a jamais été reconstruit. Fleury fait partie des neuf communes du secteur de Verdun déclarées « mortes pour la France » en 1918.. Rencontré la roulante où l’on prend du café et un peu de pain ce qui nous fait grand bien, car pendant tous ces jours nous n’avons eu aucun ravitaillement. Arrivée aux casernes Marceau de Verdun où l’on prend un peu de repos. On fait l’appel des disparus qui sont nombreuxLe bilan des pertes du 95e régiment d’infanterie pour les « combats de Douaumont » des journées du 24 au 27 février 1916 fait état de 65 tués, 240 blessés et 294 disparus, d’après le Journal des Marches et Opérations du 95e R.I. (site Mémoire des hommes, 26 N 670/6, vue 127 de la numérisation).. Le 1er bataillon […] est en partie détruit et beaucoup de pertes aux autres. Le 85[e] pareil, il faut les 2 régiments pour en former un. Ça continue à barder là-haut et de nombreux blessés arrivent.
Source : Carnets de guerre inédits de Victor Robin (1894-1937), soldat de 2e classe au 95e R.I.